Madagascar: Coffi Agossou - « Madagascar a beaucoup évolué en matière de sécurité et de santé au travail « SST »

interview

A la veille de la Conférence Internationale du Travail qui aura lieu à Genève du 14 et 15 juin prochains , Coffi Agossou, Représentant résident /Directeur du Bureau Pays de l'OIT pour Madagascar, les Comores, Maurice et Seychelles émet son avis sur la sécurité et la santé au travail à Madagascar.

Pourriez-vous faire un état des lieux, une présentation globale de la situation du travail et des travailleurs à Madagascar ?

Le rôle de l'OIT fait la promotion de la justice sociale et du travail décent. De façon globale, ici à Madagascar, le marché du travail se comporte pas mal. Dans le sens que, par rapport à la période d'avant Covid, il y a eu une certaine reprise. Mais toujours est-il qu'actuellement, nous n'avons pas de chiffre de l'institut des statistiques. L'OIT a appuyé l'institut à collecter des données sur le marché du travail, mais ils n'ont pas encore été publiés.

Alors, je ne pourrai pas donner des chiffres. Mais de manière globale, si on compare la période actuelle avec celle d'avant la Covid, il y a quand même des soucis sur le marché du travail. Par exemple, le nombre d'offres d'emploi est toujours inférieur à ce qu'on avait observé avant la Covid. Il y a aussi l'accès même à l'emploi pour les jeunes et les femmes, par exemple, qui reste encore limité, puisque nous avons un certain ralentissement. Et surtout l'inflation qui est assez élevée.

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Ce qui veut dire que les salaires des travailleurs sont assez préoccupants. Dans le sens que la hausse des salaires ne va pas en cohérence avec celle de l'inflation. Il y a aussi le nombre d'heures de travail. Avant ou pendant la Covid, le nombre d'heures de travail avait chuté. Actuellement, on sent que le nombre d'heures de travail augmente, surtout pour les personnes qui ont un emploi qualifié. Mais, l'inconvénient est qu'il y a une tendance à la hausse de l'emploi informel.

Quand on parle d'emploi informel, cela veut dire que la qualité de l'emploi est aussi affectée. Il y a aussi le revenu. La Covid a beaucoup affecté les personnes ayant un faible revenu. Avec l'inflation, la guerre en Ukraine qui cause beaucoup de dégâts sur le plan économique et l'emploi, les revenus des ménages sont quand même aussi assez préoccupants.

Vous avez évoqué le secteur informel. Comment trouvez-vous les conditions de travail à Madagascar autant dans le secteur formel qu'informel ?

Comme je viens de le dire tout à l'heure, en plus de tout ce qu'il y a au niveau mondial, en plus du fait qu'il y a un ralentissement aussi de la productivité en matière de condition de travail. A Madagascar, on peut dire que de façon globale, par rapport à d'autres pays, la situation n'est pas mauvaise. Mais elle est toujours préoccupante. Le chômage touche les jeunes.

Quand on parle de conditions de travail, il faut également voir certains indicateurs clés. Le gouvernement avec les partenaires sociaux avait augmenté le salaire minimum. Mais le salaire réel demeure insuffisant par rapport à l'inflation. Il y a aussi la hausse du nombre d'heures de travail. Il y a aussi la question de la qualité du travail. Ici à Madagascar, près de 90% de l'emploi total est informel. Et lorsqu'on parle d'emploi informel, cela veut que les travailleurs dans ce secteur n'ont pas accès à un congé payé, ni à des congés de maternité payés.

Ces travailleurs n'ont pas accès à une pension de retraite. La plupart d'entre eux ne sont même pas affiliés à la CNAPS. Ce sont des travailleurs qui, la plupart du temps, n'ont pas de contrat de travail adéquat. Ce sont des travailleurs qui, pour la plupart, ne se soucient pas de la santé et de la sécurité au travail. Donc, ce sont certaines conditions qui demeurent assez préoccupantes. Ce qui veut dire qu'à Madagascar, il y a encore beaucoup de déficit en matière de travail décent. Mais la situation s'améliore. Le plan du dialogue social, par exemple, nous pouvons dire qu'il y a des améliorations, puisqu'il y a quand même un climat de cohésion sociale ici à Madagascar.

Et aussi, à travers tout ce que les partenaires sociaux ont fait en matière de révision du code de travail, de préparation des instruments de ratification de certaines conventions, on sent quand même que le dialogue social est assez vivant ici à Madagascar. En matière de condition de travail aussi, avec la pauvreté qui est assez préoccupante, il y a aussi le chômage et d'autres, on sent également une certaine augmentation du travail des enfants dans certains secteurs comme les mines, la vanille, et aussi dans l'agriculture.

Ce sont également des conditions de travail sur lesquelles l'OIT et ses partenaires doivent se pencher pour améliorer de façon globale la situation du travail à Madagascar. Mais, dans l'ensemble, le gouvernement a une volonté ferme de faire respecter les principes et les droits fondamentaux du travail. Je crois que cette volonté peut nous permettre d'avancer dans l'amélioration des conditions de travail à Madagascar.

Si on parle de la Santé et la sécurité au travail (SST), quel secteur d'activité le respecte le plus à Madagascar ?

Comme le terme l'indique, ce sont la santé et la sécurité au travail qui sont en jeu. Cela veut dire que si vous êtes dans votre bureau, ou encore, sur le trajet vers le lieu de travail, vous devez être en sécurité. Vous devez être exempt d'un accident. Vous devez être exempt d'une maladie. Vous devez être exempt d'un décès lié à votre travail. C'est pourquoi d'ailleurs sur les chantiers des BTP, vous verrez des gens qui portent des équipements de protection.

Donc lorsqu'on parle de santé et de sécurité au travail, ce sont les mesures prises pour que l'individu dans son milieu de travail ne fasse pas d'accident ou ne tombe pas malade, ou ne meurt pas parce qu'il est au travail. Sachez qu'au niveau mondial, par année, près de 3 millions de personnes meurent suite à un accident de travail ou à une maladie professionnelle. C'est beaucoup. Or, on peut prévenir ces décès. Lorsqu'on parle de prévention pour la sécurité et la santé au travail, il faut savoir que c'est une question qui concerne tout le monde, les employés, les employeurs, le gouvernement.

C'est aussi une affaire de tous les types d'entreprise. Elle concerne aussi tous les secteurs d'activité. Que ce soit les services, les transports, l'agriculture, que ce soit le secteur public ou privé. C'est une affaire de tout le monde. Si on vient à dire, à Madagascar, quels sont les secteurs qui performent le mieux. Je dirai d'abord que la plupart des secteurs commencent à être conscients de la nécessité de prévenir la sécurité et la santé au travail. Mais selon notre propre expérience, on sent que les grandes entreprises, surtout les entreprises des chaînes d'approvisionnement mondial sont enclines à respecter la santé et la sécurité au travail.

La raison est que, justement, les acheteurs ou encore les demandeurs internationaux exigent des vigilances, des conformités à certaines lois et des principes fondamentaux du travail. Toujours est-il que nous avons remarqué que dans plusieurs entreprises, qu'elles soient petites ou moyennes, avec l'augmentation de notre appui, on sent qu'il y en a qui commencent à développer des chartes de conduite en matière de prévention et de promotion de la sécurité et santé au travail. Ici à Madagascar, il faudrait aussi reconnaître que le gouvernement et les employeurs se sont engagés à faire beaucoup de choses.

Ces améliorations se traduisent par cet engagement des travailleurs, des employeurs et du gouvernement à ratifier les trois conventions concernant la sécurité et la santé au travail. C'est cette ratification, cette problématique de santé et de sécurité au travail qui est d'autant plus importante que l'année dernière, lors de la Conférence internationale du travail, les 187 Etats membres avaient adopté la sécurité et la santé au travail comme droit fondamental de travail. C'est pourquoi notre DG dit que lorsqu'un individu va au travail, il faut qu'il rentre chez lui sain et sauf.

Dans quel secteur y a-t-il encore des déficits et à quelle condition peut-on dire que la sécurité et la santé au travail sont respectées ou pas ?

Si on parle des secteurs où il y a des déficits, il faut parler du secteur informel. La qualité de l'emploi dans le secteur informel est faible. Comment reconnaît-on si un secteur ou une entreprise est performant en matière de santé et de sécurité au travail.Il faut avoir une diminution du nombre de décès liés au travail. Une diminution du nombre d'accidents liés au travail. Une diminution du nombre de maladies professionnelles. Ce sont des paramètres classiques pour pouvoir mesurer la performance d'une entreprise.

En plus de ces trois critères, il faudrait aussi voir est-ce qu'il y a une diminution des dépenses de l'employeur pour les soins en cas d'accident sur le lieu de travail, ou encore des dépenses associées à des pertes de vie liées au travail. Un autre critère intéressant est le taux d'absentéisme lié à des maladies ou des accidents de travail. Aussi, la sécurité et la santé au travail est bénéfique, non seulement pour les travailleurs parce qu'ils seront en bonne santé et en sécurité, mais aussi pour les employeurs.

En quoi Madagascar fait-il mieux alors en matière de santé et de sécurité au travail ?

Il faut reconnaître que ces dernières années, Madagascar a beaucoup évolué en matière de sécurité et de santé au travail. L'OIT, ici à Madagascar, a mis sur pied le projet Vision Zero Fund (VZF), qui a pour objectif d'atteindre zéro décès, zéro maladie, zéro accident lié au travail. Dans ce sens, nous avons impliqué les partenaires sociaux et abordé beaucoup d'aspects qui font que Madagascar soit envié par d'autres pays aujourd'hui.

L'expérience avec nos collègues de Genève le démontre. Premièrement, sur le plan juridique, c'est l'année dernière que la sécurité et la santé au travail sont devenues un droit fondamental. Douze mois après, Madagascar est déjà prêt à ratifier les conventions fondamentales qui sont liées à ce principe. Ce qui veut dire qu'il y a beaucoup d'efforts pour s'y conformer. Deuxième point, lorsqu'on parle de santé et de sécurité au travail, il faut voir le renforcement de capacité des inspecteurs de travail et des contrôleurs. Il y a 5 ans, la situation de ce corps était préoccupante.

Actuellement, grâce à l'appui de l'OIT et à la volonté du gouvernement, ces inspecteurs de travail et ces contrôleurs sont aujourd'hui, mieux équipés techniquement et matériellement pour faire leur travail. On a même mis sur pied un task force où les inspecteurs de travail dans les régions sont spécialisés dans des secteurs spécifiques comme le travail des enfants, l'informel et d'autres.

C'est un atout pour Madagascar et une expérience que nous partageons avec d'autres pays. Ces inspecteurs sont également dotés de plans stratégiques que l'OIT a aidé à mettre en oeuvre. Cela bénéficie à des milliers de travailleurs. Sur le plan administration du travail, par ailleurs, Madagascar a renforcé ce volet. Que ce soit à l'ENAM ou à l'école des greffiers. Nous avons signé des accords avec eux.

Et aujourd'hui, à tous les niveaux, on a inséré un curriculum sur la sécurité et la santé au travail. Sur le plan purement du renforcement de capacité des travailleurs et des entreprises, nous les avons aussi appuyés. Dans les entreprises, il y a maintenant cette culture de développement et de code de conduite en matière de promotion de la sécurité et de la santé au travail. Dans certaines entreprises où nous intervenons, on parle maintenant de la mise en place de comités pour la sécurité et la santé au travail.

En plus de ça, pour mieux préparer la ratification des trois conventions, Madagascar a déjà développé son profil national de sécurité et santé au travail, disponible sur le site de l'OIT. Grâce à ce profil, Madagascar peut déjà élaborer une politique nationale de sécurité et santé au travail. Dans tous nos projets au niveau de l'OIT, même dans les projets HIMO ou Haute intensité de main d'oeuvre, on essaie d'introduire la sécurité et la santé au travail pour que les travailleurs sur les chantiers puissent bénéficier des avantages et être conscientisés.

Le gouvernement fait aussi beaucoup d'actions avec d'autres ministères pour que cette culture de prévention de la santé et la sécurité au travail soit respectée. Le gouvernement, avec l'OIT a travaillé sur l'amélioration du mode d'intervention des Services médicaux inter-entreprise. Nous avons aussi des collaborations avec la CNAPS pour que cela puisse intégrer leur service. Il y a plusieurs dynamiques et ceci est dû au fait qu'il y a une véritable volonté gouvernementale et cela s'exprime d'ailleurs par le déplacement de son excellence Mr le Président pour ratifier ces conventions.

Le président de la République va effectuer un déplacement à Genève pour la ratification des trois conventions dont vous venez de parler. Quelles sont ces trois conventions et à quoi les travailleurs malgaches peuvent-ils s'attendre après leur ratification ?

Permettez-moi d'utiliser cette opportunité pour remercier Mr le président de la République et aussi le féliciter pour tout ce qu'il fait pour le monde du travail. D'abord, dans le PEM, il y a au moins deux aspects clairs qui concernent le travail décent. Il y a le Velirano numéro 4 sur l'éducation et le Velirano numéro 8 qui concerne le travail décent pour tous.

En 2019, le président de la République a été à Genève pour ratifier ces conventions. Cela démontre un très fort attachement aux valeurs sociales. C'est un très fort engagement du Chef de l'Etat pour la réduction des inégalités. Cette année encore, le président de la République se déplace à Genève. Le déplacement de cette année a deux objectifs.

Premièrement, la participation à un sommet mondial de haut niveau sur la création d'une coalition mondiale pour la justice sociale. Il aura lieu les 14 et 15 juin. Deuxièmement, le président de la République va profiter de l'opportunité pour ratifier quatre conventions. A savoir, la convention 155 sur la sécurité et la santé au travail, la convention 161 sur la promotion des services de santé, la convention 187 sur le cadre promotionnel de la sécurité et de la santé au travail et finalement, la convention du travail maritime de 2006.

Le président de la République a une ferme volonté de travailler pour que les inégalités ici, à Madagascar, soient réduites. Cela est démontré par sa présence à Genève, mais également sur les actions que nous observons sur le terrain en tant qu'OIT. Que ce soit dans le domaine de l'éducation ou celui du travail décent. Nous observons et nous témoignons que le président de la République a une forte volonté et un fort leadership pour oeuvrer pour la réduction des inégalités à Madagascar.

Ce déplacement n'est donc qu'une suite logique de ce que le président de la République a commencé depuis 2019. L'avantage principal de cette visite pour Madagascar est, d'abord, le fait de ratifier ces quatre conventions va montrer au monde entier l'importance que Madagascar accorde, jusqu'au plus haut niveau de l'importance qu'accorde le pays à la sécurité et à la santé au travail. Mais tous ces accords internationaux exigent de plus en plus le respect des principes fondamentaux du droit du travail. Tous ces accords exigent l'inclusion du volet social dans toutes les négociations, qu'elles soient économiques, environnementales, ou commerciales.

Le premier avantage c'est que les investisseurs auront beaucoup plus confiance aux entreprises malgaches. Cela devrait aussi amener des investisseurs au pays, puisque les entreprises malgaches vont bénéficier de cette volonté politique qui se dessine. Cela va aussi donner plus d'impulsion aux grandes institutions financières à se pencher un peu plus sur le volet social.

Quelles sont les obligations qui s'imposent aux pays qui vont ratifier ces conventions?

Évidemment, lorsqu'on ratifie une convention, il faut la présenter au Parlement, informer officiellement le Parlement. Deuxièmement, il y a un guide à suivre pour les pays qui ont ratifié. Une des exigences de la ratification, de ces conventions, est d'élaborer le profil national de sécurité et santé au travail. Madagascar l'a déjà. A partir du profil d'élaborer une politique nationale de sécurité et de santé au travail.

Avec le projet VZF, nous sommes déjà en train de travailler avec le ministère de la Fonction publique, de l'emploi et des lois sociales pour que cette politique puisse être élaborée. Il y a un certain nombre de documents stratégiques à élaborer. Mais là n'est pas l'essentiel. Le plus important est la mise en oeuvre sur le terrain. Donc lorsque Madagascar procédera à la ratification, cela va renforcer les appuis. D'abord, l'inspection du travail dont la capacité doit être renforcée pour aller plus dans les entreprises et vérifier si la santé et la sécurité au travail sont respectées. En plus de la politique, il y a aussi l'inclusion des éléments de ces conventions dans le code du travail.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, cette étape est déjà faite. Dès l'instant où le code du travail sera adopté, ce sera déjà une façon de mettre en oeuvre les conventions ratifiées. Évidemment, élaborer certaines lois ou certains décrets pour amener les entreprises, formelles ou informelles, à adopter des chartes de bonne conduite en matière de sécurité et santé au travail. Mais comme je l'ai dit, Madagascar est sur la bonne voie.

Le mot de la fin

Je tiens une fois encore à féliciter le président de la République pour son leadership en matière de travail décent. Il ne le dit pas seulement, mais il le met aussi en pratique à travers les moyens à sa disposition. Nous reconnaissons ce leadership. Comme je l'ai déjà dit, par ailleurs, la mise en oeuvre de la ratification de ces conventions passe, entre autres, par l'adoption du code du travail qui inclut déjà des dispositifs de ces quatre conventions, mais aussi de la convention 190 sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail qui vise également à réduire les inégalités.

Donc nous invitons le gouvernement non seulement à adopter le code du travail déjà révisé et disponible, mais aussi à ratifier la convention 190 sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail, pour compléter ce schéma global qui vise à réduire les inégalités. Et ces inégalités touchent les femmes, mais également les jeunes et les personnes en situation de handicap. Elles touchent également les travailleurs en milieu rural et dans le secteur informel.

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