Burkina Faso: Vite, une loi sur le foncier !

Mon voisin a fait irruption chez moi hier soir ! Pendant que j'étais concentré sur les nouvelles du front du Journal télévisé de 20 heures, il déflora l'intimité de mon salon en marchant presque sur mes pieds. Quand Bienvenu lança sa formule de fin de reportage, mon voisin répéta en même temps que Taonsa : « déposez les armes ou périr ! ». Je n'eus le temps de lui demander des nouvelles quand il déclencha sa cartouche de colère : « la guerre est déjà finie, mais il reste l'autre guerre ! » Je dis voisin, touche du bois, ne sois pas rabat-joie, de quelle autre guerre parles-tu ?

Il me fusilla du regard et me cracha à la figure : « le foncier, le foncier, une bombe à fragmentation ! Il va falloir que le vecteur aérien prenne encore de l'altitude pour voir l'état de décrépitude dans lequel nous sommes et frapper ! Je n'ai presque plus de village, la terre de mes pères est devenue une vaste étendue de terrains vendus à vil prix par les miens, bornés et revendus à prix d'or par des sociétés immobilières dont les coups de pioche ont profané les sépultures de mes ancêtres. Nous n'avons plus de champs pour cultiver, même le bosquet sacré dont je porte fièrement le nom est dans le collimateur d'une société dont les propositions sont très sonnantes et trébuchantes.

Quand je pense que mon placenta a été foulé au pied par ce bulldozer à la démarche de chenille, ma fierté rampe dans la boue. Il faut vite faire quelque chose! ». Mon voisin a raison. L'activité de promotion immobilière a fait du Burkina un grand marché de terrains achetés nus et revendus nus. On tombe des nues quand on sait qu'en 2016 le nombre de promoteurs immobiliers étaient 9 contre 275 aujourd'hui. La chasse aux terres est devenue un sport national, une activité florissante aux bénéfices certains.

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Mais la ruée vers les terres a fini par mettre en terre les textes mêmes qui régissent son allure. En effet, il y a des textes qui organisent le secteur, mais par négligence ou par laxisme opportuniste ou par complicité subtile, l'Etat, depuis de nombreuses années, a laissé faire. Sinon, le but de l'activité immobilière est la vente de logements produits. Autrement dit, le promoteur immobilier ne doit pas se limiter à la vente de terrains ; il doit savoir concilier le foncier et l'habitat en vendant des terrains bâtis aux citoyens.

L'exercice de la promotion immobilière a besoin d'être recadré de sorte à assainir le secteur et donner plus de visibilité et de lisibilité aux différentes initiatives sur le terrain. Cela sera même à l'honneur des sociétés immobilières agrées, dans la mesure où celles-ci exerceront en toute légalité tout en accompagnant l'Etat dans sa politique de logement. Mon voisin a répliqué en pointant du doigt les cités d'à-côté : « cela fais des années que des Burkinabè y habitent mais sans eau courante ni électricité.

Chaque matin et soir, ils bavent et bravent la route trouée de toutes les incertitudes pour aller et revenir. Quand il pleut, ils restent enclavés et coupés de la République, jusqu'à ce que les eaux s'estompent. Ils organisent régulièrement des conférences de presse pour dire leur ire et réclamer de la part des promoteurs incriminés des conditions de vie plus dignes mais hélas ! Le chien aboie, la caravane passe ! » Là aussi mon voisin a raison. C'est déjà bien de mettre à disposition des terrains bâtis, mais s'il n'y a pas les commodités nécessaires, c'est comme enterrer un cadavre et laisser ses pieds dehors.

Une fois de plus, l'Etat doit prendre ses responsabilités et redorer son blason en tant que puissance publique, mais aussi redorer celui du secteur de la promotion immobilière. Cela ne veut pas dire que l'Etat doit abuser de ses pouvoirs. Il doit savoir gérer le passif foncier avec tact et parcimonie. La Justice devra faire son travail sans céder le moindre lopin de son indépendance et l'Administration devra jouer franchement sa partition en apurant le passif foncier sans avoir à tendre la main sous la table.

La question de la restructuration des zones d'habitation spontanées doit également être résolue de sorte à ce que les non-lotis ne soient plus perçus comme des taudis insalubres mais comme des quartiers dignes de ce nom. L'Etat devra aussi jouer la fermeté en secouant le géant cocotier qui trône en son sein. Cela implique qu'au-delà du projet de loi portant promotion immobilière, il faut faire sans complaisance le point de la gestion des lotissements.

Cela est d'autant important que la crédibilité et l'honneur même de la superstructure étatique en dépend. Le fameux fichier du foncier est toujours attendu comme un mirage, même si en vérité, il pose la problématique de la quadrature du cercle. Qui aura le culot de faire le « sale boulot » avec ses mains propres et combien sont-ils à avoir des mains propres ?

Il faudrait que ceux qui doivent dresser ce fichier soient des Burkinabè au premier sens du terme et qu'ils aient le courage d'assumer leur intégrité. Malheureusement, la bombe à retardement du foncier montre et démontre à souhait qu'entre patriotisme et mercantilisme, le choix de bon nombre est clair.

Mais il appartient plus que jamais aux digne fils de ce pays de prendre la décision qui convienne au nom de l'intérêt public. Si rien n'est fait cette fois-ci, on pourrait continuer à aller vite mais on aura sauté dans notre empressement le plus important : le Burkinabè !

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