Cameroun: Mgr Dr Claude Lah - « J'ai été interpellé par la détresse sociale infligée au Cameroun »

interview

Dans une interview exclusive, l'évêque de l'Eglise l'Eglise Vieille-Catholique Apostolique (Evicac) du Cameroun, l'homme de Dieu apporte la lumière sur cette église et parle de ses actions sociales menées au Cameroun.

Mgr, des Camerounais veulent davantage avoir des précisions sur l'Eglise qui vous a porté Evêque (son historique, sa présence au Cameroun, les valeurs qu'elle promeut) entre autres ?

Après 21 ans de sacerdoce en France et au Cameroun, c'est le 22 mai 2021 que j'ai été validement sacré évêque de l'Eglise Vieille-Catholique Apostolique (Evicac) du Cameroun. L'histoire des vieux-catholiques a débuté quand certains catholiques ont refusé de souscrire aux dogmes du concile de Vatican I en 1870 qui accordaient au pape une primauté de droit divin sur toute l'Église et l'infaillibilité sur la foi et les mœurs.

Cette opposition des « vieux-catholiques » (qu'on appelle ainsi du fait de leur attachement à l'Ancienne Église, la primitive Église) amena leur excommunication. Ils créèrent alors un peu partout dans le monde des associations de « catholiques-libéraux » qui donnèrent naissance par la suite à des Églises vieilles-catholiques.

Dans un premier temps les vieux-catholiques se refusèrent à lutter « autel contre autel », mais par la suite, la décision fut prise de créer des paroisses vieilles-catholiques.

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Un programme fut mis en oeuvre qui comportait les premières mesures et les réformes de l'organisation de l'Église vieille-catholique : la suppression des « pires abus du catholicisme » de l'époque comme le droit d'étole, les honoraires de messes, l'exagération du culte des saints, l'usage des indulgences, des scapulaires, des médailles bénites, etc ; la création d'une commission de dialogue avec les Églises orthodoxes et anglicane pour rétablir l'unité ; l'adoption d'une constitution synodale et épiscopale inspirée de l'Église ancienne.

C'est sur ces principes débattus et approuvés aux congrès vieux-catholiques internationaux entre 1871 et 1873 que les Églises vieilles-catholiques se sont constituées. Ces congrès amenèrent aussi un rapprochement avec l'Église vieille-catholique des Pays-Bas (l'Église d'Utrecht), une Église séparée de Rome depuis le 18e siècle où elle avait été le refuge des jansénistes exilés après la condamnation du jansénisme et de Port-Royal.

Ce qui lui vaudra à cette Église d'être accusée de jansénisme par Rome. Dans ce contexte, après une longue période de vacance du siège métropolitain d'Utrecht, le chapitre a alors procédé, selon l'ancien usage, à l'élection d'un nouvel archevêque en 1723 qui a été ordonné par un évêque missionnaire français, Mgr Marie-Dominique Varlet.

D'autres Églises vieilles-catholiques se sont constituées à la fin du 19e et au début du 20e siècle en Pologne, en Croatie, en République Tchèque, au Cameroun, etc. Elles constituent ensemble l'Union d'Utrecht, une communion ecclésiale ; L'union d'Utrecht et la Communion Anglicane sont en pleine communion depuis 1931. Un groupe de travail permanent existe entre les deux Communions ecclésiales (Aocicc) ; l'Union d'Utrecht et les églises orthodoxes ont établi un dialogue théologique qui a abouti à la publication du document « Koinonia sur la base de l'ancienne Eglise » (1987).

Un groupe de travail permanent existe sous la tutelle du Patriarche oecuménique de Constantinople et la Conférence internationale des évêques vieux-catholiques ; l'Union d'Utrecht et l'Eglise catholique romaine ont établi un dialogue théologique après le Concile du Vatican II. Une commission mixte a été instituée par le Conseil pontifical pour l'Unité des chrétiens et l'Union d'Utrecht.

Ce qui a abouti à la publication du document « Église et communion ecclésiale » (Cf. ISTINA, n°1/2012) ; l'Union d'Utrecht et l'Eglise (luthérienne) de Suède ont établi un dialogue qui a abouti à l'établissement de la pleine communion ecclésiale entre les deux Eglises en 2016.

Il ressort de ce bref parcours historique que quoique, actuellement, séparées de l'Église Catholique Romaine, de nombreux éléments de sanctification et de vérité de l'unique Église du Christ subsiste également dans les Églises Vieilles Catholiques parce qu'elles restent unies à Rome par le lien de la succession apostolique et l'Eucharistie valide.

De plus, comme l'a souligné le pape François lors de sa rencontre avec les évêques vieux catholiques de l'Union d'Utrecht, le 30 octobre 2014 à Rome, « Catholiques et vieux-catholiques peuvent collaborer, en tentant de répondre à la profonde crise spirituelle qui frappe les individus et la société », pour se faire, « nous pouvons nous soutenir et nous encourager réciproquement, surtout au niveau des paroisses et des communautés locales ».

Vous êtes le tout premier évêque issu des peuples bangangté et bamoun. Comment ces deux terroirs peuvent-ils capitaliser cette promotion que l'Eglise a bien voulu vous porter ?

Si je suis le tout premier fils des peuples Bangangté et Bamoun à accéder à la dignité épiscopale, par la grâce de Dieu, je rends d'abord grâce au Seigneur qui m'a choisi alors que j'appartiens à une famille que rien de particulier ne prédisposait à accueillir en son sein une telle distinction. Ceci dit, je souligne que je ne suis pas l'évêque des Bangangté ou des Bamoun.

Je suis un évêque de l'Eglise du Christ envoyé pour annoncer la Bonne Nouvelle de l'Evangile au monde entier. Voilà la raison pour laquelle notre diocèse a un centre et pas de frontières, parce que l'évangile qu'on y annonce est destiné à l'humanité toute entière. Et à ce titre, toute personne et tout peuple, y compris le peuple Bangangté et le peuple Bamoun dont je suis issu, peut bénéficier, s'il le souhaite, de la proposition de salut dont j'essaie de témoigner au quotidien par mes prédications, par ma vie et par mes actes. Je ne suis donc pas l'évêque de quelques-uns, mais l'évêque de l'Eglise du Christ.

Quelle est la symbolique de la messe pontificale que vous célébrerez à Yaoundé le 17 juin prochain ?

La messe solennelle que je célèbre ce 17 juin est avant tout une messe d'action de grâces pour les quatre ouvriers apostoliques que le Seigneur, par la grâce qu'il m'a conférée, va consacrer au ministère sacerdotal pour le bien de l'église et le salut de l'humanité tout entière. C'est une joie pour moi d'être à la fois acteur et témoin de la croissance de l'évangile dans un environnement social pas toujours évident à vivre.

Avec les quatre nouveaux prêtres que le Seigneur va envoyer à sa Vigne le 17 juin prochain, nous allons faire de notre mieux, au nom de l'évangile que nous annonçons, afin d'aider à la transformation positive de notre société pour la plus grande gloire de Dieu et le salut de nos frères et soeurs en humanité.

C'est pourquoi, et je tiens à le souligner, nous ne travaillons pas du tout à l'implantation et à la consolidation d'une église particulière parmi d'autres, dans une sorte de supermarché du religieux ; notre raison de vivre est la promotion de l'homme debout en dialogue avec son Créateur pour le bien de son semblable au-delà de toutes les difficultés réelles qui jonchent le chemin de leur existence et coexistence quotidiennes.

Dans la foulée, la messe de Bangangté a été reportée à une date ultérieure. Comment l'expliquer ?

Vous connaissez sans doute la formule populaire qui dit que « l'homme propose, Dieu dispose ». Mais ma petite expérience en humanité m'a enseigné que parfois, c'est l'inverse : « Dieu propose, et l'homme dispose » ! C'est aussi cela l'expression fondamentale de la liberté inaliénable et de la responsabilité de l'homme.

De manière plus concrète, je dirai qu'il ne vaut voir rien d'autre dans ce report que la légitime volonté exprimée par de nombreuses voix qui ont souhaité le renvoi de cette messe à une date ultérieure afin de favoriser une meilleure préparation et une plus grande implication des élites intérieures et extérieures des fils et des filles du peuple bangangté disséminés aux quatre coins du monde.

Nous espérons, qu'avec l'aide de ce délai supplémentaire, les uns et les autres saurons mieux se mobiliser pour répondre favorablement à l'invitation que je lance pour une messe solennelle en faveur d'une réconciliation profonde entre les enfants bangangté.

En effet, dans un contexte social (mondial, national, régional, départemental, familial et même ecclésial), marqué par des guerres, des crises, des divisions, des querelles, etc., aux causes diverses et variées, il est impérieux de prendre conscience de l'urgence de la réconciliation.

Le chef supérieur Bangangté, sa Majesté Nji Moluh Seidou Pokam, avait vu juste lorsqu'il affirma, au cours de son allocution au dernier Congrès mondial des fils et des filles du peuple bangangté, qu'« aucun développement n'est possible dans la division ».

Est-ce que les deux messes prévues à Bangangté et à Foumban se tiendront finalement ?

Avec la grâce de Dieu et la bonne volonté de tous et de chacun, nous n'épargnerons aucun effort afin que ces rendez-vous que vous évoquez deviennent réalité pour le bien des enfants de ces deux peuples respectifs auxquels je demeure profondément attaché.

Quelle est l'explication apostolique que vous donnez aux oeuvres caritatives et de portée sociale à travers les orphelinats dont vous êtes fondateur.

Par la grâce de Dieu, étant encore curé de paroisse en France et aumônier de l'Université d'Amiens, j'ai été interpelé par la détresse sociale infligée au Cameroun, mon pays d'origine, par le VIH/Sida. N'étant pas du corps médical pour apporter une quelconque expertise dans la lutte contre cette pandémie, j'ai alors décidé d'apporter une modeste contribution en portant secours aux enfants vulnérables orphelins du VIH qui, à l'époque, en 2001, avoisinaient le chiffre de 270000.

C'est ainsi qu'en 2004, j'ai lancé la construction de l'orphelinat la Bonne Case de Bangangté qui a accueilli, dès 2005, ses premiers pensionnaires. Comment s'arrêter en si bon chemin lorsque celui-ci est encore long ? C'est la raison pour laquelle, en 2010, j'ai lancé la construction de l'orphelinat la Bonne Case de Zamengoé, près de Yaoundé.

En effet, pour moi, la vraie religion consiste à nourrir, soigner, éduquer... bref, à prendre soin de son semblable : « Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ». (Mt 25, 40).

Ainsi, depuis 18 ans déjà, au-delà de mes ressources personnelles, j'essaie de stimuler des amis et des réseaux pour faire vivre ces enfants dont tous les aînés sont aujourd'hui de jeunes professionnels confirmés, des parents responsables, des universitaires en formation, et même de discrets soutiens à la pérennisation de l'oeuvre social privée « La Bonne Case ».

Aujourd'hui encore, avec le soutien des pouvoirs publics à travers le Ministère des Affaires Sociales, l'aventure continue pour l'avènement d'un Cameroun où chacun de ses fils trouvera une place afin d'apporter son expertise personnelle pour l'édification d'un authentique vivre-ensemble au sein d'une nation prospère et ouverte à l'altérité.

Et puisqu'une seule main ne peut attacher un fagot, j'ai confiance que beaucoup d'autres camerounais sauront, à défaut de soutenir ces oeuvres, en créer d'autres afin que personne d'entre nous ne reste au bord du chemin du développement et de l'émergence de notre cher et beau pays.

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