Afrique: Mme Souad Aden-Osman, directrice exécutive de la Coalition pour le dialogue sur l'Afrique (CoDA) – « Nous devons réfléchir sur les progrès accomplis dans le combat contre les flux financiers illicites »

Souad Aden-Osman, Executive Director of the Coalition for Dialogue on Africa (CoDA)
19 Juin 2023
interview

Dakar a abrité les 13 et 14 juin 2023 Conférence sur « Aborder les FFI et le Recouvrement des avoirs dans l'industrie extractive ». Au terme de cette rencontre organisée par la société civile africaine, Mme Souad Aden-Osman, directrice exécutive de la Coalition pour le dialogue sur l'Afrique (CoDA) nous a accordé une interview pour tirer le bilan de ces assises organisées parallèlement à la neuvième Conférence mondiale de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) à la même période dans la capitale sénégalaise.

Au terme de ces deux jours de réflexion sur les Flux Financiers Illicites (FFI), quel est le bilan que vous pouvez en tirer?

Nous nous sommes réunis, comme nous le faisons toujours, en nous servant de la CoDA comme programme pour dialoguer et débattre sur des questions concernant l'Afrique. Nous nous sommes réunis pendant deux jours à Dakar, pour présenter la Position Africaine Commune sur le Recouvrement des Avoirs (CAPAR) à de nouvelles parties prenantes, dont celles impliquées dans les processus ITIE, la société civile, le monde universitaire et les médias. Nous avons choisi d'organiser cet évènement en parallèle de la Conférence Mondiale de l'ITIE 2023 qui s'est tenue à Dakar car le secteur extractif est celui qui contribue le plus aux Flux financiers illicites. Et nous mettons en pratique la CAPAR, Position Africaine Commune sur le Recouvrement des Avoirs.

En mai 2022, un verdict a été rendu aux États-Unis, suivi par un autre en novembre au Royaume-Uni, concernant Glencore. On nous a dit que l'ITIE était mal à l'aise à l'idée de parler du scandale Glencore, et nous ne comprenons pas ça. L'ITIE, un bon instrument de gouvernance du secteur extractif, est maintenant confronté à un scandale majeur. Elle est venue sur ce continent pour la première fois, même si la majorité de ses membres sont africains. Le scandale s'est produit il y a un peu plus d'un an, et pourtant il n'est pas dans le programme de sa conférence de Dakar. Durant notre rencontre que nous venons de tenir dans la capitale sénégalaise, nous avons fait appel à eux et nous leur avons rappelé leur rôle dans la promotion de la transparence, la responsabilité et l'intégrité, en dépit de si, oui ou non, ils doivent s'occuper de gouvernance ou de sociétés multinationales. Ils ont l'air plus confortable à l'idée de rappeler à l'ordre des gouvernements plutôt que des multinationales, et c'est quelque chose qui a besoin d'être corrigé.

La crédibilité de l'ITIE est remise en question dans un contexte où les cas de corruption se multiplient dans le secteur de l'industrie extractive. Est-ce une bonne chose pour la lutte contre les FFI ?

Vous avez raison d'exprimer votre inquiétude, et c'est pourquoi nous avons besoin de procéder avec prudence car, au final, aucun instrument n'est parfait, particulièrement quand il s'agit de gouvernements. C'est un processus, un combat, et ils ont fait ce qu'ils ont pu.

Néanmoins, dans ce cas précis, nous espérions qu'ils reviennent à leur mission principale. Nous étions venus à Dakar pour leur rappeler ça, mais plus important encore, pour structurer notre engagement avec eux et améliorer leur processus si nécessaire.

Le Panel de haut niveau sur les Flux Financiers Illicites continue de travailler pour galvaniser ses recommandations et mobiliser une large coalition d'institutions et d'individus. L'ITIE et Transparency International (TI) sont tous deux des instruments essentiels avec lesquels nous devons collaborer et travailler pour nous améliorer. Nous sommes actuellement dans la phase deux de notre travail, qui implique des actions au niveau national.

Vous avez entièrement raison Bacary. Nous ne pouvons pas les laisser tomber car ils sont les cadets de notre société civile. Ils ont été présentés par la société civile et sont une réponse de l'appel de cette même société dans le secteur extractif. Toutefois, nous devons nous demander pourquoi ils ne jouent plus leur rôle, et s'ils ont dérivé au point où nous devrions questionner leur processus et leurs données. Notre objectif était d'avoir une ITIE dont la crédibilité et l'intégrité ne seraient jamais questionnées, et ce n'est pas le cas actuellement.

Est-ce qu'il existe une réelle volonté politique de lutter contre les FFI dans le secteur extractif en Afrique ?

Quand on parle de volonté politique, il est essentiel de comprendre que c'est le résultat de plusieurs facteurs. Au niveau de l'Union Africaine, nous avons beaucoup travaillé, et le fait que le panel soit soutenu, le secrétariat a été déplacé de la Commission Economique pour l'Afrique des Nations Unies à l'Union Africaine en 2018, et qu'il ait été solidifié avec le récent financement de près de 6 millions de dollars par la Banque de Développement Africaine pour agir selon les recommandations et les décisions de la démonstration de volonté politique des chefs d'Etat. Plusieurs institutions et individus sont toujours actives, dévouées et impliquées, et nous devons suivre cet élan.

Nous ne devons pas nous comparer à autrui. Cependant, nous avons besoin de réfléchir sur les progrès que nous avons fait jusqu'à là dans le combat contre les flux financiers illicites. Au niveau mondial, L'Afrique a démontré sa capacité à être propriétaire et ses qualités de dirigeant. Quand le panel avait achevé sa tâche, les chefs d'Etat ont soutenu les quinze conclusions et les trente-huit recommandations du panel.

Par conséquent, la volonté politique est évidente, nous avons besoin de nous appuyer sur cela.

Un des défis auxquels nous faisons face est un problème de capacité, tant chez les gouvernements que chez les acteurs non-étatiques. Ça a été un problème dans plusieurs de nos combats, et c'est encore le cas dans celui-ci contre les flux financiers illégaux. Ce défi n'est pas propre à l'Afrique, mais c'est un problème structurel mondial. Pendant des siècles, le continent a été relégué au rôle de fournisseur de matières premières à cause des systèmes coloniaux et néo-coloniaux. Etant donné ce décret injuste, les sociétés multinationales qui interviennent sur le continent ne se sentent pas obligées d'agir de manière responsable. Malheureusement, la corruption et les procédés d'activités corrompues sont souvent tolérés dans leurs pays d'origine.

Vous êtes au terme de deux jours de réflexion, quelles sont les recommandations majeures que nous pouvons retenir de cette rencontre à Dakar ?

Cet après-midi (le mercredi 14 juin 2023), un communiqué va être annoncé à propos de la résolution collective de définir nos prochaines étapes. Nous avons entendu des choses prometteuses, que nous allons rédiger, et nous nous engageons à les suivre.

Pour réaliser cela, nous avons besoin de galvaniser et diffuser la CAPAR et la transformer en un groupe de plans concrets que nous pouvons suivre. Cela inclut de mettre en œuvre des plans tels que le plan sur la protection des lanceurs d'alerte, un plan pour établir un compte escrow, ainsi de suite. Nous avons besoin de renforcer les branches nationales, à commencer par les six pays victimes et affectés par le scandale Glencore. De plus, nous voulons explorer la façon dont nous pouvons impliquer des pays qui ne sont pas "victimes" et les rassembler.

En conséquence de nos discussions, nous allons établir un groupe de travail qui va faire suite à nos résultats de cette rencontre. Nous avons besoin de collaborer à travers des réunions formelles et la recherche à grande échelle, liant cela à la pratique en continuant à faire des progrès. Nous ne pouvons pas uniquement  prendre des décisions entre quatre murs et dans un seul pays africain. Des rencontres périodiques et de la collaboration sont essentielles pour assurer que nous avançons ensemble.

Je suis ravie que mon co-hôte, Brahim Seck du Forum Civil (Antenne sénégalaise de Transparency international) s'est porté lui-même volontaire avec son organisation pour servir de secrétariat conjoint de ce Groupe de travail avec le FAFOA (Forum Des Administrations Fiscales Ouest-Africaines, ndlr). Il est instruit, engagé, et les travaux de son organisation s'étendent au-delà du Sénégal. Alors je pense que nous bénéficierons de son expertise.

Quels sont les problèmes auxquels vous êtes confrontés dans la lutte contre les FFI ?

La détermination actuelle des standards au niveau mondial est problématique. L'OCDE, un club de pays riches, détient tout le pouvoir et impose le programme. Cependant, ils ne sont pas une plateforme mondiale légitime, mais prennent toujours ce rôle et empêchent les Nations Unies d'agir sur ces questions. L'Afrique n'est pas assise à la table de l'OCDE, et le même "syndrome de la chambre verte" qui existe dans le contexte de l'OMC est présent ici.

La prise de décision aux Nations Unies, qui a été dominée par le Conseil de Sécurité pendant la majorité du temps, est aussi en train d'évoluer. Avec la guerre en Ukraine, nous assistons à un changement selon lequel les pays les plus puissants viennent désormais à l'Assemblée Générale et consultent tout le monde. La plupart des instruments et des processus de détermination des standards à l'échelle mondiale ont besoin d'évoluer. Bien que la Banque Mondiale et le FMI aient été critiqués dans le passé pour leurs politiques d'ajustement structurel, ils progressent désormais beaucoup.

La situation actuelle, dans laquelle l'OCDE impose ses qualités de dirigeant, ses standards et ses solutions à la majorité du monde, a besoin de changer. Elle reflète la vue d'une minorité et ne résulte pas sur une façon juste et inclusive de s'occuper de questions importantes à l'échelle mondiale. Il est crucial que nous travaillions pour mettre en place une approche inclusive qui prenne en compte la perspective et les besoins de toutes les nations.

(Traduit de l'anglais par Aïcha Sall)

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