Sénégal: Crispation sociopolitique - Quand l'ONU met les pieds...dans un plat de tièp* faisandé

analyse

La condamnation de l'opposant Ousmane Sonko, le 1er juin dernier, à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse », a donné lieu à des scènes de violences inouïes ayant entraîné la mort d'une quinzaine de personnes au Sénégal.

Une situation qui n'a pas laissé indifférent le Haut-commissariat aux droits de l'Homme (HCDH) de l'ONU qui a signifié, le 13 juin dernier, sa grande préoccupation tout en invitant les autorités de Dakar à diligenter une « enquête indépendante » sur la mort des manifestants pour situer les responsabilités. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'avec cette interpellation, le HCDH est dans son rôle. D'autant que la situation sociopolitique au Sénégal reste encore fortement préoccupante, au lendemain de ces folles journées de violences qui ont vu manifestants et forces de l'ordre s'adonner à une véritable guérilla urbaine dans une capitale sous haute tension ainsi que dans certaines villes à l'intérieur du pays.

Les exhalaisons fétides de l'atmosphère sociopolitique ont de quoi ôter l'appétit au plus grand des gourmands

C'est pourquoi l'on peut voir, à travers cette interpellation du HCDH, une façon, pour l'ONU, de prévenir les violences encore plus destructrices qui s'annoncent à l'horizon de la présidentielle de 2024 qui cristallise déjà toutes les attentions au pays de la Teranga. Des débordements à venir dont la condamnation du leader du PASTEF paraît déjà le détonateur en raison du lien que les partisans du jeune opposant ont toujours établi entre une éventuelle disqualification de leur mentor à la prochaine présidentielle et les velléités de troisième mandat que l'on prête au président Macky Sall. Et pour ne pas faire retomber la tension, le locataire du palais de la République semble se complaire, sans que l'on ne sache trop pourquoi, à garder un silence lourd de sous-entendus si ce n'est de malentendus, qui contribue malheureusement à pourrir l'atmosphère sociopolitique dans son pays.

La conséquence directe est que les couteaux restent tirés entre les protagonistes de la scène politique sénégalaise qui ne sont pas loin de se regarder aujourd'hui en chiens de faïence. Avec des acteurs manifestement décidés à en découdre et qui s'accusent mutuellement de tous les péchés...du Sénégal, notamment d'avoir infiltré les manifestations d'individus dont le rôle trouble a contribué à alourdir le bilan macabre. C'est dire si le feu continue de couver sous la cendre des violences meurtrières du début de mois. Et les exhalaisons fétides de cette atmosphère sociopolitique qui continue de se dégrader, ont de quoi ôter l'appétit au plus grand des gourmands.

Mais en mettant les pieds dans ce plat faisandé de Tiep*, on espère que l'ONU se donnera les moyens de tirer les choses au clair et de situer les responsabilités de sorte à éviter d'éventuels dérapages à l'avenir. Cela est d'autant plus nécessaire que le silence prolongé du chef de l'Etat sur les intentions de troisième mandat qu'on lui prête, n'est pas de nature à ramener la sérénité dans le pays qui traverse déjà une période d'incertitudes.

Le chef de l'Etat sénégalais a une grande responsabilité devant l'histoire

Autant dire qu'au-delà de la question des droits de l'Homme, cette interpellation sonne comme une façon pour l'ONU, d'apostropher le pouvoir de Dakar contre d'éventuelles dérives dans cette période particulièrement sensible où tout le pays est suspendu à la décision du président Macky Sall : celle de renoncer purement et simplement au mandat de trop, ou de faire le saut dans l'inconnu d'un troisième mandat de tous les dangers. En tout état de cause, cette sortie de l'ONU, dans les conditions actuelles, est une mauvaise publicité dont le Sénégal aurait pu se passer.

Car, non seulement ces violences meurtrières n'honorent pas le pays, mais aussi et surtout c'est son image de vitrine de la démocratie qui s'en trouve davantage écornée, depuis que le pays a amorcé le virage dangereux de ces manifestations sur fond de controverse en lien avec les dossiers judiciaires de Ousmane Sonko qui tiennent le pays en haleine depuis deux ans. Et rien ne dit que cette interpellation de l'Etat par l'ONU, ne contribuera pas à jeter de l'huile sur le feu, si l'opposition doit y trouver des arguments pour accabler davantage le pouvoir, même si l'on ne saurait l'absoudre, elle non plus, à bons comptes.

En attendant, le chef de l'Etat sénégalais a une grande responsabilité devant l'histoire : celle de désamorcer la grenade anti-troisième mandat qui a été dégoupillée par les partisans du leader du PASTEF, par la renonciation pure et simple à un mandat qui fait déjà des gorges chaudes. Un mandat qui, au-delà de l'encre et de la salive, a déjà fait couler suffisamment de sang au pays de la Teranga. Moins qu'une question de légalité ou de légitimité, c'est une question de patriotisme et de sens poussé de l'Etat.

*Tièp : plat populaire au Sénégal

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