Madagascar: Fiscalité verte - La Grande île doit accélérer

Dans le cadre des efforts pour diversifier les ressources pour financer les projets s'inscrivant dans la gouvernance durable, Madagascar est en train de s'activer pour mettre en place une politique de fiscalité verte et d'une stratégie dédiée.

Notons que selon les économistes, le champ de la fiscalité dite verte peut se diviser en quatre catégories. La première rassemble les taxes proprement dites, qui sont des prélèvements obligatoires sans contrepartie et dont l'assiette est un produit polluant. C'est le cas par exemple de la taxe sur les activités polluantes, basée sur les émissions vers l'air ou les pesticides. La seconde concerne les redevances qui couvrent des coûts pour services environnementaux, principalement dans les domaines de l'eau et des déchets. La troisième concerne les mesures dites positives comme les crédits d'impôt qui cherchent en particulier à orienter les choix d'investissements dans un sens plus favorable à l'environnement. Enfin la quatrième catégorie s'intéresse aux incitations fiscales (exonérations, déductions, baisses de taux) qui cherchent également à orienter les comportements en faveur du développement durable.

Cette explication faite, il est utile de constater que les recettes fiscales et parafiscales représentent une grande partie des ressources captées par l'État, au même niveau que les financements obtenus des partenaires au développement. Mais au regard de la situation actuelle, les besoins de financement liés à l'atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) ne sont qu'à moitié couverts. Madagascar n'est pas le seul dans cette situation. C'est un problème africain. Raison pour laquelle la Conférence des Nations Unies sur le financement

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du développement met l'accent sur l'accroissement des recettes fiscales comme levier essentiel du développement durable en Afrique et lancé l'Addis Tax Initiative. Le principe est simple : pour réussir une « transformation structurelle » combinant autonomie, résilience, développement durable et émergence des citoyennetés, rien ne peut remplacer l'effort d'accumulation sur la base des ressources nationales.

Toutefois la mise en application de ce principe n'est pas aisée surtout pour la Grande Ile où le taux de pression fiscale ne progresse que très lentement, nonobstant certains efforts internes et les injonctions externes, notamment du FMI (Fonds monétaire international) qui recommande inlassablement de baisser les taux d'imposition nominaux et d'élargir la base taxable. En outre, l'augmentation de la pression fiscale, au-delà d'un certain seuil et si l'on ne prend pas garde à ses modalités pratiques, n'est pas sans effets négatifs potentiels tant sur l'attractivité et la compétitivité du pays que sur la répartition interne des revenus.

Dans ce contexte, plusieurs questions sont souvent soulevées. Quelles sont les marges de manoeuvre dont dispose l'État pour exploiter efficacement les opportunités existantes et augmenter les ressources fiscales mobilisables pour le développement (RFMD), celles nécessaires pour le financement des ODD ? Les résistances internes sont-elles puissantes ? Sur quel

« contrat fiscal » les réformes peuvent-elles s'appuyer ? Quels appuis réellement efficaces peuvent éventuellement apporter les partenaires techniques et financiers ?

Consultations régionales

C'est dans ce contexte qu'une série de consultations à différents niveaux a été réalisée dans différentes régions du pays, dont le Vakinankaratra, l'Atsimo Andrefana, l'Atsinanana, la Sava et l'Anôsy, sur les questions de fiscalité durable. Quant à l'atelier de consultation pour l'Analamanga, il s'est déroulé du 11 au 12 mai dernier. « Le développement de l'entrepreneuriat et la création d'emplois décents, le développement de filières innovantes vertes et bleues, la valorisation du capital naturel et la gestion durable de l'environnement comptent parmi des leviers promus pour contribuer au développement durable de Madagascar par la fiscalité verte », a indiqué le Programme des Nations Unies (Pnud) Madagascar à cette occasion.

Il a aussi été souligné que la gouvernance environnementale requiert la mobilisation active de ressources financières, humaines et matérielles. Aussi, le Ministère de l'Environnement et du Développement Durable, à travers sa Direction de Mécanisme de Financement Durable, avec l'appui du Pnud à Madagascar, mise sur la diversification des sources de financement pour la gestion durable de l'environnement. Les six premières régions consultées ont été choisies du fait de leur potentialité en fiscalité, les informations collectées seront consolidées et feront objet de validation avant son lancement officiel. Les consultations ont aussi permis de situer les faiblesses à combler en matière de financement durable.

Rappel a aussi été fait que c'est la Direction de Mécanisme de Financement Durable du ministère de l'Environnement et du Développement Durable qui est le garant de la coordination des mécanismes de financements domestiques et extérieurs et de la promotion des mécanismes de financement innovant relatif à l'environnement. De ce fait, elle assure le lead, la supervision et la participation effective dans le processus d'instauration de la fiscalité durable et environnementale.

À savoir que depuis plusieurs années, le Pnud rappelle que la question de la mobilisation de l'espace budgétaire, c'est-à-dire de l'ensemble des gisements de ressources mobilisables pour financer les dépenses publiques se pose avec une acuité renouvelée. Et cet organisme d'ajouter que le programme « Préservation de la stabilité macroéconomique et appui au développement » a pour sous-objectifs d'améliorer la mobilisation des ressources internes et d'optimaliser le financement du développement durable. « Le constat de l'amenuisement progressif des ressources face à l'importance des besoins de développement, combiné à la mise en oeuvre du nouvel agenda de développement 2030, amène à s'interroger sur le potentiel de mobilisation des ressources internes (MRI) de Madagascar face aux enjeux du financement des Objectifs du Développement Durable (ODD) », a-t-il aussi souligné.

Dans son examen du lien entre ressources internes et développement, le Pnud a mesuré tout le potentiel de ressources mobilisables, l'efficacité et l'efficience du système fiscal pour la mobilisation des ressources intérieures, et analysé l'efficacité et la pertinence des dépenses fiscales, l'efficacité de l'administration fiscale et toutes les possibilités d'extension des capacités contributives des acteurs et agents économiques. Les résultats de ces études permettent aujourd'hui de mieux cerner les problématiques et d'affiner la stratégie à mettre en oeuvre en matière de fiscalité durable.

Il est indiqué, entre autres, que les faiblesses actuelles des capacités de l'administration fiscale ne permettent pas d'atteindre le potentiel fiscal de Madagascar estimé de 15 à 17 % selon le FMI. En effet, le ratio impôts/PIB de Madagascar tourne autour de 12% %, inférieur de plus de 5 points à la moyenne des 26 pays d'Afrique (17,2 %) et inférieur également à la moyenne d'Amérique latine et des Caraïbes (22,8 %). Entre 2008 et 2017, le ratio impôts/PIB de Madagascar a même connu une diminution.

Et au mois d'août de l'année dernière, il a été procédé au recrutement d'un consultant spécialiste en fiscalité pour projet de l'élaboration de dispositif et outil de mobilisation et pérennisation financière dans le cadre de l'instauration et opérationnalisation de la fiscalité verte à Madagascar. Motivant cette initiative, explication a été donnée que la fiscalité au service du développement durable constitue l'une des formes principales des instruments économiques favorable à l'environnement et est déjà utilisée dans quelques pays membres de l'Union européenne (cas des pays comme la Suède, la France, etc.) ainsi que dans les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

« Chaque pays dispose de manière différente la forme de la taxe durable selon les contextes, objectifs et leur mode de fonctionnement. C'est ainsi que le ministère de tutelle prévoit d'instaurer la fiscalité verte dans tout le territoire malagasy afin d'augmenter les ressources financières domestiques par le principe de « pollueur-payeur » et augmenter sa capacité à financer ses interventions dans le domaine de l'Environnement et du Développement Durable », a-t-on aussi indiqué.

Défis climatiques

D'importantes ressources à mobiliser

Par la force des choses, la Grande Ile est devenue l'un des pays les plus exposés au monde aux catastrophes climatiques extrêmes et fait même partie de trois nations les plus vulnérables aux conséquences du changement climatique. Inondations fréquentes, tempêtes tropicales, cyclones et sécheresses ont un impact dévastateur sur l'économie et sur ses populations. D'où la nécessité de mobiliser plus de ressources pour y faire face. Pour Hanitra Raharimanantsoa, évoluant au sein d'un cabinet de consulting orienté développement eco-responsable, le fait de miser sur la fiscalité verte est tout à fait justifié car Madagascar doit aujourd'hui relever un challenge de taille pour s'adapter à la nouvelle donne climatique. Nombre de ménages malgaches dépendent fortement d'une agriculture vivrière et de cultures pluviales. Par conséquent, les catastrophes comme la sécheresse ont des conséquences difficilement mesurables sur sa sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des populations. Et selon les prévisions, le changement climatique devrait augmenter encore à l'avenir la fréquence et la violence de ces catastrophes. Les enjeux de lutte contre le changement climatique qui se manifeste à Madagascar par une multitude d'impacts socio- économiques et environnementaux, se retrouvent intrinsèquement liés aux problématiques de développement : énergie et électrification, aménagement du territoire, transports et croissance urbaine, impacts du climat sur la gestion de l'eau et l'agriculture, effets sanitaires, impacts des catastrophes naturelles, maintien des services écosystémiques, gestion des forêts et conservation de la biodiversité, etc. Tous ces secteurs cités représentent plus de 2 milliards de dollars chaque année. Et les financements en provenance des partenaires techniques et financiers sont loin d'être suffisants. Raison pour laquelle, le pays doit revoir son dispositif fiscal pour s'arrimer aux nouveaux enjeux. « Face à cette situation, Madagascar est condamné à s'activer pour réunir les conditions nécessaires pour mieux combattre l'insécurité alimentaire qui s'aggrave et pour adapter son économie à la nouvelle réalité environnementale. Ce qui constitue un défi énorme car la population doit encore être sensibilisée et les acteurs du développement, des responsables locaux à la société civile en passant par le secteur privé, sont appelés à mieux cerner les nouveaux enjeux liés au changement climatique pour pouvoir arrimer leurs actions à l'atteinte des objectifs fixés », a ajouté Hanitra Raharimanantsoa. Certes, de nombreux efforts ont été déployés ces dernières années mais force est de constater que la tâche est immense. D'autant plus que les ressources mobilisées jusqu'ici ne permettent pas encore d'avancer plus rapidement. Pour financer les projets de réduction des risques de catastrophes, renforcer les structures locales, protéger son capital naturel ou encore adapter son tissu productif aux exigences en matière de développement durable, les spécialistes estiment que Madagascar a besoin de plus de 10 milliards dans les 7 ans à venir.

VERBATIM

Rindra Hasimbelo Rabarinirinarison, ministre de l'Économie et des Finances

« Le renforcement de la mobilisation des ressources ne se résume pas à un simple accroissement des recettes. En effet, la fiscalité se répercutant inévitablement sur la plupart des aspects de l'activité économique, sa conception requiert un soin tout particulier, d'où l'importance primordiale de la politique fiscale. Initiée par le ministère de l'Économie et des Finances, à travers le projet d'appui à la mobilisation des recettes publiques, une étude a été réalisée pour appuyer la conception et la mise en oeuvre de réformes visant à une mobilisation accrue de recettes fiscales et non fiscales pour soutenir la politique de développement durable du pays ».

Natasha van Rijn, Représentant Résident du Pnud à Madagascar

« La fiscalité verte pourrait être intégrée dans les coûts supportés par les acteurs économiques (entreprises, ménages, secteurs publics ...) et favorise ainsi la régulation écologique afin de réduire notamment la pollution et la dégradation. La réussite de la fiscalité verte nécessite la concertation de tous les acteurs concernés (État, collectivités territoriales, entreprises et citoyens). Un plaidoyer fort et soutenu y afférent devrait être réalisé afin de mobiliser la participation de toutes les parties prenantes publiques et privées ainsi que l'implication citoyenne. En outre, elle peut augmenter le budget alloué aux activités en faveur du développement durable ».

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