Sénégal: Décédé hier à l'âge de 50 ans - Le peintre Douts Ndoye racontait le désordre architectural

10 Juin 2023

L'artiste plasticien sénégalais Mouhamadou Ndoye dit Douts Ndoye est décédé, le vendredi 9 juin 2023, à Dakar, à l'âge de 50 ans. Artiste visuel talentueux, sorti major de la promotion 1999, à l'Ecole nationale des Beaux-Arts, Douts Ndoye, originaire du village lébou de Diender, dans les Niayes, s'est fait connaitre grâce à ses toiles inspirées de l'architecture des quartiers populeux de la Gueule Tapée, de la Médina où il a longtemps vécu.

La nouvelle a surpris plus d'un. Le peintre Mouhamadou Ndoye, plus connu sous le nom d'artiste de Douts Ndoye, est décédé, hier, à Dakar, d'une courte maladie, à l'âge de 50 ans. Il est revenu récemment de Tokyo (Japon) où il a exposé ses oeuvres, toujours de couleurs vives inspirées du désordre architectural des quartiers dakarois de la Gueule Tapée et de la Médina, entre autres.

Sur sa page Facebook, l'artiste originaire du village lébou de Diender Guédj, dans les Niayes, partageait souvent ses nombreuses pérégrinations et son voyage à Tokyo était le dernier panorama offert aux yeux de ses amis. Des images où il racontait sa joie de vivre.

« Ndoye Douts aura gardé son âme d'enfant jusqu'au bout. Une sincérité qui se traduit dans l'immense oeuvre qu'il laisse à la postérité. Repose en paix, cher Ami », a témoigné d'ailleurs Oumar Sall, formateur culturel et parmi un des nombreux amis du défunt plasticien. « Notre ami, frère, camarade de tout, a construit « un bahut » dans son village Diender. Lui, le jeune artiste, qui a grandi avec tous ses repères du terroir malgré sa passion pour l'urbanité. Il voulait que son art serve à la terre de sa famille », a également posté l'artiste multidisciplinaire Fatou Kandé Senghor. « Grand tu m'avais dit qu'à ton retour du Japon on se verra... Réveil brutal, journée sombre, coeur lourd. Grand Ndoye Douts nous a quitté... Un homme généreux, humble. Il a beaucoup contribué à notre carrière », a aussi confié sur la toile l'artiste rappeur et producteur Simon Kouka.

%

C'était cela Douts Ndoye. De la candeur d'un terrien et de la générosité citadine. À l'époque, dans sa chambre « d'étudiant » lui servant également d'atelier, louée au quartier de la Gueule Tapée, on pouvait apercevoir ses amis artistes, ceux rencontrés à l'Ecole nationale des Beaux-Arts de Dakar ou ses aînés dans le milieu, défiler à longueur de journée : Soly Cissé, Pi Niang, Samba Fall, Barkinado Bocoum, Tounkara Grand-Père, Kan Sy, Aïcha Aïdara, Pape Seydi, Khadi Sow, Cheikha Siggil, Cheikhou Ba, entre autres. La liste est longue, on en oublie, tant Douts Ndoye, alors sorti fraichement des Beaux-Arts, était ouvert d'esprit.

« Pas assez de mots pour pouvoir exprimer cette infinie tristesse, ce grand désespoir d'apprendre ta disparition soudaine, mon ami. Un grand artiste, un frère, une si belle personne, fine, généreuse et irremplaçable. Dakar, la Médina, et le monde de l'art contemporain sont orphelins. Je pense à toi, cher Douts, et à toutes les personnes que tu as croisées et auxquelles tu as apporté de la joie et de l'intelligence. À tous ceux qui ont vu dans tes dessins si fins, tes toiles si subtiles, la tendresse et la fragilité de l'existence. Trop tôt, si tôt. Trop tôt encore pour les mots » a si bien écrit Olivier Sultan, directeur de musée et ami français de l'artiste disparu.

THÈMES SUR LES QUARTIERS DÉFAVORISÉS

Au début des années 2000, Douts Ndoye alors fraichement diplômé, connaît un début de notoriété dans le milieu des arts visuels et déjà une certaine expérience de la Biennale Dak'art en exposant cette année dans la série « Un artiste, une oeuvre, une carte » à côté de onze autres artistes plasticiens. Il a aussi participé, durant cette même Biennale 2000, au Salon de la Jeune création plastique sénégalaise. Lors de l'édition 2004, Douts Ndoye remporte le Prix des expositions « Off » du Dak'art, récompense tout juste initiée par les organisateurs.

Au-delà de cet évènement majeur qu'est la Biennale de Dakar, ses tableaux séduisent des mécènes ou galeristes venus de divers horizons et sont exposés à Bamako, à Paris, en Belgique, en Italie, etc. Le jeune artiste plasticien a même reçu deux Prix de la Presse avec son film documentaire « Train-train de la Médina » réalisé à partir de ses tableaux d'art, au festival du Film de Quartier de Dakar et au festival « Vues d'Afrique » de Montréal. Dans ce documentaire, Ndoye y développe son thème préféré, la vie dans les quartiers défavorisés, les bidonvilles populeux.

Douts Ndoye est du lot de ces jeunes artistes plasticiens qui ont fait leur petit bonhomme de chemin avant de pouvoir vivre de leur art. Lors d'un entretien, il confiait que les jeunes peintres doivent d'abord faire accepter à leur entourage le choix de leur passion : l'Art. Ensuite, convaincre, par leur talent, les mécènes et les galeristes du monde artistique.

C'est dès la classe de Première au lycée Blaise Diagne de Dakar que Mouhamadou Ndoye a choisi son chemin, celui de l'Ecole nationale des Arts. « Mon professeur d'éducation

artistique me disait souvent que j'avais la main. Et j'ai tenu à faire le concours pour entrer aux Beaux-Arts », nous racontait l'artiste. Un choix irréversible, selon Douts Ndoye. Mais il fallait l'expliquer aux parents qui, souvent, ont une certaine conception négative de l'art et des artistes. Les belles couleurs de ses oeuvres feront le reste.

L'ART AU SERVICE DE L'AUTRE

L'artiste peintre était plutôt versé dans le collage. Les couleurs vives des toiles de Douts Ndoye donnaient une vie aux bidonvilles qu'il représente pêle-mêle dans ses toiles. Les matériaux utilisés, du carton, des coupures de journaux, à la limite rudimentaires, s'allient à

merveille à ses pastels : « J'aime représenter le désordre architectural, l'accumulation des individus dans les bâtiments. J'y pénètre pour mieux faire voir... ».

Déjà, élève à l'Ecole nationale des arts, Dout's séduisait par sa technique. Il nous révélait tout fier d'avoir vendu sa première toile d'une manière fortuite : « Un Directeur de société a remarqué une de mes oeuvres chez le menuisier chargé d'y mettre un cadre, me l'a achetée à 150.000 FCfa ». C'était le déclic chez l'élève plasticien ! Avec cette somme, il a acheté du matériel de travail.

Sorti de la promotion 1999 de l'Ecole des Beaux-Arts de Dakar, Douts Ndoye, est d'abord exposé par un commandant de la DA-160 de l'Armée française à Ouakam. Ce dernier, ayant découvert certaines des oeuvres du peintre, à travers une exposition d'école, décide de lui donner un coup de pouce. Le militaire, lui-même, formé aux Beaux-arts de Paris, entretien une galerie virtuelle sur le net. D'où la facilité pour Douts Ndoye d'avoir ses toiles en ligne. Des contacts de galeristes du Canada, du Brésil s'en suivent. Au Sénégal, les contacts ne manquent pas non plus pour le jeune peintre plasticien.

À Dakar, la Biennale 2000, le révèle au grand public. Les expositions collectives lui permettent de rencontrer d'autres sensibilités. « J'aime bien la critique, le regard que les autres portent sur mon oeuvre. Certains épousent mes idées. Mais, je me dis qu'un artiste ne doit pas s'inspirer de quelqu'un, de risque d'être étouffé dans sa création. Ainsi, je tiens à m'exprimer librement... », disait-il.

Le musée de l'Ifan de la place Soweto et le Centre culturel Blaise Senghor accueillent les oeuvres de l'artiste débutant aux côtés de celles de ses camarades de promotion de l'Ecole des Arts, Samba Fall et Aïcha Aïdara, autour de l'exposition « L'Art en faveur de l'éducation » d'Afro-Panorama, une association de Noirs de la Diaspora basée aux Etats-Unis. Ces deux expositions étaient surtout destinées à venir en aide aux enfants déshérités.

À ses débuts, Douts Ndoye a collaboré avec une dizaine d'autres jeunes plasticiens au sein de l'association « Art'Express » intervenant en faveur des enfants. C'est dans le cadre de cette association qu'ils ont animé des ateliers de peinture au centre Talibou Dabo de Grand Yoff, à l'Institution Mariama Bâ de Gorée, à Enda Ecopole et à Ziguinchor, toujours en faveur des enfants. C'était une manière pour ces jeunes artistes plasticiens de Dakar de prouver, quoique animés du désir de concrétiser des perspectives et des voyages sur le tard, que la peinture était d'abord pour eux une passion...

DÉCÈS DE MOHAMADOU NDOYE DIT « NDOYE DOUTS »

Le ministre de la Culture salue les qualités humaines du défunt artiste

Aliou Sow, ministre de la Culture et du Patrimoine historique, a fait part, hier, de sa « vive émotion » en apprenant le décès du peintre sénégalais Mohamadou Ndoye, dit « Ndoye Douts », des suites d'une courte maladie. Selon lui, comme Ndary Lo, il y a six années déjà, il s'agissait d'un « grand » artiste. « Connu pour le regard juste et vrai, posé sur la cité de la Médina pour ce qu'elle est, à travers sa vie palpitante, ses quartiers et chaumières en désordre, Ndoye Douts était âgé seulement de cinquante (50) ans. Pur produit de l'Ecole nationale des Arts, les questions liées à l'habitat et à l'urbanisation étaient son terrain de prédilection. Sur cette thématique de la ville, ses oeuvres sont exposées à travers le monde, dans les grandes galeries, les biennales et foires d'art internationales. Sa création a été documentée par d'éminents critiques d'art », a déclaré le ministre dans un communiqué.

De son point de vue, « au-delà de la reconnaissance, aux niveaux national et international, de son travail d'une grande beauté et de son amour pour l'art, Ndoye Douts était remarqué par ses qualités humaines que sont l'humilité, la disponibilité et la générosité et par son investissement en faveur de la vie au sein de la communauté et d'une politique de la ville pensée ». Pour exemple, Aliou Sow a cité la contribution dans l'Espace médina, centre d'art urbain contemporain et dans son terroir de Diender où il est retourné. Enfin, le ministre de la Culture a présenté ses condoléances à la famille de l'artiste et à la communauté artistique, au nom du Président de la République et de la nation sénégalaise tout entière...

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.