Afrique Centrale: Le cameroun est un multipède qui doit marcher sur tous ses pieds

opinion

Les adeptes de la religion des infrastructures, pour qui les solutions techniques sont considérées comme l'unique moyen justifiant le développement sont eux aussi des matérialistes. Ces technos solutionnistes militent certes à leur manière pour la doctrine qui affirme que rien n'existe en dehors de la matière et que l'esprit est lui-même entière matériel, mais il ne faut pas confondre leur doxa avec le matérialisme historique qui lui renvoie au marxisme.

Cette gente pense que le Cameroun est un pays sous-développé simplement parce qu'il manque cruellement d'un ensemble de réalisations physiques modernes tels que des réseaux routiers et ferroviaires, des canaux de navigation reliant les villes de son hinterland avec sa façade maritime par exemple, un ensemble de ports fluviaux permettant le cabotage entre les villes que traversent ses nombreux cours d'eaux, des aéroport capables de recevoir des bombardiers B52, et tutti quanti. Ils n'ont pas totalement tort parce que ces éléments sont actuellement en effet nécessaires dans la nomenclature des constituants d'un pays développé. Mais ils n'ont pas non plus raison de penser que ce ne sont qu'eux seuls qu'il faut avoir pour prétendre à notre époque à ce statut. Dans l'appréciation de la puissance et du progrès, les choses ont beaucoup changé et sont désormais plus complexes qu'elles ne paraissent. Pour exister en tant que pays développé notamment, l'on n'a plus seulement besoin de brandir le hardware que constitue la panoplie des infrastructures matériels et techniques que nous avons dressées plus haut. L'on a aussi besoin du software que sont par exemple les sociétés savantes, les comités d'experts (think-tank) et les instituts de recherche, car la puissance au sens où elle est entendue au 21eme siècle, ce ne sont plus seulement comme autrefois, des usines, des raffineries, des aciéries et des autoroutes. Ce sont également désormais les éléments immatériels que constituent l'influence politique, l'influence diplomatique et le rayonnement culturel qui forcent les autres au respect et à l'admiration. Un ensemble de choses qui constituent non seulement un puissant stimulant pour soi, mais aussi un booster qui pousse à aller encore plus loin en avant car en règle générale, le succès appelle le succès.

Ce paradigme est devenu tellement important que désormais les grands pays qui comptent au monde ne concentrent plus leurs efforts seulement sur le besoin de se doter d'une armada de navires de guerres et une escadrille d'avions de combat. Ils se déploient également dans le domaine des outils qui sont au service de la culture et de l'influence, aussi bien dans le secteur de la presse d'information, de la télévision, du cinéma, que de la transmission des connaissances. Et c'est dans cette veine que s'inscrit donc d'une part, la présence depuis les années 1960 dans pratiquement toutes les grandes villes africaines sub-sahariennes, des centres culturels français et américain, et d'autre part, le foisonnement des instituts Cervantès, Confucius et Goethe qui sont loin d'être de simples gadgets innocents, mais de puissants relais politiques et diplomatiques, et d'efficaces vecteurs des cultures des pays impérialistes. Et sur le même sujet, à une échelle tout aussi ambitieuse, que s'inscrivent les nouvelles orientations des politiques culturelles en direction des pays du pré-carré que préconise le président Emmanuel Macron. De nouveaux axes de travails qui sortent des sentiers battus et initient des pratiques diplomatiques et politiques nouvelles principalement basés sur la séduction, le divertissement et la culture. Et plus près de nous sur le continent africain, au-delàs des politiques qui nous viennent de l'occident, c'est dans cette même veine qu'il faut aussi lire la renommée d'un pays comme le Nigeria, qui repose plus sur Nollywood sa florissante industrie cinématographique, que sur son armée.

Dans un pays qui promeut et promet l'émergence dans seulement douze petites années en 2035, l'on aurait donc absolument tort de n'accorder aucune importance à l'inexistence formelle et officielle de sociétés de savants et d'intellectuels car en fait, si de telles structures ne servaient à rien, on n'y consacrerait pas autant d'argent dans les pays du Nord, et elles n'existeraient pas non plus dans les pays qui comptent au monde : les USA, la Chine, la Fédération de Russie, le Japon, la Grande Bretagne et la France notamment. Et si elles n'existent pas au Cameroun, c'est objectivement d'une part parce l'intelligentsia y est encore au stade embryonnaire et élémentaire, et d'autre part, parce que la vision des dirigeants politiques ne porte que sur une distance de courte focale, pour éviter de dire qu'elle est inexistante.

Mais plus encore, il faut aussi dire que la problématique du développement dans le contexte de prise de conscience des changements climatiques que connaît le monde, ne se pose plus aujourd'hui dans les mêmes termes qu'hier. Dans tous les pays développés en effet, il y a désormais des remises en cause dans pratiquement tous les domaines et notamment tous les secteurs industriels et techniques. Et dans un pays comme les USA, les investissements se font désormais en tenant compte de ces évolutions qualitatifs. En le disant, il n'est pas question d'auto-flagellation comme le pense malheureusement quelquefois encore ceux qui ont du mal à accepter que nous ayons fait le choix de pointer nous-mêmes du doigt nos propres insuffisances, mais plutôt de réalisme, d'honnêteté et même de proactivité. Et c'est malheureusement une attitude avec laquelle nous avions déjà été confronté dans notre milieu dans les années 1990, au moment de la démission de Woungly-Massaga du secrétariat général de l'UPC. A cette époque, nous avions été seul à prendre faits et causses pour lui, ayant compris qu'avec son départ, il venait de se produire une tragédie à la fois pour le parti, le Cameroun et même pour le panafricanisme de conviction et d'actions dont il était l'une des figures de proue lors de son passage au Ghana avec le président Kwamé Nkrumah, et en Angola avec le président Agostino Neto. Et pour cela, nous avions alors fait l'objet de reproches, d'incompréhension et d'ostracisme. Excusez du peu. Avec notre petite voix inaudible, nous n'étions pas parvenus à nous faire entendre des camarades en général et des dirigeants qui manifestement, non seulement ne semblaient pas avoir pris la mesure de l'événement, mais pensaient même plutôt malheureusement que les lendemains allaient chanter. Ils ne se rendaient pas compte de la terrible erreur de jugement qu'ils commettaient en faisant totalement fi du fait que dans le vécu des nations et en l'occurrence de notre lutte, il y a des associations et des complémentarités historiques du genre de celle que constitua dans les années de la création de l'UPC en 1948, d'une part, le quatuor Ruben Um Nyobe, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Abel Kingué, et, d'autre part ensuite, celle que constitua la rencontre des militants mobilisés après l'assassinat du président Ernest Ouandié en 1971 avec Woungly-Massaga, l'artisan de l'UPC-Manidem. Un tandem qui devait perdre toute sa substance et sa capacité d'action dès lors que les premiers étaient séparés du second. Des dizaines d'années après ces tristes et douloureux évènements, à l'aune des errements qui se sont ensuite produits sous mes propres yeux dans la lutte que chacun continua de son côté à mener, aujourd'hui en 2023, je peux me permettre une telle conclusion car les faits m'ont plutôt donné raison. Comment peut-on en effet expliquer autrement que de cette manière-là, l'inefficacité qui s'est ensuite installée pendant des années alors que tout ce beau monde était revenu sur le théâtre des opérations au Cameroun, et l'incapacité du premier comme des seconds, de n'être plus jamais parvenus à porter la lutte du peuple camerounais au niveau où elle se trouvait au moment où le schisme se produit au sein de l'UPC en 1990 ?

La révolution a besoin d'un continuum

Une révolution comme celle dont il est question au Cameroun depuis que l'UPC a été créée en 1948, pour triompher doit être considérée non pas seulement comme un multipède qui doit marcher sur tous ces pieds, politique, économique, diplomatique, social, culturel et même lorsque le besoin s'en fait ressentir, militaire, mais, qui doit aussi être conduit par des hommes résolus ayant une claire conscience des enjeux et attestant d'un savoir-faire politique et organisationnel éprouvé.

Comme disait Mao Tsé Toung, « La révolution n'est pas un diner de gala ; elle ne se fait pas comme une oeuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle ne peut pas s'accomplir avec autant d'élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d'amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d'âme. La révolution, c'est un soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre. » Nous ne faisons pas mention de cette citation parce que nous la considérons comme l'unique mode d'emploi auquel toutes les révolutions doivent obéir à la lettre et à l'esprit. Nous la convoquons ici afin, d'une part, d'illustrer la complexité de la révolution comme élément de conception et d'action de changement alternatif dans un pays néo-colonial comme le nôtre, et d'autre part, d'affirmer son caractère de diversification et sa nécessité d'adaptation en fonction des milieux où elle se déroule. En effet, la description imagée que le grand timonier chinois fait dans le petit livre rouge de ses citations de cet acte violent de soulèvement d'un peuple, laisse clairement apparaître sa gravité et sa complexité. Et sans le dire, elle invoque aussi la nécessité de son adaptation aux réalités sociologiques des lieux où elle s'impose aux peuples. Partout où les révolutions auront lieu dans le monde, ces initiateurs devront tenir compte de ce bréviaire. Et au Cameroun, depuis la création de l'UPC en 1948, les dirigeants en ont pris acte. La révolution de l'UPC n'a certes pas gagné, mais, compte tenu d'une part, des moyens matériels dont elle disposait, et, d'autre part, de la coalition qu'elle a affrontée (l'impérialisme français et ses obligés locaux), elle n'a pas non plus démérité. Sans aucune exagération, ces grandes figures, les Ruben Um Nyobé, Félix Roland Moumié, Ernest Ouandié, Abel Kingué, Ossendé Afana, Woungly-Massaga, ont leur place aux côtés de toutes les grandes icônes du panthéon révolutionnaire international.

Premier vice-président du Parti de la Solidarité du Peuple (PSP-UPC)

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