La pauvreté, humainement scandaleuse au spectacle de la ruine physique et matérielle, peut cependant conserver une sobre dignité tant qu'elle ne sombre pas dans la déchéance morale. Nous avons de l'empathie pour ces milliers d'anonymes réduits à vendre «la petite cuvette de «pirina lena», la brouettée de salades, le «toko» de patates, le bric-à-brac de boulons, la poignée de papier-cadeau» (cf. Chronique VANF, «Président de la pauvreté», 05.06.2023). Mais, que la pauvreté perde cette sorte de supériorité morale, et elle deviendra beaucoup moins sympathique.
Une visite au cimetière des Jésuites, à Ambohipo sur un terrain concédé par Radama II en 1862, offre l'affreux spectacle de dizaines de tombes mutilées de leur grille en fer forgé. Même les croix en béton ploient tristement, amputées de leur armature métallique. À l'entrée du cimetière, l'imposant mausolée en pierre de taille destinés aux premiers missionnaires laisse une dangereuse impression d'abandon.
Il faut craindre que la prédation ne razzie les battants encore debout, même rouillés. La tombe du comte de Louvières, une des plus anciennes qu'abrite ce cimetière, est épargnée sans doute parce qu'elle est un monolithe tout de pierres et de briques.
Ce premier cimetière jésuite est maintenant prolongé par un cimetière dit français qui accueille les cérémonies commémoratives de l'armistice du 8 mai 1945. L'État français y entretient un mémorial symbolisé par trente-cinq petites pierres tombales, désormais anonymes puisque les plaques de cuivre, encore signalées par Philippe Oberlé en 1975, et énumérant les noms de tirailleurs algériens et sénégalais, ont été pillées. Même ici, on prend la précaution de renoncer au fer pour ne pas attirer la convoitise du burin.
Ce mémorial plus récent constitue un prolongement vers l'Ouest, au-delà et en contre-bas du tertre portant une colonne ancienne. Les dates «1867-1896» correspondent à la parenthèse ouverte avec le décès du comte de Louvières, envoyé extraordinaire de Napoléon III, et parachevée par l'adoption de la loi d'annexion du 6 août 1896.
L'inscription, «à la mémoire des officiers, sous-officiers, caporaux et soldats morts pour la France en 1893-1896», également rapportée par Philippe Oberlé, aura disparu : ne subsiste décidément que ce qui est gravé dans la pierre : «Aux morts pour la patrie».
Cette partie-là affiche négligemment la netteté de son parfait entretien. Tout semble propret, et surtout intact. Les pierres tombales n'intéressent pas (encore) les voleurs. Les gravures font l'économie d'un support subtilisable pour s'imprimer directement dans le granite.
Il faut croire également que la peur immanente d'un gendarme français (pourtant invisible) est plus dissuasive que la présence fantomatique d'un gardien malgache esseulé. Ici, le RIP (requiescat in pace) convenu ne fait pas pour autant dormir tranquille.