Sénégal: Suspension de walf tv - Casser le thermomètre ne fera pas baisser la fièvre

Wal Fadjri, quotidien d'informations publié par le groupe Walf
analyse

C'est sans doute l'une des conséquences des chaudes journées qui ont suivi la condamnation du leader des Patriotes africains du Sénégal pour l'éthique et la fraternité (PASTEF), Ousmane Sonko, pour « corruption de la jeunesse ».

La diffusion des programmes de Walfadjiri, plus communément connu sous le nom de Walf TV, a été suspendue pour 30 jours pour compter du 1er juin à 15 heures au 1er juillet à 15 heures.

Les motifs avancés par le ministre de la Communication, des télécommunications et de l'économie numérique, Moussa Bocar Thiam, pour couper le signal de cette télévision qui constitue l'un des pionniers en termes de médias télévisuels au Sénégal, sont : « la diffusion d'images de violences, exposant des mineurs, accompagnées de propos subversifs et haineux portant atteinte à la stabilité de l'Etat ».

Cette décision qui n'est pas la première pour ce média qui avait déjà écopé, presque pour des motifs identiques, d'une suspension de diffusion de 7 jours au mois de février dernier, constitue, à n'en pas douter, un coup dur pour les travailleurs de la chaîne.

Le pays de la Teranga amorce une courbe très dangereuse

En effet, selon le directeur de Walf TV, « c'est un gros préjudice au niveau des finances parce que Walfadjiri, avant d'être un groupe de presse, est une entreprise tout court, avec des salaires fixes ».

C'est donc dire que si l'on avait voulu abattre ce fleuron de la télévision au Sénégal, l'on ne s'y serait pas pris autrement. Le plus grave n'est cependant pas les difficultés financières de Walf TV avec tout ce que cela implique comme conséquences sociales pour les travailleurs, mais plutôt les atteintes régulières à la liberté de presse sous le président Macky Sall, que vient confirmer cette nouvelle censure.

En effet, le Sénégal, sous le régime actuel, a connu plus d'actes visant à museler la presse que sous tout autre régime. Poursuites, arrestations et embastillement de journalistes, fermeture de médias, dégradation des conditions de vie des travailleurs de la presse, tout y passe.

La conséquence en est que le Sénégal a dégringolé dans le classement des pays en matière de liberté de presse. En effet, selon le classement annuellement fait par Reporters sans frontières (RSF), le pays a chuté de 31 places en une année, passant de la 73ème place en 2022, à la 104ème place en 2023.

Le Sénégal est aujourd'hui classé parmi les 55 pays où l'exercice du journalisme est devenu « problématique ». Et ce n'est pas cette dernière décision à l'encontre de Walf TV, qui viendra corriger l'image déjà écornée de ce pays qui constituait, jusqu'à une période récente, une exception démocratique en Afrique de l'Ouest.

L'on a beau être un sympathisant et défenseur du président Macky Sall, le constat est clair : Le pays de la Teranga amorce une courbe très dangereuse : celle de la dérive totalitaire et cela ne peut être imputable qu'à celui qui tient les rênes du pouvoir. Mais en installant les médias dans son collimateur, l'on peut affirmer, sans risque aucun de se tromper, que Macky Sall se trompe de combat.

Les médias sénégalais doivent prendre conscience de l'évolution de leur contexte de travail

En effet, il est tout à fait certain que ce n'est pas en cassant le thermomètre qu'il fera baisser la fièvre. Ce qui est en cause ici, ce n'est pas le traitement de l'information par Walf TV qui a fait son travail de couverture des derniers évènements au Sénégal, comme cela se ferait dans toutes les démocraties du monde, mais plutôt la gestion politique contestée du pays qui a été à l'origine des violences rapportées par le média.

Walf TV n'est donc qu'un bouc-émissaire et ce n'est pas en le conduisant à l'abattoir comme un mouton de la Tabaski, que l'on arrêtera le pourrissement de l'atmosphère politique au Sénégal, qui ne cesse d'aller de Charybde en Scylla depuis que Macky Sall entretient le mystère autour du 3e mandat à la tête du pays et qu'il aurait mis un plan, comme le soupçonne l'opposition sénégalaise, pour monter une cabale judiciaire contre Ousmane Sonko qui constitue un opposant sérieux à même de contrecarrer son projet. C'est donc dire, en un mot comme en mille, que la seule alternative pour soustraire les scènes de violences des petits écrans, est de faire en sorte que ces violences n'aient plus lieu.

Et pour cela, le peuple sénégalais a clairement défini ses attentes vis-à-vis du pouvoir. Cela dit, les médias sénégalais doivent prendre conscience de l'évolution de leur contexte de travail et ne pas donner des verges pour se faire fouetter. Tout en étant attaché au traitement professionnel de l'information, ils doivent faire preuve de prudence et de responsabilité dans ces moments particuliers où le pays semble installé dans une spirale de violences, au risque effectivement de contribuer à attiser le feu.

En attendant, l'on ne peut que compatir à l'épreuve douloureuse que traverse le confrère Walf TV et souhaiter que cette sanction ne lui attire que la sympathie des Sénégalais et des amis de la liberté de la presse pour lui permettre de rebondir et apporter sa pierre à l'édification d'un Sénégal prospère, dans la continuité du legs des pères fondateurs du pays que sont Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf.

AllAfrica publie environ 600 articles par jour provenant de plus de 110 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.