Une Soudanaise réfugiée en France demande au gouvernement d'intervenir en urgence pour que ses filles fuyant les combats puissent la rejoindre. Car leurs passeports ont été détruits par l'ambassade lors de l'évacuation du personnel diplomatique.
Ranya était une journaliste soudanaise, vivant à Khartoum, entraînée comme beaucoup d'autres dans le tourment politique de son pays, qui a connu en deux ans une révolution populaire, la chute d'une dictature de trente ans et un coup d'État militaire. Durant l'été 2020, elle a dû fuir son pays, toujours pas stabilisé politiquement et ruiné par les crises. Et c'est en France qu'elle a rapidement obtenu le statut de réfugiée, délivré sans hésitation par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) un an et demi plus tard, en février 2022.
Installée en région parisienne et enfin en sécurité, Ranya a aussitôt fait une demande de « réunification familiale » avec ses deux filles, âgées de 17 et 9 ans et restées derrière elle, avec sa famille, à Khartoum. Une fois son dossier déposé, les passeports des enfants ont été dûment déposés à l'ambassade de France, à l'appui de sa requête.
Un an sans nouvelles de sa demande de « réunification familiale »
Pendant près d'un an, Ranya a attendu, sans rien voir venir : alors que légalement, les autorités françaises disposent de deux mois pour, au moins, exprimer un refus, ses demandes d'information sur les suites réservées à son dossier sont restées sans réponse. Et le 15 avril dernier, elle attendait encore, lorsque les combats qui depuis deux mois déchirent le Soudan ont éclaté, plongeant le pays dans le chaos en quelques jours.
Les soeurs et la mère de Ranya, avec ses deux filles, ont très vite fui la capitale, après que leur maison a été touchée par un bombardement. Dans le ciel de Khartoum, les chasseurs-bombardiers de l'armée frappaient les positions des Forces de soutien rapide, qui de leur côté faisaient de la ville leur terrain de chasse, en toute impunité.
L'idée de la famille de Ranya était de rejoindre l'Égypte, comme des milliers d'autres Soudanais ayant trouvé un chemin hors de la capitale en feu. Elles sont alors parties avec le peu qu'elles ont pu emporter : un peu d'argent, quelques biens utiles. Elles ont été rapidement été volées à un checkpoint par des miliciens en roulant vers le Nord, mais elles ont filé envers et contre tout jusqu'à Wadi Halfa, la ville-frontière où se sont entassés les fugitifs cherchant à se mettre en sécurité du côté égyptien.
Les deux filles sans papiers valables
Mais les deux filles de Ranya, sans papiers valables, ont été refoulées. Car lors de l'évacuation de l'ambassade de France, leurs passeports, avec tous ceux qui étaient en attente de traitement, ont été détruits, « conformément aux instructions en vigueur dans ce cas de figure », selon un courrier électronique du service consulaire. Un diplomate a expliqué que telle était la procédure en cas de force majeure, « pour éviter que les passeports tombent entre des mains mal intentionnées ». Et il ne s'agit pas d'une exception française : toutes les ambassades à Khartoum ont procédé ainsi, même si certains pays, comme la Chine, ont proposé des solutions alternatives aux Soudanais concernés.
Comme des centaines d'autres Soudanais dans une situation similaire, les filles de Ranya sont donc aujourd'hui coincées au Soudan, avec leur grand-mère et leurs deux tantes, qui s'occupent d'elles depuis la fuite de leur mère. En son nom, deux avocates demandent donc ce jeudi au tribunal administratif d'ordonner au ministère de l'Intérieur l'acceptation de la « réunification familiale » restée sans réponse depuis l'année dernière et au ministère des Affaires étrangères la délivrance de laisser-passer aux deux enfants, qui survivent aujourd'hui comme elles le peuvent. « Car elles se trouvent, plaide l'une des avocates, Me Héloïse Cabot, privées d'une liberté fondamentale : celle de se déplacer et de se mettre en sécurité. »
Saisi en procédure de « référé-liberté », c'est-à-dire en urgence, le tribunal administratif de Nantes, après avoir entendu les plaidoiries jeudi matin, aura 48 heures pour se prononcer.