C'est avec beaucoup de peine et une grande douleur que je vois le Chairman s'en aller. Ce fils du pays profond, qui a marqué par sa discipline, son désir ardent du changement, sa foi de parfaire ses connaissances, sa loyauté à toute épreuve et qui a gravi tous les risques pour se hisser comme le doyen des opposants camerounais, restera dans les esprits des camerounais comme la vraie âme immortelle.
Homme politique naturellement humble, il a marché pendant 33 ans de carrière sans chercher à occuper des postes les plus prestigieux, alors qu'on lui proposait des postes après chaque élection.
Homme d'élite, le Chairman NI JOHN NFRU NDI a fait honneur à notre pays qu'il a marqué par sa capacité de mobilisation. Jamais, dans l'histoire du Cameroun, aucun homme politique n'avait mobilisé les militants comme il le fit en 1992 lors des élections présidentielles au stade omnisport de Yaoundé.
Il devenait l'opposant symbole de toute l'Afrique, il fallait avoir beaucoup de courage en cette année-là. Il avait des discours humains, voyons, pendant la campagne de 1992, il dit ceci : « j'étais de passage pour le nord Cameroun je me suis arrêté à Kolofata, pour saluer les militants qui m'attendaient depuis le matin, avant le centre-ville, il y avait des enfants que j'ai aperçus qui buvaient une eau suspecte, dans un étang... à mon retour, dans ce village, il y avait deuil, deux de ces enfants étaient morts de diarrhée... »
« Je suis allé au sud du Cameroun, des pygmées sont venus à ma rencontre en dansant, ils cachaient leur sexe avec des feuilles, ils ne portaient que cela pour tout vêtement. J'étais surpris de voir que dans notre pays, qu'il y avait encore des gens qui marchent nus. »
Il n'en existe pas dans notre pays qui soit plus aimé que lui à cette époque des années 92. Il va profondément bousculer les certitudes.
Le Chairman était un bon débatteur et sage dans ses observations profondément humains ; éloigné de la politique active, il a dirigé son parti comme une propriété personnelle, je le trouvais charismatique ; c'est un doyen dans la politique camerounaise. Il supportait ce monde sensible où on rencontre toutes sortes de dérive. Il aimait ses tenues traditionnelles en couleurs comme on aime son pays.
John était un patriote convaincu, si l'opposition camerounaise pouvait avoir un seul père, ce père s'appellerait Ni John Nfru Ndi, c'est un condensé de la politique camerounaise ; un opposant responsable qui n'aura pas fait la prison parce qu'il était patient, il laissait le temps agir. Eh oui... il s'en va laissant le président Paul Biya toujours au pouvoir.
A la fin des années 70, notamment en 1979, il dirigea le PWD de Bamenda qui fit sensation dans le football camerounais. Le PWD devint même un club mythique qui donnait les scores avant les rencontres. Ce club jouera une coupe du Cameroun devant la dynamo de Douala après avoir battu le grand Canon en demi-finale au stade de la réunification avec Thomas Nkono Manga Onguene Mbida Arantes, Docteur Abega sur le terrain. Match que j'ai assisté à Douala avec les chevauchés terribles de Mukubé, Docteur Ekwe, Nji Sunday.
Le Chairman avait développé une grande amitié avec le pouvoir en place. C'est ça la politique. Ce n'est pas parce que nous sommes adversaires qu'on ne peut pas se parler ou se rencontrer comme certains le pensent au Cameroun. Pour montrer qu'en politique, il ne faut pas s'enfermer dans des certitudes. En politique, il n'y a pas d'axiomatique possible, c'est une science de l'action qui relève de l'aléatoire, en ce moment-là il s'investir sur son intuition sur des vérités probabilistes et parcellaires.
Les rationalités de la science et l'action politique sont évidemment antithétiques, il faut savoir se stabiliser sur une intuition temporelle le temps de voir que les données ont changé. Le Chairman n'ayant pas fait des écoles d'élites, il avait compris certains aspects de la politique camerounaise qui demande de la mesure et de la prudence, c'est pourquoi il a vécu longtemps.
Je prenais plaisir à l'écouter parler, car il voulait que la politique camerounais soit un prétexte pour donner du relief à une autre vision de la politique trop rationalisé et bornée par l'emphase universitaire.
Je crois que ce parti continuera avec amour et passion à mobilier ses partisans. Et bien... avec la mort, nous sommes face à la tragique condition humaine, qui est inéluctable,
Il y a lieu d'applaudir ce grand homme qui a tenu la torche allumée tout au long de son parcours.
Au cours de son existence, le Chairman a connu des hauts et des bas, des circonstances douloureuses, avec la mort de sa mère et de sa femme. Malgré le caractère rudimentaire de son parti, il était animé d'un patriotisme ardent. Bien que ne disposant pas d'une véritable équipe, il a amené son parti à un très haut niveau.
Ce fut un honneur pour moi d'avoir vécu dans un pays où on pouvait parler d'une légende comme Ni John Nfru Ndi, un génie rare, un esprit politique avisé et motivé. Je veux le dire publiquement aujourd'hui ; pour moi, cet homme est l'un des Camerounais les plus précieux à mes yeux. Une des personnes que notre nation ne pourra jamais retrouver. Un Camerounais accompli, un immortel.
L'état camerounais pouvait à présent profiter de sa mort comme excuse pour rendre à cet éléphant parti, un véritable hommage bien mérité.