Introduction
« Je voudrais, à l'entame de mon propos, adresser mes vives félicitations au ministère marocain de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication pour l'organisation de la présente rencontre et lui dire un grand merci pour avoir bien voulu m'y convier. Je lui adresse tout autant mes félicitations pour la 28ème édition du Salon international de l'édition et du livre (SIEL) auquel il m'a également invitée.
J'ai été particulièrement sensible au thème de la rencontre qui porte sur le rassemblement africain avec comme référent cette fois-ci encore la culture. Je dis bien cette fois-ci encore parce qu'en effet, il y a tout juste quelques mois, au mois de mars de cette année, c'est l'Académie du Royaume du Maroc qui nous conviait à un important colloque sur la question de l'oralité comme registre d'interlocution privilégié en Afrique.
A cette occasion, nous nous étions effectivement interrogés sur ce qu'il fallait faire pour outiller efficacement ce registre d'interlocution face aux défis des plateformes numériques qui régissent, à ce jour, la communication au niveau planétaire. Quelques jours plus tard et toujours dans le même mois, ce sont des écrivaines des quatre coins de l'Afrique qui se retrouvaient à Rabat, à l'initiative de nos soeurs marocaines, pour la création d'une ligue panafricaine des écrivaines du continent.
Lors de nos échanges, nous avions convenu d'envisager la mise en place de régions culturelles au niveau du continent incluant les îles, de façon à ce que toutes les parties de l'Afrique puissent être prises en compte et représentées dans les instances que notre ligue viendrait à mettre en place. Voilà encore aujourd'hui cette grande rencontre sur le thème du rassemblement africain autour de la culture qui résonne comme une exhortation à une refondation de ce regroupement sur de nouvelles bases essentiellement culturelles.
Au regard de tous ces actes de très forte portée, je voudrais inviter tous les éminent-e-s ici présent-e-s à rendre un hommage appuyé au Royaume du Maroc pour son engagement et sa détermination en faveur du «rassemblement africain» et d'un vivre ensemble panafricain.
A ce thème culturel déjà très porteur, s'ajoute cette fois-ci la sécurité spirituelle, sujet hautement sensible s'il en est, au regard de tout ce qui se passe dans nos pays africains et dans le monde en général au nom des croyances, de la religion et du spirituel.
Il peut effectivement paraître «aller de soi» que culture et spiritualité soient liées dans une réflexion d'une envergure visant le rassemblement africain, tant tout cela est vraiment imbriqué en Afrique. On parle même de religion traditionnelle en Afrique (subsaharienne tout au moins) face à des religions révélées ou importées et ce serait donc comme légitime de s'interroger sur l'interaction qu'il pourrait y avoir entre culture, spiritualité et rassemblement africain.
Pour contribuer à cette réflexion, j'ai opté, pour ma part, pour m'essayer dans un premier temps à une tentative de cadrage du thème. Il s'agira pour moi de donner ma compréhension de ce thème afin de pouvoir présenter dans un deuxième temps tous les éléments à prendre en compte pour assurer effectivement le rassemblement africain sur fond culturel, garantissant la sécurité spirituelle. Je terminerai cette intervention également sur une tentative de lien qu'on pourrait établir entre les tribunes que j'ai évoquées plus haut, à savoir le colloque sur l'oralité en Afrique et le projet de création d'une ligue panafricaine des écrivaines, avec la présente rencontre.
1. Essai de définition/cadrage du thème
Pour donner un essai de cadrage du thème de notre rencontre, je dirais qu'un rassemblement africain sur fond culturel tel que suggéré par le thème de la rencontre me paraît être un souhait fort, une volonté, une détermination à repenser les bases du rassemblement africain.
En effet, nous sommes tous témoins des tentatives de regroupements que sont nos ensembles sous-régionaux d'envergure plus ou moins importante selon le nombre de pays impliqués.
En ce qui concerne la région Afrique de l'ouest que je connais un peu, je pourrais citer des organismes passés ou actuels tels que la Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest (CEAO), la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Union monétaire ouest africaine (UMOA), l'Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), le Conseil de l'entente, l'Autorité de développement intégré des Etats du Liptako-Gourma, l'Autorité du Bassin du Niger et j'en passe. Ces regroupements sont d'orientation/d'essence politique, politico-économique et/ou monétaire selon l'actualité de plus ou moins longue durée, de plus ou moins large impact, etc.
A ces premiers regroupements sont venus s'ajouter ces derniers temps, autres tels que le G5-Sahel par exemple qu'on pourrait qualifier de stratégiques et qui sont motivés par la situation sécuritaire difficile à laquelle fait face actuellement la quasi-totalité des pays de la région du Sahel et même au-delà.
Au niveau du contient, il faut évidemment citer l'Organisation de l'Unité africaine qui a cédé le pas à l'Union africaine.
Ces regroupements ont fait ou font, peu ou prou, preuve de leur intérêt et de leur efficacité en termes d'intégration, de développement et de bien-être des populations pour les pays qui en sont membres.
Le constat évident cependant est qu'aucun des regroupements ci-dessus évoqués n'est d'orientation culturelle comme l'Organisation de la Francophonie par exemple dont la base essentielle de regroupement est la langue française ou alors au Commonwealth qui est plutôt anglophone ! Nos regroupements africains ne sont donc pas construits, à ma connaissance tout au moins, sur une orientation culturelle même si le volet culturel occupe une place importante à travers de grands départements et de programmes spécifiques dans leurs organigrammes respectifs.
L'intérêt et les enjeux de tels regroupements «culturels» comme la francophonie sont sans nul doute importants et il me parait légitime que la même démarche puisse être envisagée au niveau africain. La question serait cependant de savoir si les pays africains sont prêts à se donner tous les moyens pour en arriver là et particulièrement dans le contexte actuel oû l'urgence dans la plupart de nos pays semble être plutôt la sécurisation des territoires et la construction d'un vivre-ensemble mis à mal par les conflits armés, le terrorisme, l'extrémisme violent et même la famine par endroits !
Ma position sur cette question est que justement, pour l'Afrique, c'est bien dans la direction culturelle qu'il faudrait essayer peut-être d'aller à présent, là où les autres bases de regroupement ont monté leurs limites.
Je crois que c'est à cette réflexion que la présente rencontre nous invite, même si les moyens pour ce regroupement sont loin d'être évidents, loin d'être acquis, à commencer par la volonté politique qui en est «le déterminant crucial» !
Pourquoi ne pas penser, à ce stade, à une Communauté culturelle des Etats d'Afrique de l'Ouest (C.CE.AO) par exemple ou une Union culturelle ouest africaine (UCOA) et se donner la volonté, le temps et «tous les ingrédients» pour construire et consolider de tels espaces?
Si des espaces de cette nature arrivaient à être construits en Afrique, la sécurité spirituelle se trouverait forcément prise en charge d'office, dans la mesure où le spirituel, les questions de croyance, de religions, de philosophie et toutes les postures y afférentes sont parties intégrantes de la culture. La sécurité spirituelle prise en charge par la culture permettrait précisément que nos religions et croyances africaines endogènes soient respectées et valorisées au lieu d'être «diabolisées» parfois comme du fétichisme !
La construction d'espaces culturels en Afrique devrait également prendre en considération d'autres aspects que je vais aborder de façon synthétique dans la deuxième partie de cette communication.
2. Eléments constitutifs des espaces culturels africains
Pour parler d'espaces culturels intégrés en Afrique, les éléments, les aspects ci-après devraient/pourraient être pris en charge, de mon point de vue :
a. Les langues de communication. Que fait-on de et avec la très grande diversité linguistique du continent ou même des sous-régions prises isolément ? Comment outiller nos langues pour la communication «d'aujourd'hui et de demain»? Comment exploiter au mieux cette grande pluralité de langues que j'estime être une fabuleuse richesse pour l'Afrique?
b. Les systèmes éducatifs, traditionnels comme modernes. Quelle «école» pour l'Afrique, au regard des besoins (qu'il faudrait bien cerner, bien identifier)? Comment exploiter les éléments endogènes d'éducation dans les systèmes éducatifs modernes en Afrique, si cela doit se faire? Quels curricula pour l'éducation en Afrique? En situation d'urgence? Dans la perspective de l'intégration culturelle, économique politique, etc.
c. Les patrimoines culturels/patrimoines immatériels. Que faut-il sélectionner à ce niveau? (la tradition des masques, les «fétiches», «les dieux tutélaires», les codes relationnels, les codes familiaux et sociaux, les cultes des défunts, les classes d'âge, etc.). Comment les valoriser? Folklore vs culture?
d. La cuisine africaine et les pratiques culinaires
e. La médecine traditionnelle. Quelle intégration dans les pratiques modernes de médecine et de prise en charge des malades?
f. L'architecture/l'habitat.
g. La gouvernance politique et sociale
Les éléments ci-dessus dégagés ne peuvent évidemment constituer ni une liste exhaustive ni être la seule liste pertinente, tant est vaste et complexe le domaine culturel. Le plus important ici est qu'on puisse obtenir comme un consensus sur les fondamentaux à prendre en compte dans le protocole qui devra servir de base au regroupement culturel envisagé.
Je n'en dirais pas plus sur ce second point parce qu'il s'agissait surtout pour moi de dire qu'on peut trouver/dégager une plateforme consensuelle pour un regroupement culturel en Afrique et aussi d'ajouter que l'aventure «en vaudrait le coup» pour voir précisément ce que la dimension culturelle pourrait nous apporter là où d'autres dimensions (politique, économique et stratégique) ont montré quelques limites ou un peu d'essoufflement à ce jour.
3. D'une rencontre à l'autre
Comme mentionné dans l'introduction de cette communication, je voudrais juste relever dans cette dernière et très brève partie ce qu'on pourrait établir comme passerelle entre les rencontres organisées par le Maroc au mois de mars et la présente réflexion.
Le lien apparent et évident, ce fil conducteur reste pour moi la culture comme déjà dit du reste, qu'il s'agisse de l'oralité comme registre privilégié de communication en Afrique, des productions des écrivaines africaines qui s'inspirent forcément de cette littérature orale ou de la question d'un regroupement africain sur fond culturel, on n'en revient toujours à la culture ; c'est tout à l'honneur de notre pays hôte et il faut l'en féliciter chaleureusement !
Je crois effectivement qu'il s'agit d'un choix judicieux parce que la culture est effectivement le volet/le terrain sur lequel se rencontreraient presque naturellement des «frères»/des personnes aux destins liés et dépendants comme nous souhaitons le devenir en Afrique, comme nous cherchons à le faire et à l'être en Afrique avec nos différents regroupements.
Conclusion
En guise de conclusion et au regard des développements ci-dessus, je voudrais terminer mon intervention sur une exhortation pour nous africains à regarder résolument dans la direction de la culture, une culture fédératrice de toutes nos énergies pour le développement socioéconomique et le bien-être que nous recherchons pour nos populations.
Bien évidement ce choix comme tous les autres que nous avons effectués jusque-là dans le même objectif de développement socio-économique et politique de nos pays et pour nos populations, ce choix donc a forcément un prix à payer à commencer par la volonté politique du «vouloir faire ensemble», du «vouloir agir ensemble» comme d'un vouloir vivre ensemble auquel nous sommes de toutes les façons condamnés/contraints pour réussir collectivement mais aussi individuellement.
Je réitère mes félicitations et mes remerciements au ministère marocain de la Culture pour ce moment intense d'échanges et lui souhaite plein succès pour ses autres initiatives.
Je vous remercie».
Communication au SIEL de Sanou Bernadette Dao, écrivaine du Burkina Faso (juin 2023)