Cette semaine a lieu à Nairobi, au Kenya, la deuxième session de l'Assemblée d'ONU Habitat, le programme des Nations unies pour les établissements humains. Le rendez-vous a lieu tous les 4 ans, le dernier a pris place en 2019. Depuis lundi et jusqu'à vendredi 9 juin, plus de 5 000 participants, des représentants des États-membres de l'ONU, de ses agences spécialisées, des collectivités locales et de la société civile discutent ensemble. Entretien avec Oumar Sylla, directeur Afrique d'ONU-Habitat.
RFI : L'objectif de cette rencontre internationale est de parvenir à un plan stratégique pour 2024-2027. Et répondre aux défis d'une population grandissante. Un enjeu particulièrement important pour le continent africain.
Oumar Sylla, directeur Afrique d'ONU-Habitat : L'Afrique aujourd'hui est le continent qui est en tendance d'urbanisation la plus rapide au monde. En 2030, on aura atteint ce qu'on appelle la transition urbaine en Afrique, avec plus de personnes vivant en milieu urbain qu'en milieu rural. Où est-ce qu'on va les mettre ? De quelle eau ils vont se doter ? Et de quelles infrastructures ils vont se doter ? Ce sont des défis majeurs. Il faut anticiper et l'anticipation passe par la planification spatiale.
Aujourd'hui, quels sont les principaux freins en termes d'accès au logement pour les populations sur le continent africain ?
On voit des taux d'intérêt très élevés dans plusieurs pays, donc pour avoir accès à ce qu'on appelle mortgage, ou crédit logement, c'est très cher. Et c'est là où il y a le problème parce qu'aujourd'hui, on parle en Afrique de 80% d'informalité. Comment est-ce que ces gens peuvent accéder au logement ? À la base de tout ça aussi, c'est le foncier, l'accès au foncier, qui aujourd'hui constitue un problème majeur en Afrique. Plus le foncier est cher, plus le logement est cher. C'est pour ça que le rôle de l'État en termes de subventions est important pour diminuer un tant soit peu les prix du logement, ça peut être jouer sur les prix des matériaux de construction, mais aussi jouer sur les prix d'accès à la terre, et ça, c'est important.
Mais comment l'État peut-il financer ces subventions ? Le président kényan William Ruto l'a évoqué lors de l'ouverture de l'Assemblée ONU-Habitat lundi. Il a cité le manque de fonds comme obstacle principal au développement de logements.
Il faut trouver des mécanismes de financement mixtes qui travaillent avec le secteur privé, qui travaillent avec les communautés pour avoir un mécanisme qui permet de répondre aux besoins des populations, surtout celles qui sont à la base.
Je pense qu'aujourd'hui, toute la réflexion en Afrique, c'est comment financer le marché du logement. On s'est rendus compte que nos politiques du logement en Afrique ont échoué pendant des années. Beaucoup de pays n'ont pas réussi d'un point de vue public à délivrer le nombre de logements auxquels on s'attendait, parce qu'aussi l'État seul ne peut pas financer le logement.
Je pense qu'il y a aussi une nécessité d'avoir un nouveau paradigme des villes. Une ville n'est pas seulement un dortoir, c'est un espace de production et de productivité aussi. Cette population urbaine, c'est un marché de 800 millions d'habitants aujourd'hui. Et en 2030, ce sera un milliard de personnes. Ils auront besoin d'accès à l'énergie, au digital, aux véhicules, aux transports... Tout ça, ce sont des opportunités.
Kenya: un projet du gouvernement pour faire face à la crise du logement fait polémique
La question du logement est au coeur des débats politiques depuis plusieurs semaines. D'après des chiffres de la Banque mondiale, le pays est en déficit de 2 millions de logements. Alors que le Kenya connaît une urbanisation croissante, le président, William Ruto, s'est engagé à construire 200 000 logements par an pendant son mandat. Et il a annoncé vouloir mettre en place un Fonds logement, financé par une nouvelle taxe, payée par les Kényans. Dans un contexte de forte crise économique, le projet est très décrié, aussi bien au sein de l'opinion publique que de la classe politique.
Le projet d'un Fonds logement fait partie de la loi de Finances publiques présentée la semaine prochaine par le gouvernement. Si elle est approuvée telle quelle, les salariés kényans se verraient contraints de payer une taxe supplémentaire équivalente à 3% de leurs revenus. Même chose du côté de leurs employeurs. Ces deux contributions seraient toutefois plafonnées à 2 500 shillings kényans chacune, soit environ 17 euros.
À en croire le gouvernement, les revenus générés par cette taxe seront versés dans un fonds réservé à la construction de nouveaux logements à bas coût, destinés en priorité aux ménages les plus précaires.
Le projet a suscité de nombreuses réactions. Au sein de l'opinion publique, beaucoup s'inquiète de cette nouvelle taxe alors que le coût de la vie a déjà explosé au Kenya. Dans l'opposition, certains soulignent le poids inégal de cet impôt sur les revenus les plus bas. D'autres dénoncent un manque de clarté : Qui par exemple aura accès à ces nouveaux logements ? Quelles vont être les garanties pour une bonne utilisation de ce fonds ?
Le président Ruto estime que ce projet est nécessaire. 61% des Kényans vivant en zones urbaines habitent dans des bidonvilles. L'accès au logement est donc, selon lui, un défi majeur. Selon ses estimations, plus de la moitié de la population kényane vivra dans des villes d'ici à 2050.