Ile Maurice: À la conquête du Pieter Both

Tous les randonneurs aspirent à se retrouver sur la tête de cette majestueuse montagne pour satisfaire un désir de conquête, tutoyer les nuages et surtout avoir une vue imprenable sur une bonne partie du pays. Mais cette ascension, réalisée pour la première fois par un Français, Claude Peuthe, en 1790, n'est pas une promenade de santé.

La légende de Pieter Both, une pièce de Mélanie Pérès, mise en scène par Asish Beesoondeal, sera présentée au Caudan Arts Centre en juillet. Elle raconte en fait une vieille légende sur cette montagne à l'effet qu'un laitier du village de La-Laura, pris de fatigue après sa tournée, s'était réfugié dans une cave pour s'endormir. Et qu'il fut réveillé par des chants de fées qui dansaient.

Spectacle féerique auquel il pourrait assister autant de fois qu'il le désirerait à condition de garder secret cet événement. Il ne tint pas sa promesse et, comme suprême sanction pour son indiscrétion, les fées l'ont «gonflé» à tel point que c'est sa tête qui se retrouve au sommet de cette imposante montagne. Cette histoire a été transmise de génération en génération et alimente ainsi la mystérieuse légende aussi bien que les fantasmes du randonneur.

Pieter Both, l'ancien gouverneur de Batavia, né en Hollande en 1568, et dont la flotte de quatre navires, en route pour sa mère-patrie, avait été drossée sur les récifs de Baie-du- Tombeau, où il a trouvé la mort le 6 mars 1615, aurait été surpris d'apprendre qu'une majestueuse montagne de 823 mètres, la deuxième plus haute à Maurice après le Piton de la Petite Rivière Noire' (828 mètres) porte son nom d'abord, alimente tous les désirs de conquête, participe à la légende locale et surtout contribue à notre attrait touristique grâce à sa promotion carte postale au même titre que le toit rouge de la chapelle de Cap-Malheureux.

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Le Pieter Both est devenu l'objet de toutes les convoitises tant pour les touristes grimpeurs et randonneurs que pour nous, pour satisfaire un désir de conquête parce qu'il apparaît, a priori, dangereux, inaccessible et surtout enveloppé de mystère. Au même titre que les '7 Cascades', dont l'attrait relève de la fascination qu'elles exercent.

Le drame de 1971

Toutefois, il convient de rappeler que cette escalade du Pieter Both comporte de risques réels ; que c'est loin d'être une promenade de santé et partant, qu'il est impérieux de prendre des précautions : celle de retenir les services de guides agréés, aguerris à ce type de sport. Les accidents ont été nombreux sur cette montagne et y est attaché au moins un douloureux souvenir.

C'était le 1er janvier 1971, quand Lewis Mangar (un professeur de géographie) qui avait à peine 30 ans l'époque et des amis ont été frappés par la foudre : bilan trois morts et une grosse opération de la SMF pendant six jours pour retrouver le corps d'une victime qui était tombée dans un ravin de 300 pieds. Depuis, Lewis Mangar, marqué par la mort de ses proches, n'y est retourné qu'une seule fois. Il a aujourd'hui 80 ans et jouit d'une paisible retraite. Je lui téléphone de temps en temps (comme je l'ai fait jeudi dernier) pour lui rappeler que c'est grâce à lui que j'ai escaladé cette montagne quand j'étais encore adolescent et élève au Collège de Boucherville à Rose-Hill où il enseignait la géographie dans les années 60.

Les guides agréés comme Olivier Bourquin - (directeur de 'Otelair') et Kris Hurdowar (directeur de 'Vertical World Adventures') - hyper-diplômés avec de solides formations en montagne à la Réunion et en France, mettent tous les randonneurs en garde. Il est impératif de se faire accompagner. «Grimper une montagne ou descendre un précipice pour aller vers une cascade peut être à la portée de quelqu'un qui est en bonne condition physique ; mais en cas d'accident (même mineur comme une entorse ou une petite fracture), il faut tenir en ligne de compte le temps que l'on prendra pour retourner afin que la personne puisse avoir les premiers soins. En cas d'urgence au sommet du Pieter Both, ramener un blessé peut prendre une a six heures», prévient Kris Hurdowar.

Pour Olivier Bourquin, qui grimpe le Pieter Both une ou deux fois par mois, la sécurité est une absolue priorité : «Il faut que l'on soit inconscient pour aborder de telles randonnées sans un guide expérimenté. Le danger est présent à tout moment. Grimper n'est pas une compétition. Chacun va à son rythme. On le fait selon ses aptitudes mais accompagné, au cas où.

Seul le guide peut évaluer les risques et les dangers», explique-t-il. «Avoir des cordes et autres outils pour escalader ne donnent pas la garantie de sécurité. Posséder un scalpel ne fait pas de vous un chirurgien», précise encore Kris Hurdowar. Il met en garde contre les ancrages abusifs et autres installations d'échelles ou de chaînes pour faciliter l'escalade du Pieter Both au nom de la protection de l'environnement, car il ne faut pas oublier la faune exceptionnelle qui s'y trouve.

Philippe La Hausse de La Louvière, historien, écrivain, qui escalade en ce moment les montagnes en Autriche, raconte, pour sa part, sa conquête du Pieter Both en 1980 en ces termes : «Ça a été un grand moment. Mon épouse et moi, nous l'avons escaladée deux fois dans les années 80 sans cordes et à l'époque, les grappins étaient rouillés.

La conquête du Pieter Both fascine toujours. Et son escalade demeure la meilleure de Maurice.» Cela dit, tous ceux qui ont escaladé le Pieter Both, au moins une fois dans leur vie, en ont gardé un souvenir impérissable. Presque 60 ans plus tard, quand je contemple tous les jours cette majestueuse montagne, j'ai encore le sentiment d'une mission impossible d'accomplie, d'un souvenir à chérir ; bref d'un dépassement de soi à en être fier. Avec l'espoir peut-être, avant qu'il ne soit trop tard, de le refaire un jour !

Des jeunes à l'assaut

Pour l'heure, les jeunes qui l'ont fait, à l'instar de Joey Jean-Jacques Sauzier (enseignant au Collège St. Mary's), et son épouse Zorah Fatemah (support agent à Total Énergies et passionnée d'équitation), tous deux 35 ans, pas plus tard que le 21 mai, en garderont un souvenir à vie. Une randonnée en couple est toujours une expérience enrichissante. «Nous avons attendu quelque temps pour avoir une météo favorable. Il nous fallait le faire parce ce que, comme dit l'alpiniste George Mallory, 'la montagne est là'. Et puis, celui qui s'élance vers le sommet le fait avec un esprit de conquête ; pour enfin dire 'je l'ai fait'. On a aussi le sentiment de monter vers la lumière», nous dit Joey.

Meenakshi Putty, 40 ans, (consultante en marketing digital et communication), passionnée de randonnées, comme son compagnon Arnaud Godere de 'Netwalking.mu', avait escaladé le Pieter Both dans le passé jusqu'à l'épaule. Avec Kris Hurdowar le 21 mai, elle a pu franchir le dernier cap et accéder à la surface plate pour contempler le paysage.

Elle y est allée, parce que comme disait John Muir, «The mountain is calling, I must go.» «C'est tout d'abord l'attrait de l'aventure, de la conquête. Grimper sur la tête du Pieter Both est l'apogée de l'aventure. Debout sur ce sommet a été un moment magique. Une symbiose avec la montagne, une tranquillité de l'esprit qui apaise l'âme. J'ai pu ainsi repousser mes limites, vaincre mes peurs et surtout avoir confiance en moi. J'éprouve maintenant un sentiment d'euphorie et de fierté», clame Meenakshi qui randonne les dimanches avec sa mère Sooneetee (75 ans).

La montagne Pieter Both hantera toujours l'esprit des randonneurs pour ce qu'elle représente de mystère. Le personnage de même, un tantinet Harrison Ford de l'Arche Perdue. Une équipe d'archéologues français, lors d'une plongée en 1979, avait découvert l'épave de son navire La Banda dans lequel ils ont retrouvé un astrolabe et de la vaisselle d'origine chinoise.

Selon Jean-Marie Chelin dans son Histoire Maritime de l'Ile Maurice, Récits et Anecdotes, il n'est pas rare, de temps en temps, de retrouver des morceaux de cette vaisselle sur les plages d'Albion. À ce titre, lors d'un diner chez Tristan et Marie-Noelle Bréville à leur domicile d'Albion avec Gorah Patel en avril 2018, il nous fit l'amitié de nous en offrir quelques morceaux.

C'est une manière de perpétuer la mémoire de Pieter Both et de figer cette montagne davantage dans l'éternité. À moins qu'elle ne trouve une soeur jumelle, un de ces jours, grâce à l'indiscrétion d'un autre laitier.

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