Madagascar: Un monopole commercial accordé aux Américains au XIXe siècle

Des historiens bostoniens, Bennet et Brooks, publient, à la fin des années 1910, un ouvrage intitulé New England Merchants in Africa, relatif aux activités américaines sur le continent noir de 1802 à 1865. Madagascar y occupe une part non négligeable. D'après l'archiviste-paléographe Jean Valette, à l'occasion de la célébration du centième anniversaire de l'ouverture des relations diplomatiques entre les deux pays, en 1966, les documents présentés par les deux auteurs ont « le grand mérite de mieux nous faire connaître le mécanisme du commerce américain à Madagascar ». Ce commerce est entre les mains de négociants et d'armateurs de Boston et de Salem. « Il se caractérise essentiellement par son étroite imbrication avec le commerce qui s'effectuait sur la côte orientale d'Afrique, principalement avec Zanzibar, d'où un commerce américain à Madagascar, essentiellement basé sur la côte Ouest. » Jean Valette l'explique aussi par la position prépondérante qu'occupent sur la côte Est de Madagascar, les négociants français et anglais qui se trouvent tout près de leurs bases, les îles Maurice et de La Réunion. « On assiste ainsi à un véritable partage- dont on ne sait s'il fut tacite ou non- les Français et les Anglais commerçant sur la côte Est, les Américains sur la côte Ouest.» Toutefois, ajoute-t-il, il ne faut pas sous-estimer le rôle tenu par les commerçants arabes et indiens. Un autre auteur, français celui-ci, apporte aussi d'importantes précisions sur le commerce américain. Il s'agit de l'officier de marine Guillain qui publie en 1845 ses Documents sur l'histoire, la géographie et le commerce de la partie occidentale de Madagascar.

Il y analyse les mécanismes commerciaux. Jean Valette en cite un long extrait. « Le commerce extérieur a lieu principalement avec les Américains et consiste presque exclusivement dans les opérations du comptoir que ceux-ci entretiennent à Mahajanga depuis 1830. Ce port est devenu une escale pour les six ou sept navires de cette nation qui commercent annuellement avec Zanzibar. L'agent américain de Majunga (Vincent Marles) et celui de Zanzibar appartiennent à la même Maison, et les mouvements des bâtiments sont combinés de manière à lier les opérations des deux comptoirs. Les chargements de ces navires sont assortis selon les besoins des diverses places qu'ils visitent : ils se composent ordinairement de cotons écrus et blancs, de coutellerie, quincaillerie, poterie, verroterie, poudre, fusils, vêtements bourgeois et militaires, parasols, farine, biscuit, jambons et fromages. Les vivres sont principalement destinés pour Mozambique et Bombay. Chaque navire touche en venant ou à la côte de Mozambique ou à celle de Madagascar, de sorte qu'annuellement trois ou quatre navires passent ainsi chargés à Majunga où ils déposent une quantité de ces marchandises proportionnée aux besoins du comptoir. Les importations annuelles comprennent en moyenne de deux cents à deux cent cinquante balles de coton américain et de vingt à trente caisses d'autres étoffes, un millier de fusils et une certaine quantité des autres objets mentionnés ci-dessus...

Le tout représente une somme d'environ 16 000 piastres, prix de facture. Les exportations ne vont pas au-delà de ce chiffre, elles consistent en peaux et suif ; chaque peau est payée une piastre. Tout l'argent résultant des bénéfices de la vente est ordinairement porté à Zanzibar où il est employé à l'achat de l'ivoire, de la résine copal et des autres produits que prennent habituellement sur ce marché les navires de la Maison ». Jean Valette note que cette organisation du commerce africain correspond très exactement à la politique qui marque le règne de Ranavalona Ire. « Celui-ci ne fut pas le règne du repliement que certains ont imaginé, mais plutôt un règne d'autarcie intelligente, d'ouverture de Madagascar aux produits utiles ». La pièce maitresse de cette politique sur la côte Est est le monopole de l'association Rontaunay-De Lastelle. Un tel monopole existe aussi sur la côte Ouest entre les mains des Américains, car cette nation n'émet aucune prétention territoriale sur Madagascar et donc ne présente aucun danger pour la monarchie merina. Mieux, après les incidents anglo-franco-malgaches de Toamasina en juin 1845, la reine donne le monopole de tout le commerce de Madagascar aux Américains, pour briser le blocus franco-britannique.

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