Tunisie: TPour qui roule la BCT? (3e partie)

12 Juin 2023
tribune

Sans le démentir et concernant la dimension «scientifique» de la politique monétaire menée par la BCT, il faut savoir que l'économie n'est pas une science au sens de «les mêmes causes produisent les mêmes effets» comme c'est le cas pour la physique ou la chimie ou la biologie, etc., mais une science humaine parce que la validité des différentes théories économiques dépend avant tout de la rationalité du comportement des agents économiques, de la psychologie sociale, de la sociologie et même de la religion dominante (nous connaissons tous la fièvre de consommation qui s'empare de tous les Tunisiens durant le mois de Ramadan et qu'aucune loi ou modèle économique ne peut expliquer)

A titre d'exemple, tous les manuels d'économie indiquent qu'une augmentation du prix d'un bien engendre une baisse de sa consommation, mais cela ne se produit pas toujours. En effet, lorsque les consommateurs pensent à tort ou à raison que l'économie est entrée dans un cycle inflationniste que le gouvernement sera impuissant à maîtriser dans le court terme, ils anticipent une inflation plus rapide dans le futur et ont tendance à accélérer leur consommation qui croit à court terme au lieu de baisser en épargnant moins ou en vendant des actifs réels (c'est ce que Keynes appelle «l'effet d'anticipation» que les monétaristes ne prennent pas en compte et qui fausse les calculs et tous les modèles économétriques utilisés par la BCT et explique pourquoi la consommation intérieure en Tunisie ne diminue pas malgré l'augmentation importante des prix et l'inflation, comme le prouve le fait que l'épargne nationale n'a jamais été ausssi faible (6% du PIB contre 27% en 2010).

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Cette dimension humaine des sciences économiques explique aussi pourquoi il n'y a pas une seule théorie économique mais plusieurs qui préconisent chacune des politiques économiques différentes et quelquefois même contradictoires pour résoudre les mêmes et principales problématiques économiques.

Ainsi, en matière de lutte contre l'inflation, les économistes appartenant à l'école monétariste de Friedman (à laquelle le gouverneur de notre Banque centrale semble appartenir si on en juge par les fondements théoriques de la politique monétaire qu'il applique depuis qu'il occupe cette fonction) préconisent une politique monétaire restrictive sur le marché monétaire et une augmentation du taux directeur en comptant sur l'existence d'une relation mécanique entre la masse monétaire en circulation et le niveau général des prix (ce que les économistes appartenant aux autres courants de pensée contestent).

Les économistes appartement à l'école keynésienne proposent au contraire de démineur du taux directeur pour favoriser les investissements en comptant sur l'existence d'un effet multiplicateur et même accélérateur entre l'investissement et la croissance économique de sorte que la monnaie créée dans ce processus soit peu inflationniste car basée sur un accroissement réel de la production, tandis que les économistes qui appartiennent à l'école néolibérale préconisent de ni augmenter ni baisser le taux directeur qui sert de base pour le calcul du taux d'intérêt mais de laisser le libre fonctionnement du marché fixer celui-ci en lui faisant confiance pour conduire à un taux d'intérêt qui assure l'équilibre entre la sphère réelle et la sphère monétaire de l'économie.

Dans ces débats théoriques, il est clair que les convictions personnelles et l'appartenance du gouverneur de la Banque centrale à telle ou telle école de pensée économique est déterminante pour arrêter la politique monétaire de la BCT car les autres membres du CA sont des représentants des divers ministères (agriculture, industrie, tourisme etc.) qui sont des spécialistes de leur domaine d'activité mais qui n'ont pas une formation économique suffisante pour proposer des politiques monétaires alternatives et ne peuvent en fait qu'avaliser celle proposée par la gouverneur.

Même les deux économistes universitaires que le gouverneur nomme dans son CA le sont sur la base d'affinités idéologiques et d'appartenance à la même école de pensée économique (j'imagine mal un gouverneur qui s'entoure d'économistes qui ne partagent pas ses idées), quand ce n'est pas sur la base d'amitiés personnelles.

Cette analyse critique des dispositions de la loi de 2016, de ses impacts sur l'économie nationale serait incomplète si elle ne se termine pas par des propositions concrètes de politiques monétaires alternatives, car comme le pense certainement la majorité des lecteurs, il est toujours plus facile de critiquer lorsqu'on n'est pas aux postes de commande et qu'on n'assume pas de responsabilités.

N.B. : L'opinion émise dans cette tribune n'engage que son auteur. Elle est l'expression d'un point de vue personnel.

*Economiste, consultant international

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