Afrique: Portrait| Au contact du bienheureux Carlo Acutis - La vie du Mauricien Rajesh Mohur prend une nouvelle tournure

Le 10 octobre 2020, ils ont été des milliers à suivre en direct la cérémonie de béatification de l'Italien Carlo Acutis, génie de l'informatique, mort à 15 ans d'une leucémie foudroyante. Evénement qui s'est tenu en la basilique St François d'Assise à Assise où l'adolescent avait demandé à être enterré. Ce que peu de personnes savent, en revanche, et qui figure dans le livre «Blessed Carlo Acutis : A Saint in Sneakers», écrit par Courtney Mars, correspondante de la Catholic News Agency au Vatican, paru le 30 mai dernier, est que l'accompagnateur de Carlo Acutis est Mauricien. Il s'agit de Rajesh Mohur, que nous avons pu retracer, et qui a accepté de raconter comment, au contact de ce jeune italien d'une immense piété, sa vie a pris une nouvelle tournure. Récit d'une belle amitié et d'un chemin de conversion.

Rajesh Mohur a aujourd'hui 63 ans. Il vit, avec son épouse Magesh, dans la maison habitée avant sa mort par Carlo Acutis et ses parents à Milan. Il est toujours au service d'Andrea et d'Antonia Acutis qui, depuis la mort de leur fils, ont été vivre à Assise. Ces derniers viennent trois à quatre fois l'an à Milan et Rajesh Mohur supervise alors le travail du personnel qui les accompagne.

La famille de Rajesh Mohur est originaire de Très Bon à Vacoas. Son père Hurry Parsad est planteur et emploie énormément de monde à l'année pour travailler dans ses champs. De plus, il est un pandit respecté, qui a étudié le sanskrit, l'hindouisme et qui connaît des livres tels que le Bhagavad-Gita et le Ramayana sur le bout de ses doigts. En parallèle, Hurry Parsad Mohur fait du travail social et s'est même laissé tenter par une carrière en politique, ayant été candidat aux élections de 1976. Sa mère Satwantee est aussi une femme très cultivée, qui a fait toutes ses classes. Comme son père est aussi président du Hindu Maha Sabha, celui-ci anime des causeries sur la spiritualité et sur tout ce qui peut faire avancer les Mauriciens de foi hindoue. C'est donc dans une atmosphère empreinte de spiritualité et de méditation que naît et grandit Rajesh Mohur.

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Celui-ci effectue sa scolarité primaire au Glen Park RCA puis son cycle secondaire au collège Eden à Rose-Hill. Comme ses notes sont excellentes, son père tient à ce qu'il aille compléter ses études secondaires en Inde et y fasse aussi ses études universitaires. En 1978, Rajesh Mohur est envoyé au Shreyas Vidyalaya Baroda dans l'Etat du Gujerat et complète son cycle secondaire auprès de l'Education Board Gandhinagar en 1980. Porté pour les sciences, il intègre ensuite l'université du Rajasthan où il étudie et obtient une licence en physique. Il aurait sans doute poussé les études plus loin si son père, qui était diabétique et qui séjourne un an en clinique en raison de complications de santé, n'était pas gravement malade.

Projets compromis

Le 4 juin 1984, Rajesh Mohur regagne précipitamment Maurice car l'état de santé de son père s'est détérioré. Ce dernier meurt dix jours plus tard. Un an de séjour en clinique a sérieusement entamé les finances familiales et les projets universitaires de Rajesh Mohur tombent à l'eau. Comme il y a des emprunts bancaires à rembourser, il doit impérativement trouver du travail. Rajesh Mohur frappe à toutes les portes mais au cours des années 80, l'économie mauricienne est au plus mal et les emplois sont rares alors que les intérêts bancaires continuent à grimper. A l'époque, il est plus facile de trouver de l'embauche en Italie qu'à Maurice. En 1987, Rajesh Mohur quitte Maurice pour Palerme où les contrôles policiers sont, en ce temps-là plus laxistes, et trouve un emploi au noir lui permettant de subvenir aux besoins de sa famille et de rembourser progressivement les dettes de son père.

Dès que Rajesh Mohur obtient son permis de travail, il quitte Palerme pour Milan où il sait pouvoir mieux gagner sa vie. C'est à travers une agence de travail intérimaire qu'il se rend à l'entretien d'embauche chez les Acutis. Ces derniers cherchent un accompagnateur pour Carlo, leur fils de quatre ans, qui est très précoce pour son âge. Plusieurs personnes, dont des Italiens, passent l'entretien mais au final, Carlo, qui a aussi son mot à dire dans cette sélection, le choisit. On est alors en 1995. Le courant passe immédiatement entre l'enfant, qui est né à Londres à l'époque où son père y travaillait, et le Mauricien.

Rajesh Mohur est agréablement surpris par les bonnes manières et surtout par la générosité de l'enfant qu'il accompagne tous les jours à l'école et à l'église car Carlo Acutis, qui est très pieux, est fasciné par l'Eucharistie. Le jeune Italien a besoin d'aller quotidiennement se recueillir devant le tabernacle. Carlo Acutis a de la peine pour ses camarades de classe dont les parents se séparent ou divorcent. Il les invite régulièrement chez lui pour leur changer les idées. Etant très porté pour les études et pour l'informatique, il encadre ceux qui ont de mauvaises notes, leur réexpliquant les cours qu'ils n'ont pas compris.

Mais Carlo Acutis est aussi un enfant de son âge, qui se passionne pour les nouvelles technologies, les jeux vidéo et les films. Il aime aussi les animaux. Il s'occupe d'ailleurs de ses chiens et chats, faisant même de petites vidéos d'eux. Il regarde en compagnie de Rajesh Mohur les films de James Bond, personnage qu'il imite ensuite mais aussi des dessins animés sur la vie des saints, sur celle de la Vierge Marie et sur les commandements.

Générosité de coeur

Ce qui frappe le plus Rajesh Mohur c'est l'altruisme du jeune italien. Que ce soit pour son anniversaire que pour la Pâques ou pour la fête de Noël, Carlo Acutis prend les cadeaux qu'il reçoit en espèces pour les donner aux pauvres. «Carlo était aussi très touché par le sort d'un sans-abri qui dormait sur des cartons à côté de l'église. Sachant que l'hiver allait être rude, il a demandé à sa maman d'acheter un sac de couchage épais qu'il a offert à cet homme pour que celui-ci ne souffre pas et ne meure pas de froid. Il faisait aussi préparer à manger pour cette personne que lui et moi allions lui apporter.»

A chaque fois qu'il va récupérer Carlo à l'école, qui est à proximité de sa maison et de l'église, l'enfant parle à Rajesh Mohur de l'Eucharistie. «Il m'expliquait comment le Christ était présent en chair, sang et âme, dans l'hostie, même dans le bout d'hostie le plus infime. Il faisait constamment référence au fait qu'il y a 2 000 ans, ceux qui voulaient entendre le message de Jésus-Christ devaient marcher des kilomètres pour aller le voir et l'écouter alors que de nos jours, il suffit de rentrer dans une église et de le rencontrer devant le tabernacle et de communier pour obtenir sa Grâce. Il disait que nous avions beaucoup de chance aujourd'hui et il ne comprenait pas comment il n'y avait pas autant de monde devant l'Eucharistie.» Carlo Acutis lui parle aussi de la Bible.

Ces conversations le ramènent à sa propre foi et à un besoin spirituel non rempli chez lui. «Lorsque j'étais à Maurice, je priais beaucoup. Il en a été de même en Inde où j'ai eu l'opportunité de voyager dans plusieurs Etats et de visiter plusieurs temples sacrés. J'ai aussi rencontré des gurus et pandits célèbres avec qui j'ai médité. Mais je sentais au plus profond de moi qu'il me manquait quelque chose. En Inde, quand j'allais prier dans les temples, je voyais des fidèles venir faire de même, apportant des fleurs, des cocos, des bananes, du lait, de l'huile et des tissus pour les offrir aux divinités. Mais aux abords des temples, il y avait des gens affamés et à qui personne ne donnait rien. Je ne comprenais pas cette attitude contradictoire de générosité envers les divinités mais pas envers son prochain. Et je cherchais le Dieu vivant. Vous savez, la famille de Carlo Acutis est milliardaire car elle possède une importante compagnie d'assurance à Milan. Carlo n'était pas obligé de s'intéresser aux pauvres ni à Dieu. Mais malgré son jeune âge, il tenait à offrir ses cadeaux aux démunis. Il refusait de vivre dans le luxe, s'habillant simplement et mangeant des choses simples. Il disait qu'il ne fallait pas gaspiller la nourriture car il y avait des pauvres qui n'avaient pas de quoi apaiser leur faim.»

Comme il était en adoration constante devant l'Eucharistie, Carlo Acutis voulait absolument se rendre dans les pays où des miracles eucharistiques avaient eu lieu. Et c'est ainsi que lui, ses parents et Rajesh Mohur se sont rendus au Portugal, en Espagne, en France durant les vacances scolaires de l'enfant qui grandissait et devenait adolescent. Comme il pressentait qu'il allait mourir très jeune - il a d'ailleurs dit dans une vidéo tournée par Rajesh Mohur qu'il était destiné à mourir -, le jeune italien a documenté les miracles eucharistiques sur ordinateur dont il maîtrisait la programmation depuis l'âge de neuf ans -, et a fait Rajesh Mohur imprimer des panneaux qu'il a envoyés aux paroisses dans plusieurs pays car pour lui, il était important que le monde entier découvre l'importance de l'Eucharistie. Ces panneaux ont été assemblés par deux prêtres et ont fait partie d'une exposition itinérante par la suite.

Manque comblé

C'est ainsi qu'au contact quotidien de Carlo Acutis, Rajesh Mohur a progressivement découvert la religion catholique et réalisé qu'elle venait combler le manque en lui. «Ce manque spirituel au fond de moi a été comblé par les enseignements de Carlo. Il m'a fait connaître le Dieu vivant et m'a fait comprendre que notre vie sur la terre est brève et que tout le monde peut aspirer à la sainteté en se faisant l'instrument de Dieu. Il m'a aussi fait réaliser qu'avec la foi, il ne faut pas craindre la mort car après, il y a la vie éternelle.» Pendant trois ans, le Mauricien décide de suivre des cours de catéchèse et le 28 mai 1999, il est baptisé dans la paroisse Santa Maria Segreta de Milan, là où son jeune protégé va chaque matin se recueillir devant l'Eucharistie. Ses parrain et marraine ne sont autres qu'Andrea et Antonia Acutis, les parents de Carlo.

Carlo Acutis insiste auprès de Rajesh Mohur pour rencontrer la mère de ce dernier et Satwantee Mohur vient rendre visite à son fils à Milan. Comme elle ne parle pas italien, elle et Carlo Acutis conversent en anglais. Elle accompagne d'ailleurs son fils et Carlo Acutis à la messe tous les jours durant son séjour. Ils se rendent même à Lourdes pendant une semaine et Satwantee Mohur ramène de l'eau bénie de Lourdes pour ses amis à Maurice. Elle s'est fait baptiser par la suite.

Rajesh Mohur passe ainsi dix ans aux côtés de Carlo Acutis. Un jour qu'il ramène celui-ci de l'école, l'adolescent fait de la fièvre. Il le couche dans la chambre d'amis pour que l'adolescent soit plus à l'aise et qu'il puisse aussi regarder ses films s'il en a envie. Malgré les antalgiques, la fièvre ne passe pas mais s'aggrave au contraire. Les Acutis font admettre leur fils à l'hôpital et Rajesh Mohur reste avec lui. Les analyses de Carlo Acutis font voir qu'il souffre d'une forme aigue de leucémie. Et lui qui n'avait jamais été malade en 15 ans d'existence, meurt au bout de trois jours, le 12 octobre 2006, sous le regard atterré de ses parents et de Rajesh Mohur.

Rajesh Mohur est en proie à une grande tristesse car il s'est énormément attaché à Carlo Acutis et ne comprend pas sa disparition soudaine. Un soir, l'adolescent vient lui rendre visite en rêve. «Il m'a rappelé que je ne devais pas perdre la foi, qu'il serait toujours à mes côtés et veillerait sur moi. Il m'a dit qu'il était heureux au paradis.»

En sus de tout ce que l'adolescent lui a appris, Rajesh Mohur n'oublie pas que Carlo Acutis lui a sans cesse répété que chaque être humain est unique et que malheureusement en tentant d'imiter les autres, ils deviennent des photocopies. «Il voulait dire par là que lorsque nous naissons, nous avons tous une mission que Dieu a prévue pour nous sur terre et que nous devenons des photocopies lorsque nous sommes insatisfaits de nous-mêmes et de notre vie et que nous imitons les autres au lieu de suivre le plan de

Dieu pour nous.»

Corps intact

Rajesh Mohur a assisté à la célébration de béatification de Carlo Acutis, le 10 octobre 2020, à Assise, là où le jeune italien avait demandé à être enterré car St François d'Assise était un de ses saints favoris. Le Mauricien a ressenti une émotion intense à l'ouverture du tombeau lorsqu'il a vu que le corps de son petit protégé était intact. «C'était comme si qu'il dormait.»

Il possède une dernière photo de Carlo Acutis mais celle-ci est au Vatican. C'est un miracle réalisé sur un enfant brésilien qui a fait que Carlo Acutis soit déclaré bienheureux. Rajesh Mohur précise que le Vatican enquête actuellement sur deux autres miracles qui auraient été réalisés par l'intercession du jeune prodige en informatique. Et pour Rajesh Mohur, il ne fait pas de doute que Carlo Acutis sera canonisé un jour.

Appelé à dire si, de son vivant, son père n'aurait pas été choqué de le voir abandonner sa foi d'origine pour embraser la foi catholique, Rajesh Mohur ne le pense pas. «Il aurait compris que mon destin était d'être avec Carlo et de le suivre.» Tout comme il ne craint pas d'être rejeté par les personnes de foi hindoue. «Je ne les critique pas. Chacun a sa vie et ses croyances. Mon destin était de rencontrer Carlo et de suivre son exemple.»

Il sait qu'il reviendra à Maurice bientôt et pas que pour de simples vacances mais en mission pour Carlo Acutis. «Vu qu'il accomplit des miracles dans le monde entier et en tant que Mauricien, j'ai envie de faire mes compatriotes mieux le connaître et de disséminer ses prières à ceux qui sont dans le besoin. J'ai un devoir de vérité... »

Carlo Acutis : un être de lumière exceptionnel

Le bienheureux Carlo Acutis est né à Londres, le 3 mai 1991. Sa mère Antonia est issue d'une vieille famille catholique de Rome. «Catholique de nom mais pas dans les faits», précise-t-elle au cours d'une émission, diffusée il y a cinq mois, sur la chaîne KTO, après qu'elle a écrit et publié le livre intitulé Carlo Acutis : le secret de mon fils. Comment il est devenu saint. Le mari d'Antonia Acutis, Andrea, vient de Turin et est un catholique pratiquant...jusqu'à son mariage. Carlo Acutis est baptisé le 18 mai 1991 et la famille regagne ensuite Milan où Andrea Acutis doit gérer l'entreprise familiale.

Carlo Acutis est très précoce. Il dit ses premiers mots à trois mois, commence à parler à cinq mois et à quatre ans, il lit et écrit. Il s'intéresse très tôt à la religion catholique et sa baby-sitter polonaise y est pour quelque chose. Quand le père d'Antonia Acutis meurt subitement d'un arrêt du coeur à 57 ans, l'enfant pose beaucoup de questions à sa mère sur la mort et l'après-vie. Se sentant inapte du fait qu'elle n'est pas en mesure de lui répondre, Antonia Acutis consulte un prêtre à Bologne qu'on appelle le Padre Pio de Bologne car il a «le don de lire dans les coeurs». En sus de lui dire tous ses pêchés et de la confesser, il lui révèle que son fils a une mission importante pour l'Eglise. Il l'incite à apprendre la théologie, ce qu'elle fait à titre personnel pendant des années.

Carlo Acutis grandit et sa foi aussi. Dès qu'il voit une église lors des sorties familiales, il ne peut s'empêcher d'y entraîner ses parents et de se recueillir devant la Croix. Il cueille des fleurs au printemps pour aller les déposer aux pieds de la Vierge Marie. Son désir de Dieu est si fort et il est tellement prêt que l'évêque l'autorise à faire sa première communion à sept ans. Dès lors, il va tous les jours à la messe et fait l'adoration eucharistique. A travers Carlo, sa mère et son père redécouvrent leur foi. «Carlo était une source d'eau fraîche. J'ai compris à travers Carlo que Jésus est vraiment présent dans l'Eucharistie, le pain et le vin consacrés et qu'à travers les sacrements, Dieu nous donne la grâce. C'est la découverte d'une vie. Mon mari et moi allons tous les jours à la messe. Notre vie est centrée sur l'Eucharistie, c'est notre force, notre nourriture. C'était pareil pour Carlo, qui ne comprenait pas comment les concerts et les matchs de football pouvaient attirer autant les foules mais pas l'Eucharistie, soit le Dieu vivant accessible tous les jours à l'église comme Il l'avait promis lors de son passage sur terre.» Carlo Acutis vient en aide aux plus vulnérables. Considéré comme un génie de l'informatique, l'adolescent a utilisé cet outil pour évangéliser. «Il l'a utilisé pour annoncer la bonne nouvelle. En 2005, soit un an avant sa mort, il a monté une exposition digitale sur les miracles eucharistiques dans le monde et ces panneaux imprimés ont été envoyées dans le monde entier. Il disait que c'était son cadeau pour l'église. C'est le coeur de son témoignage.»

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