Afrique de l'Ouest: Les nations de la région s'unissent pour trouver des solutions urgentes et viables face aux pénuries d'engrais

Un petit propriétaire agricole dans le nord du Ghana
16 Juin 2023

Dans le but de combattre la crise alimentaire qui s'aggrave et exacerbée par les effets impitoyables du changement climatique, dix-sept nations en Afrique de l'Ouest et dans le Sahel ont signé la "Déclaration de Lomé sur les engrais et la santé des sols". L'accord a été qualifié de lueur d'espoir par certains, étant donné qu'il semble révolutionner l'accessibilité aux engrais dans la région.

Le Président togolais Faure Gnassingbé, hôte du rassemblement, a souligné l'importance d'une "vision communautaire" quand il s'agit de répondre aux besoins en nourriture d'approximativement de 500 millions de personnes en Afrique de l'Ouest. Il a déclaré que la nécessité d'accomplir une stratégie équilibrée et efficace, tout en mettant l'accent sur la signification de l'organisation et de la coordination. "Sans vision, sans stratégie, les engrais peuvent être d'une promesse de restauration des sols rapidement devenir la cause de la dégradation," a-t-il affirmé.

"Alors que nous avons besoin de trouver le bon équilibre, la planification et l'implication des Etats sont essentielles. Par conséquent, je soutiens une approche régionale. Comme illustré par le plan d'action présenté aujourd'hui, notre vision devrait essentiellement être sous-régionale."

Crise de la sécurité alimentaire

L'Afrique de l'Ouest et le Sahel, qui reposent lourdement sur les importations, sont confrontés à une importante crise alimentaire qui a été intensifiée par les effets de la crise climatique. Un rapport récent de l'Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) et du Programme Alimentaire Mondiale (PAM) a révélé que plusieurs pays africains, dont le Burkina Faso, le Mali, le Nigéria, la Somalie et le Soudan du Sud font partie de ceux qui font face aux plus hauts niveaux d'insécurité alimentaire.

Selon RFI, les leaders en Afrique de l'Ouest et du Sahel ont promis de considérer la santé des sols comme un "pilier primordial de la sécurité alimentaire" et se sont engagés à tripler la consommation d'engrais d'ici 2035 afin d'augmenter la productivité agricole.

A travers cet accord, les signataires de la Déclaration de Lomé reconnaissent l'importance stratégique des engrais comme produits transfrontaliers et visent à faciliter sa libre circulation. Ils ont l'intention de progressivement éliminer les droits de douane et les taxes sur les engrais, y compris d'autres matières premières essentielles.

Le plus grand problème de l'Afrique se trouve dans la production insuffisante d'engrais. Le continent fait face à des défis importants quand il est question de satisfaire ses besoins agricoles à cause du manque d'engrais accessibles et abordables.

Le secteur agricole est primordial pour les économies africaines et constitue la majorité des moyens de subsistance à travers le continent. Sans engrais approprié, les fermiers africains luttent pour améliorer la fertilité des sols, ce qui résulte sur des rendements inférieurs et réduit la sécurité alimentaire. La lourde dépendance sur les engrais importés exacerbe aussi le problème, car cela mène à des prix élevés, une disponibilité limitée et une vulnérabilité aux fluctuations du marché mondial.

La réserve mondiale d'engrais agricole a été considérablement affectée par le conflit en cours en Ukraine, qui a le potentiel d'ébranler la sécurité alimentaire à l'échelle mondiale.

La Russie et la Biélorussie font partie des plus grands fournisseurs d'engrais minéraux dans le monde. Cependant, à la suite de l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022, plusieurs pays, dont les Etats-Unis et l'Union Européenne (UE), ont imposé des sanctions à la Russie. Selon l'Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), la pénurie d'engrais chimiques, aggravée par la guerre en Ukraine, cause une augmentation du prix de l'alimentation et crée une crise pour les pays économiquement désavantagés.

Ces dernières années, plusieurs pays africains ont pris l'initiative de produire leurs propres engrais, reconnaissant les bénéfices potentiels pour leurs secteurs agricoles. Cette action a été poussée par le désir d'améliorer la sécurité alimentaire, augmenter les rendements inférieurs et réduire la dépendance aux engrais importés.

Bien que l'intention derrière la production d'engrais local soit louable, il est crucial de prendre en compte un contexte plus large et l'impact des engrais sur l'environnement et le changement climatique.

L'usage excessif d'engrais peut mener à une dégradation environnementale, y compris l'érosion des sols, la pollution de l'eau et la perte de biodiversité.

La production et l'utilisation d'engrais contribuent aux émissions de gaz à effet de serre, aggravant la crise climatique, rendant important l'atteinte d'un équilibre entre le besoin pour la productivité agricole et l'impératif de l'adoption de pratiques viables qui minimisent la dépendance aux engrais, promouvant les techniques agricoles biologiques et priorisant la santé des sols et la conservation du bénéfice à long terme tant pour l'Afrique que pour la planète entière.

Portia Phohlo, une scientifique des sols à "Trace and Save" avec des compétences et une vaste expérience dans l'industrie laitière, dans une interview avec allAfrica a expliqué les défis dans l'utilisation d'engrais chimiques. Phohlo est qualifiée dans l'agriculture durable, la gestion de ressources naturelles, l'agronomie, le pâturage, la gestion des sols, et l'échantillonnage des sols.

Elle pense que les fermiers ont besoin de s'éloigner des systèmes conventionnels tels que labourer leurs sols et utiliser des charrues, quelconques formes de dérangement inutiles des sols.

"Ils ont besoin de s'éloigner de ça et commencer à avancer vers des pratiques régénératrices du sol qui promeuvent le non-labourage des sols, l'amélioration de la biomasse racinaire dans leurs sols et la plantation de multiples espèces de culture et de  pâturage dans leurs systèmes pour qu'ils puissent intégrer des micro-organismes dans le sol," a-t-elle déclaré.

"La nourriture et la qualité de celle-ci sont ce qui attirent les microbes et cette même qualité doit provenir des différentes espèces de plantes que vous choisissez de planter dans ce système. Appliquer ces pratiques vous fera progresser vers un système de santé régénérative. Une fois que vous avez un système sain, vous allez alors finir par trouver que vous n'avez en fait pas besoin d'utiliser une quelconque forme d'engrais car, tandis qu'il devient riche en micro-organismes actifs, le sol devient autosuffisant."

La crise a rendu plusieurs fermiers désespérés et les a poussés à activement chercher des solutions alternatives.

Pour répondre à ce problème primordial, des fermiers tels que Muriithi James Kibuku, un fermier et entrepreneur de petite échelle du Kenya, ont adopté une approche unique de l'élevage de lapins. Au lieu de simplement se concentrer sur la production de viande et de fourrure, Kibuku reconnaît aussi la valeur de l'urine de lapin.

Il explique que cette urine possède de nombreux bénéfices, servant à la fois d'engrais et de pesticides. Son odeur forte et âcre agit comme un répulsif naturel, gardant les insectes nuisibles à distance et fonctionne comme un pesticide biologique. Il déclare aussi que l'urine à la capacité de neutraliser l'acidité des sols tout en améliorant sa texture, sa structure et sa capacité à retenir l'eau.

En Afrique du Sud, l'entrepreneur Himkaar Sing a vu une opportunité là où d'autres ont vu des déchets en transformant des résidus organiques en riche compost via l'usage d'une armée de vers. Dans une tentative pour aider l'Afrique du Sud à faire face à sa crise de résidus organiques imminente, sa compagnie, la Compost Kitchen, collecte des déchets organiques de cuisine pour créer du lombricompost.

Utiliser ce processus empêche les déchets de polluer l'environnement ou de contaminer de précieuses sources d'eau en évitant les décharges. Le lombricompost ou la lombriculture, aussi appelé vermicompostage, est le processus qui implique l'utilisation de vers de terre pour décomposer de la matière organique, telle que les légumes et la peau des fruits, et produire un engrais de haute qualité.

Agroforesterie

Dans des pays tels que le Malawi, l'agroforesterie est acceptée comme une pratique agricole qui combine la culture d'arbres, d'arbustes, d'herbes et de légumes d'une manière qui imite l'écosystème d'une forêt.

Cette approche remplit plusieurs objectifs, dont la séquestration du carbone pour atténuer les changements climatiques, l'approvisionnement en nourriture de la population et la préservation de la biodiversité. La présence d'arbres dans les systèmes agroforestiers stabilise les sols à travers leurs vastes systèmes de racines, réduisant efficacement l'érosion.

Les feuilles et branches taillées des arbres agissent comme un paillis naturel,  réduisant le ruissellement et l'érosion des sols tout en se décomposant graduellement pour enrichir les sols avec de la matière organique. Cette restauration de la productivité du paysage améliore la viabilité des pratiques agricoles.

En adoptant un système agricole intelligent face au climat, le Malawi et d'autres nations contribuent considérablement à la sauvegarde de l'approvisionnement alimentaire mondial au milieu des défis posés par un climat qui change rapidement. L'agroforesterie ne promeut pas juste la diversité alimentaire mais améliore aussi les revenus potentiels des fermiers, assurant leur stabilité économique et la sécurité alimentaire en général.

Ce mode d'élevage intègre la connaissance traditionnelle, les avancées scientifiques et le processus naturel pour établir des pratiques agricoles viables. L'agroécologie met l'accent sur la culture d'un large éventail de diverses récoltes qui conviennent au climat local et aux conditions du sol, en contraste avec les méthodes industrielles qui priorisent la production de masse d'une seule culture pour l'exportation.

En évitant la dépendance aux pesticides à base de combustibles fossiles, engrais chimiques et d'autres techniques industrielles qui contribuent à l'émission de gaz à effet de serre, la dégradation des sols et la perte de biodiversité, l'agroécologie soutient l'action climatique tout en permettant aux fermiers de subvenir aux besoins de leurs communautés et protéger leurs moyens de subsistance, écrit Sena Alouka pour African Arguments.

Cette approche localisée de la production alimentaire promeut la résistance, permettant aux communautés de travailler pour une plus grande autonomie et d'être mieux équipées pour supporter les perturbations mondiales.

En soutenant la production décentralisée locale, les nations africaines peuvent améliorer la productivité agricole, réduire la dépendance aux importations, ouvrir la voie aux systèmes de production alimentaire viables et améliorer leurs moyens de subsistance à travers le continent.

Traduit de l'anglais par Aïcha Sall

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