L'élevage agro-écologique, moteur de recyclage et de fertilisation des sols, se pratique de nos jours par certains producteurs dans la région du Centre-Ouest, avec la mobilisation des ressources locales à savoir, une alimentation naturelle, variée et équilibrée, issue d'une agriculture biologique ou agro-écologique. Zoom sur une activité qui limite l'empreinte des animaux et qui contribue à relever également les défis du changement climatique.
La culture maraichère s'installe déjà à Sakoinsé, localité située à une cinquantaine de kilomètres de Koudougou dans la région du Centre-Ouest. Des pousses de ciboulette, de salade, de tomate et de chou sont sitôt visibles. Dans le village de Nimpoui, à trois kilomètres du bitume, se trouve la ferme "Guiblewéogo", (« Protéger la nature ou la forêt » en langue mooré). Elle est de l'Association pour la promotion de l'agroforesterie et la foresterie au Burkina Faso (APAF-BF). A vue d'oeil, ce site de 10,60 hectares semble être abandonné.
Et pourtant à l'intérieur, il est bien compartimenté. Quelques hectares dédiés à la production céréalière, des agrumes et l'élevage agro-écologique forcent l'admiration. La fraîcheur des arbres fruitiers, tels les papayers, goyaviers, citronniers, tangelos, pastèques, anacardiers, nous accueille. Le directeur exécutif de ladite association, Claver Songuimanégré Yaméogo, l'air joyeux, qui excelle dans cette activité de production agro-écologique depuis 17 ans, nous conduit de l'autre côté de la ferme.
Il nous raconte comment le site est né et décline la vision de l'APAF-BF, qui entend faire de "Guiblewéogo", une ferme purement agro-écologique. Dans un endroit clôturé avec du grillage, des oies (18 au total), dont la majorité, de plumages blancs, cacardent fort devant un bassin d'eau de couleur verdâtre, qui leur sert d'abreuvoir. Leur cri strident retient notre attention. Avec cette eau, les oies se sentent en sécurité, font leur toilette et se reproduisent. A côté, il y a un enclos où logent 17 têtes de bovins et 23 ovins. A quelque 100 mètres, une maisonnette "héberge" des porcs-épics.
Tous ces animaux, nourris avec des aliments naturels, sont aux petits soins d'une dizaine de jeunes employés. Ils leur garantissent un minimum de confort, nettoient régulièrement
leurs installations et changent leur eau, pour éviter toute transmission de maladie. A "Guiblewéogo", l'eau coule à flots, au bonheur des animaux et de la maraîcher-culture. Trois forages équipés de plaques solaires et de châteaux ont été réalisés, avec quatre bassins de rétention d'eau. Des pistolets sont utilisés pour arroser les arbres fertilitaires, les agrumes et un demi-hectare destiné à la production du fourrage.
Pas de comprimés, ni de vaccin
L'élevage agro-écologique, de l'avis des spécialistes, est une activité où les animaux doivent être nourris, avec des récoltes, sans intrants chimiques de synthèse. Les éleveurs doivent donc avoir recours à une alimentation naturelle, variée et équilibrée, issue d'une agriculture biologique ou agro-écologique, laquelle alimentation doit être saine, en vue de contribuer au bien-être des animaux. Ne disposant pas de tout ce qu'il faut à la ferme, M. Yaméogo s'approvisionne en aliments chez des producteurs biologiques à Ouagadougou, qui parfois, ne sont pas disponibles.
Dans la même localité à "Guiblewéogo", les moutons et les boeufs pâturent dans des champs à proximité. Dans ces lieux, le directeur exécutif dit être convaincu que les propriétaires n'utilisent aucun produit chimique. Les balanites, les tourteaux, le fourrage, les tiges de mil, le pain, font partie de leur alimentation. Claver Yaméogo dépense plus de 20 mille F CFA, par mois, pour l'achat de leur nourriture.
A Baogne dans la province du Sanguié, chez le producteur Issa Kinda, quelques poulets gambadent. Natif de la région du Nord, M.Kinda est installé dans cette localité depuis des années. Sa langue locale, le mooré, tend à être oubliée au profit de celle gourounsi. Il est producteur-éleveur depuis une trentaine d'années. Avec neuf têtes de bovins, 20 têtes d'ovins, une dizaine de chèvres et une centaine de têtes de poulets et pintades, son activité d'élevage est destinée uniquement à la vente.
Elle lui permet de payer la scolarité de ses enfants et de subvenir aux besoins de sa famille. Des bâtiments aérés sont construits pour que les animaux puissent se mouvoir librement. Ils ont aussi accès au plein air. Leur alimentation provient des résidus de cultures de son champ de 2 ha, conservés pendant toute l'année, sans aucune trace d'intrants chimiques.
L'eau des puits est utilisée pour abreuver les animaux. Il dit recevoir une formation de l'Association pour la promotion d'une agriculture durable (APAD), sur la production naturelle de la fumure organique et la fabrication d'aliments pour améliorer le menu de ses animaux. « Cette nourriture qui est particulièrement saine, contribue au bien-être des animaux et à la qualité de la viande », se réjouit-il. Leur déjection, à entendre ce quinquagénaire jovial, enrichit le sol en matières organiques.
La veuve Anne Marie Kanyala de Réo s'essaie également dans cette activité d'élevage agro-écologique, avec l'appui de l'APAD. Elle compte une vingtaine de têtes de poulets, sept têtes de chèvres et dispose d'un ½ hectare de portion de champ où elle cultive le maïs destiné à sa propre consommation et à nourrir les animaux. Le chef de service régional de l'Economie verte et du Changement climatique, le commandant Brahima Sidibé/Direction régionale de l'Environnement du Centre-Ouest, affirme que l'élevage agro-écologique permet d'abord d'intensifier le système d'élevage et préserve les ressources naturelles.
Pour lui, les animaux qui pâturent ont un impact négatif sur les ressources, mais s'ils sont dans un système oû l'apport en aliment et eau est maitrisé, cela limite les actions de pollution. La coopérative Sono-nyé (qui veut dire, "Aimer c'est bon") de Kyon dans le Sanguié qui emploie 39 femmes dans la collecte des amandes, la transformation du beurre de karité et du soumbala, évolue également dans l'élevage agro-écologique de bovins, ovins, caprins, avec plus de 200 têtes de poulets et de pintades, près de 80 dindons et quatre porcs de race blanche à oreilles dressées.
Quatre maisons bien construites sur un même alignement à sol cimenté, séparées par des petits murs, logent cette race, avec de l'eau d'abreuvement. Le porc est généralement reconnu comme un animal "sale", qui mange tout, mais une hygiène règne dans l'habitation de ces derniers. Ils sont nourris avec des drêches, sans intrants chimiques. Le prix de leur aliment, selon la trésorière de la coopérative Hélène Kambouan, s'élève à 22 500 F CFA par mois. Les animaux de la coopérative sont également destinés à la vente. Quant aux porcs de race, la trésorière souligne qu'il y a des truies gestantes et elles ne peuvent être vendues pour le moment.
« Même si nous allons les vendre, le prix doit avoisiner 300 mille FCFA l'unité, parce que nous prenons beaucoup soin d'eux et en plus, leur nourriture coûte cher et elle n'est pas disponible », confie-t-elle. Sur le plan sanitaire, la majorité des éleveurs privilégient le traitement naturel en faisant appel à la médecine douce, comme le charbon broyé, les décoctions de neem, le caïlcédrat. L'utilisation de médicaments vétérinaires est tolérée uniquement à des fins curatives, pour limiter la souffrance de l'animal.
Le directeur exécutif de l'APAF-BF fait savoir qu'il y a souvent de la mortalité et cela s'explique par le fait que les animaux ne sont pas déparasités. Il regrette d'ailleurs d'avoir perdu trois "bébés" porcs-épics. « Comme nous sommes dans l'agro-écologie, nous évitons tout comprimé et vaccin pour nos animaux », justifie-t-il. Allant dans le même sens, Issa Kinda révèle qu'aucun vaccin n'a jamais été administré à ses animaux.
«J'ai enregistré beaucoup d'animaux morts cette année. Et c'est la première fois que j'enregistre de telles pertes depuis que j'ai commencé l'élevage. Mais cela n'est pas dû au fait qu'ils n'ont pas été vaccinés. C'est une épidémie qui a frappé la majeure partie des animaux dans la province du Sanguié. Même ceux qui n'élèvent pas de manière agro-écologique ont été touchés », déplore-t-il. Mme Kanyala qui dit aussi constater des morts impute cela au fait d'avoir vacciné ses animaux.
A la coopérative Sono-nyé, avant d'avoir accès à l'habitat des porcs, les chaussures sont d'abord trempées dans l'eau de javel, parce qu'aux dires de Mme Kambouan, les bactéries sont partout et passent généralement par les pieds. « Ces types de porcs sont sensibles aux maladies et ils sont fréquemment suivis par des vétérinaires », explique-t-elle. Pour Dr André Kiéma, chercheur au Centre de recherches environnementales, agricoles et de formation (CREAF) de Kamboinsé, les médicaments vétérinaires ne jouent pas sur le caractère agro-écologique de l'animal.
Et le directeur de la promotion des filières animales de l'ex-direction générale des productions animales, Issa Ba, de renchérir que les vaccins et les traitements protègent l'animal des maladies prioritaires. « Tout comme un enfant a besoin de vaccins dès sa naissance pour se prémunir de certaines maladies, les traitements et les vaccins sont aussi primordiaux chez les animaux», soutient-il. Malgré cette assurance, le producteur Issa Kinda indique qu'en cas de maladie des ruminants, il fait recours aux plantes comme, l'acacia siberiana, le colostermo ou le sécrudiaca.
Financer l'agro-écologie
M. Yaméogo de l'APAF-BF, "passionné" de la nature, veut faire de l'élevage agro-écologique, sa principale occupation. Ayant fait le tour de la majorité des 45 provinces du Burkina Faso, voyagé dans la sous-région et en Europe, il souhaite transférer toutes ses expériences acquises au pays des Hommes intègres. Malheureusement, le manque de financement fait défaut. Dans un pays qui est secoué depuis des années par une crise sécuritaire, Claver Yaméogo affirme que les partenaires sont réticents.
« Nous nous sommes approchés des autorités du pays dans les années antérieures, pour demander un accompagnement de financement mais peine perdue. Nous n'avons bénéficié d'aucun soutien de notre ministère de tutelle », détaille-t-il. Il souligne que l'ambassade de France est le seul partenaire qui les a soutenus, avec une enveloppe de 22 millions 800 mille F CFA. Le nouveau partenaire est l'ONG de l'Université libre de Bruxelles, avec 4 millions F CFA.
« Pour une ferme qui a besoin d'1 milliard 300 millions F CFA, nous peinons toujours à récolter des fonds pour mettre en valeur nos compétences et promouvoir l'agro-écologie au Burkina Faso », s'attriste-t-il. Le chercheur, Dr André Kiéma, se convainc que l'élevage est laminé en termes de financements, avec moins de projets que ceux de l'agriculture. Les techniciens confient qu'au niveau du ministère, rien n'est encore institutionnalisé par rapport à ce type d'élevage agro-écologique.
Le directeur Issa Ba dit reconnaitre que l'élevage est très compliqué et il faut disposer de moyens, bien que ces moyens sous-tendent d'abord, selon lui, la volonté et l'abnégation. Il note que les animaux sont des êtres vivants qu'il faut alimenter, flatter, amadouer, pour qu'ils expriment leurs potentialités. « Dans certains pays comme le Sénégal, les intrants pour l'élevage sont subventionnés à hauteur de 70%. Au Burkina, les producteurs ont besoin de l'accompagnement du ministère pour booster l'élevage agro-écologique, avec des terres dédiées pour des cultures fourragères », mentionne-t-il.
Le coordonnateur général de l'Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), Dr Million Belay, qui était présent à la 27e Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP27), a fait savoir que pour l'Afrique, l'agro-écologie est la meilleure réponse pour l'adaptation au changement climatique. Elle est la solution à la crise climatique et renforce la résilience des populations. « Nous rappelons et insistons sur les dommages que les pays développés doivent payer à l'Afrique, sur la nécessité d'allouer des financements conséquents à l'agro-écologie », soutient-il.
Le commandant des Eaux et Forêts, Brahima Sidibé, souligne qu'il y a de nombreux avantages à aller vers cette pratique innovante qui est adaptée au changement climatique. Cependant, il fait savoir que l'élevage agro-écologique à lui seul ne pourrait pas répondre à ces défis, parce qu'aujourd'hui, le changement climatique influence d'autres secteurs, notamment le transport et l'énergie. « Au Burkina Faso, les populations ne font pas la promotion des transports en commun.
Elles ont leurs propres moyens de déplacement. Et à chaque fois qu'elles se déplacent,
elles émettent beaucoup de gaz dans l'atmosphère qui contribuent au réchauffement climatique », regrette-t-il. Il pense qu'il faut plutôt aller vers les énergies renouvelables, comme le soleil, que le pays des Hommes intègres dispose abondamment, en développant des politiques en lien avec ces énergies, qui pollueront moins l'environnement et lutteront contre les effets néfastes du changement climatique.
Pour le commandant Sidibé, une pratique d'atténuation au changement climatique est de promouvoir la reforestation. « A travers le phénomène de photosynthèse, les arbres naturellement arrivent à séquestrer le carbone et à dégager de l'oxygène. Si nous arrivons à avoir des projets et programmes de reforestation, de reconstruction du couvert végétal, nous allons arriver à renforcer, les capacités de nos forêts », se convainc-t-il.
Un monde pollué
Pour Claver Yaméogo de l'APAF-BF, le monde est déjà pollué, avec les aléas climatiques et les émissions de Gaz à effet de serre (GES). Face à cette situation menaçante, il dit être convaincu que la production biologique et agro-écologique pourrait un tant soit peu amoindrir ces effets négatifs. « Nous promouvons le bio et l'agro-écologie, mais il faut reconnaitre qu'il est difficile d'avoir un produit 100% bio.
Même produit naturellement sans engrais chimiques, le vent et les insectes peuvent dénaturer le produit. Présentement, les européens tolèrent 10% de produits chimiques dans un produit biologique et ils sont en train d'aller à une tolérance de 20% », annonce-t-il. Il ajoute que la majorité des animaux qui pâturent dans la nature se nourrissent généralement d'aliments conventionnels et leur déjection contient des traces des produits chimiques qui peuvent polluer l'environnement.
Le chercheur, Dr André Kiéma, souligne que la meilleure forme d'adaptation pour mieux préserver l'environnement est la valorisation des pratiques locales, en exploitant de façon mobile et opportuniste les ressources. « Il faut aussi que les éleveurs s'adonnent davantage à la production des cultures fourragères, à l'exploitation des unités de végétation en fonction des localités, pour que les animaux puissent s'épanouir écologiquement », conseille-t-il. L'APAF-BF compte développer 32 types d'élevage, à savoir les bovins, caprins, lapins, aulacodes, poulets, porcs-épics, carnassiers, canards, coba, phacochères...dans les années à venir.
Tous les 10 hectares du site seront exploités, avec la construction d'un ½ hectare d'étangs, pour la pisciculture. Pour les poulets, 5000 à 50 milles têtes seront élevées chaque année.
« Ce dont nous avons besoin à travers ce type d'élevage, c'est la matière première. C'est-à-dire la fumure organique. Nous allons la recycler pour la production des agrumes et le maraîchage, parce que, depuis les trois années que cette ferme a été mise en place, il n'y a jamais eu aucune trace de produits chimiques », confirme-t-il.
Pour paraphraser le chimiste Antoine Lavoisier qui dit que : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », à la ferme de l'APAF-BF, tout sera récupéré. La déjection des animaux, mélangée à la paille, va se transformer en fertilisant naturel et favoriser la croissance naturelle des cultures. Quant aux fientes des poulets, elles vont servir à nourrir les poissons et alimenter également les cultures maraîchères. M. Yaméogo fait savoir qu'un producteur qui veut être respecté en agro-écologie, doit avoir une grande superficie de terrain, où il associera l'élevage à l'agriculture qui sont deux "couples" inséparables.
« Un paysan qui n'élève pas ne peut pas avoir de bons rendements, même en utilisant des produits chimiques », dit-il. La coopérative Sono-nyé dispose d'un site de 3 hectares. 1,5 ha est déjà clôturé, avec un bassin piscicole, un château d'eau, où se mènent la maraîcher-culture, l'apiculture où le miel est récolté dans 50 ruches tous les 21 ou 30 jours. L'hectare et demi réservé à l'élevage sera bientôt aménagé pour que les animaux en enclos à proximité des concessions rejoignent la ferme.
Aux alentours du site, les feux de brousse et la coupe abusive du bois sont interdits aux populations. Cette interdiction, selon les animateurs de la coopérative, est une manière de les sensibiliser à la préservation de l'environnement. De nombreux producteurs ne sont pas familiers à ce type d'élevage agro-écologique, certes, mais le chef de service régional de l'Economie verte et du changement climatique, le commandant Brahima Sidibé explique que de nos jours, le changement climatique est une réalité et il faut les sensibiliser à aller vers ces pratiques innovantes.
Il fait savoir qu'au niveau du ministère en charge de l'environnement, il y a un fonds dédié à accompagner les producteurs qui font la promotion des pratiques d'adaptation et d'atténuation aux effets néfastes du changement climatique, en l'occurrence le Fonds vert pour le climat.