L'Afrique n'a pour ainsi dire aucune responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre qui ont conduit à la crise climatique.
Elle n'est pas plus responsable des conflits ou des perturbations des chaînes d'approvisionnement qui sont à l'origine de l'inflation mondiale. Elle n'a pas déclenché la propagation du Covid-19, encore moins causé la crise économique liée à la pandémie. Et pourtant, les effets à long terme de ce trio de crises s'y font sentir peut-être plus gravement que partout ailleurs.
Le Fonds monétaire international a estimé les besoins supplémentaires de financement de l'Afrique après la pandémie à 285 milliards de dollars sur quatre ans, jusqu'en 2025. Mais avec l'inflation, les pressions sur les taux de change et les niveaux ingérables de dette, qui érodent les marges déjà limitées des investissements à court et long terme que doivent engager les gouvernements, les besoins de l'Afrique, en réalité, sont probablement beaucoup plus élevés.
Malgré la remarquable résilience dont le continent a fait preuve, une croissance économique anémique vient encore ajouter aux difficultés. En 2020, l'Afrique sub-saharienne a connu la récession pour la première fois depuis vingt-cinq ans. Et selon la Banque africaine de développement (BAD), le taux de croissance annuel de la région est tombé de 4,5 % en 2021 à 3,5 % en 2022. Les prévisions pour cette année ne sont que de 3,8 %.
Derrière ces chiffres sont d'innombrables vies gâchées. La Commission économique des Nations unies pour l'Afrique rapporte que 18 millions d'Africains supplémentaires sont tombés l'année dernière dans la pauvreté. Les progrès durement gagnés pour atteindre les Objectifs de développement durable de l'ONU ont été effacés, quand la situation n'a pas empiré. Conflits et catastrophes dues au climat - sécheresses prolongées, pluies extrêmes et inondations - contribuent largement à la pire crise alimentaire que connaît l'Afrique depuis des décennies. Le coût humain est terrifiant : selon les estimations cette seule crise pourrait causer la mort d'une personne toutes les vingt-huit secondes.
Cela devrait concerner la communauté internationale, et pas seulement pour des raisons humanitaires. Le monde a besoin de l'Afrique. Si l'Afrique n'en est pas au coeur, il n'y aura pas de chemins vers un avenir partagé, respectueux de l'environnement, équitable et prospère. Il est donc dans l'intérêt de toute la planète de soutenir le continent, non par la charité ou l'aumône, mais en encourageant des initiatives conduites par des Africains, surtout celles qui s'attachent à rétablir des conditions d'action équitables, alors que la balance penche actuellement en défaveur du continent.
L'allocation de droits de tirage spéciaux (DTS, l'actif de réserve du FMI) offre un bon exemple du problème. Le FMI a créé les DTS pour suppléer aux réserves en devises des États. Mais comme les DTS sont émis en fonction de la quote-part des différents pays, les plus pauvres ne reçoivent que des allocations modestes, alors qu'ils ont pourtant les besoins les plus importants. Les pays riches - dont les besoins sont bien moindres, voire nuls, ont les parts les plus considérables.
En 2021, les pays du G20 ont promis de rediriger vers l'Afrique au moins 20 % de leurs DTS. Mais ces promesses n'ont pas encore été pleinement tenues. Des avancées plus rapides sur ce sujet constitueraient un grand progrès dans l'aide à court terme aux pays africains, surtout si les DTS recyclés sont confiés à des banques multilatérales de développement comme la BAD. Ces institutions pourraient alors mettre à profit leurs notations AAA pour augmenter les capitaux mobilisés d'un facteur trois, voire quatre, ce qui, par exemple, ferait passer 20 milliards de dollars de DTS alloués à des financements de projets à 60 ou 80 milliards, dans des conditions nettement meilleures que celles des marchés commerciaux.
Certes, un secteur privé plus dynamique et moins craintif fournirait des solutions à plus long terme, mais dans l'état actuel des choses, les gouvernements africains sont gravement désavantagés sur les marchés privés, où ils sont confrontés à des coûts plus élevés du capital, en raison notamment, de considérations subjectives et discriminatoires. Si l'on compare les primes de risque pour des États africains et non africains dont les notations de crédit sont similaires, on trouvera des différences allant de 150 points de base à plus de 650, au seul motif, parfois, d'un manque de connaissances du terrain et d'une vision subjective.
Une conférence des agences de notation, des investisseurs et des gouvernements africains est urgente pour que cesse une fois pour toutes cette intolérable discrimination - qui représente un puissant coup de frein au progrès de toute la planète. Une fois encore, il ne s'agit ni de charité ni d'un traitement de faveur ; la question est plutôt d'avancer vers la mise en place de conditions égales, de sorte que les solutions conduites par des Africains puissent voir le jour et le succès. En mettant un terme à la « prime de risque africaine », on débloquerait des capitaux grandement nécessaires pour investir dans le développement vert, et notamment dans la transition vers l'énergie propre.
L'Alliance pour des infrastructures vertes en Afrique est une initiative menée par des Africains qui permettrait d'avancer vers un tel objectif. Dévoilée par la BAD, par l'Union africaine, par Africa50 et par d'autres partenaires lors de la Conférence des Nations unies sur le climat en Égypte (COP27), l'AIVA tente de réunir 500 millions de dollars de bourses, de ressources concessionnaires, de financements mixtes et commerciaux pour fournir une préparation à des projets en phase de démarrage et des capitaux de développement pour des initiatives vertes. La diminution des taux d'intérêt et le regain d'appétit pour la prise de risques en Afrique qui pourraient s'ensuivre auraient pour conséquence la création rapide de canaux importants pour des projets verts économiquement crédibles. L'AIVA s'est fixé pour objectif de débloquer au moins 10 milliards de dollars d'investissements dans les infrastructures vertes.
Des efforts semblables sont entrepris ailleurs. La Bridgetown Initiative, lancée par Mia Amor Mottley, la Première ministre de La Barbade, afin de créer un espace budgétaire supplémentaire pour le développement mais aussi pour l'atténuation des changements climatiques et pour l'adaptation à ceux-ci, en est un exemple notable. Le groupe V20 des pays en développement vulnérables aux changements climatiques, actuellement présidé par le ministre des Finances ghanéen Ken Ofori-Atta, en est un autre exemple.
Les mois à venir offrent plusieurs opportunités pour avancer. Les réunions de la BAD qui viennent de s'achever la semaine dernière à Charm El-Cheikh sont un bon point de départ. Le mois prochain se tiendra le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, conférence internationale d'importance majeure pour le financement du développement et l'investissement vert. Et viendra en septembre le sommet des dirigeants du G20 à New Delhi, événement auquel l'Afrique attend encore d'être invitée, alors même que son poids économique et démographique devrait lui donner droit au statut de membre permanent (représenté par les présidents de l'Union africaine et de la Commission de l'UA (à l'instar, aujourd'hui, de ce qui se pratique dans l'Union européenne).
Ces réunions offrent la possibilité de placer l'Afrique sur une nouvelle trajectoire. Les soutiens internationaux sont indispensables, mais cette trajectoire doit être déterminée et pilotée par le continent lui-même.
Traduit de l'anglais par François Boisivon
Amadou Hott est le représentant spécial du président de la Banque africaine de développement pour l'Alliance pour des infrastructures vertes en Afrique. Mark Malloch-Brown, ancien sous-secrétaire général des Nations unies et ancien coprésident de la Fondation des Nations unies, est président des fondations Open Society.