"Aujourd'hui ce qui arrive partout peut être vu et entendu partout"
Plus répandu, plus violent et désormais ouvertement assumé comme à ses débuts en 2012, le terrorisme sahélien se poursuit sans répit à travers la région. Inexorablement transformé en guerre de plus en plus ethnique, il s'ancre au-delà du centre du Sahel, sa base première. Il s'étend et jouit désormais d'un accès plus facile aux côtes de la Mer Rouge et donc aux livraisons plus aisées d'équipements militaires et d'exportations de son or.
Vigoureuse et meurtrière au Soudan depuis plus de deux mois, la violence armée est déjà structurelle en Libye, comme elle l'est à la frontière commune du Burkina Faso et du Mali. Les brefs répits, autant que les violences arbitraires contre les civils des "zones de non droit", confirment l'ancrage continu du conflit sahélien. Comme ceux de Somalie, du Yémen et d'Afghanistan. Il s'enracine. Des réalités avérées mais des réponses toujours en panne.
Des réalités avérées.
L'une des principales forces du terrorisme est la longueur d'avance qu'il arrive souvent à acquérir sur les pouvoirs locaux ainsi que sur la communauté internationale. Pendant qu'il se dissimule encore et est donc ignoré, voire sous-estimé par tous, il forme et place ses représentants en position stratégique dans la société. Ainsi au niveau local il encourage des pratiques religieuses que la tolérance sociale au Sahel a écarté depuis des siècles : port forcé du voile, y compris dès le très jeune âge, séparation femmes hommes et respect militaire de ses chefs politico religieux locaux.
De ces derniers, il en fait des notables de province, puis du pays voire de la région. Face aux partis uniques, ancrés au pouvoir, les partis islamiques réussirent à trouver la parade leur permettant de s'imposer en entrant par la fenêtre. Ils rendent les politiques dites d'éradication très couteuses voire impossible à exécuter par les forces de l'ordre. Au niveau africain, avec des méthodes de luttes différentes mais des résultats sécuritaires certains, seuls l'Algérie, le Maroc et l'Ouganda, sont arrivés à gérer la radicalisation et le terrorisme.
La bande sahélienne qui s'étend des confins méridionaux du Maghreb aux Savanes et des côtes de l'Atlantique à celles de la Mer Rouge est une terre historique d'échanges et de mouvements de personnes, d'idées et de biens. Elle est aussi la zone de prédilection de ce terrorisme contemporain. Un terrorisme plus souvent de rébellion contre le statu quo, les injustices et des pratiques gouvernementales que de radicalisme religieux. Un terrorisme dont le commerce informel, voire illégal, constitue une de ses sources de financement et de blanchiment des fonds. Un commerce socialement accepté et politiquement admis par plusieurs pouvoirs dans la région.
Dans ce contexte social et politique fluide et souvent informel, la mise en oeuvre d'une dissuasion crédible contre le terrorisme n'est pas pour demain.
Vivre avec le terrorisme.
Partout où il a sévi, le terrorisme religieux s'est montré réfractaire à toute dialogue ou négociation et en particulier avec les gouvernements locaux. C'est tout le contraire du terrorisme d'Amérique latine des années 1970 et même de celui d'Europe de la même décennie. Après des réformes politiques, économiques et sociales dans la région, les terrorismes politiques, Tupamaros et autres groupes armes, ont cessé les violences sauf en Colombie où d'autres réalités, sans doute le trafic de drogue, prévalaient. Ces terrorismes, essentiellement politiques, de gauche comme ceux de la Bande à Baader et des Brigades Rouges respectivement en Allemagne et en Italie, ont abouti à la démocratisation de l'Amérique latine. Ils ont alors disparu de la scène publique.
Au contraire, les terroristes du Sahel, se réclamant d'une orientation religieuse comme ceux de Afghanistan et de Somalie, s'intéressent peu à l'économie, sont conservateurs sociaux et ne pensent guère à déposer volontairement les armes. Ni avant ni après des négociations avec les gouvernements. Malgré les attentats spectaculaires et meurtriers, en Amérique, Asie et Europe, la grande masse de leurs victimes globales est principalement formée de leurs coreligionnaires. Convaincus que Dieu est de leur côté, ils ne croient guère au dialogue ou à la négociation mais à leur victoire finale.
Au Sahel, ce terrorisme est actif au moins sous deux organisations connues. Le Groupe de Soutien à l'Islam et aux Musulmans, (GSIM), qui se proclame d'une affiliation à AQMI et celui de l'Etat Islamique dans le Grand Sahel (EIGS) lié à l'Etat Islamique ou EI. Les deux sont soutenus par des lobbies locaux et régionaux. Des lobbies, puissants organisateurs des commerces illicites ou irréguliers et proches des pouvoirs dans certains états.
Ce terrorisme complexe est encore plus dangereux par le futur qu'il prépare pour la région : un Sahel isolé et livré à lui-même. Soit des pays désormais de moindre priorité pour le reste du monde, comme le sont devenus aujourd'hui, des pays tels l'Afghanistan, la Somalie ou le Yémen.
Des états affaiblis et où, avec l'insécurité, prospèrent des commerces et des trafics lucratifs pour le bénéfice de leurs seuls sponsors. Des importations nationales dont les véritables destinations sont les états voisins prospèrent. Des exportations nationales, très inférieures aux quantités et aux prix réels, apportent moins aux budgets nationaux. Pire, le tout avec une continuelle dégradation de la nature et de l'environnement en particulier dans les pays côtiers.
Au niveau international la généralisation du "politiquement correct" oblige à ne pas faire de commentaires et encore moins de condamnations de ces pratiques ruineuses. Compréhensible le "politiquement correct " freine toute politique extérieure de coopération qui dénonce ou simplement expose aux opinions publiques des pratiques douteuses. Même venus d'alliés, les appels internes et externes à des efforts de transparence et de lutte contre la corruption généralisée restent mal perçus. Souvent installés dans des pays voisins, des parrains financent ce statu quo meurtrier pour leurs propres compatriotes et pour leur propre région.
La combinaison de crises internationales majeures, chaudes ou froides - guerre en Ukraine, guerre civile du Soudan avec ses futurs impacts sur les eaux du Nil entre Egypte et Ethiopie, concurrence USA / Chine, relègue la visibilité naguère accordée au Sahel. Elle laisse plus de champ politique libre au terrorisme régional. Il y joue, comme le font aussi les régimes en place, sur un patriotisme bon marché: la dénonciation des présences économiques étrangères souvent perçues comme des témoins gênants.
Peu de place y est laissée à la coopération internationale telle que pratiquée avec succès depuis des décennies par Singapour et plus récemment et aussi avec succès par les Emirats Arabes Unis, le Qatar et maintenant l'Arabie du Prince héritier Mohamed Ben Salman. Des exemples qui devraient inspirer bien plus que l'extrémisme et les incertitudes mortelles qui lui sont inhérentes dont, après bien d'autres, le Soudan est le dernier tragique exemple.
In fine des incertitudes nourrissant une insécurité constante sont les pires ennemis du Sahel.
Président centre4s.org