Plus d'un analyste politique se demande si l'ancien Chef de l'Etat, Joseph Kabila, ci-devant sénateur à vie, est la personnalité qualifiée pour donner, à la cantonade, des leçons de démocratie et de bonne gouvernance.
Et pour cause ? L'homme a laissé derrière lui, après 18 ans de règne sans partage, de « nombreux cadavres de tous les placards» de la République. S'il croit que, compte tenu de son statut d'ancien Président de la République, il est absout de tous les «péchés», qu'il retienne au moins que les «historiens» du présent ne vont pas s'empêcher de revisiter, bien que de manière sommaire, le bilan de sa gestion des affaires publiques.
Modèle de démocratie ?
Joseph Kabila serait-il un modèle de démocratie ? La réponse est «NON!». S'il l'avait réellement la culture de la démocratie, il n'aurait pas accepté, en janvier 2001, de succéder à son propre père à la magistrature suprême, au terme d'une parodie de conciliabule entre membres d'un «conglomérat d'aventuriers» estampillés AFDL (Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo) et CPP (Comité des Pouvoirs Populaires).
A l'époque, la République Démocratie du Congo, dépourvue de Constitution et régie par le Décret 003 de juillet 1997, était-elle un Royaume ou un Empire, pour que le fils monte automatiquement au trône après l'assassinat de son père ?
Venons-en aux processus électoraux. La mémoire collective retient le tripatouillage des résultats du premier tour de l'élection présidentielle en août 2006, proclamés par l'abbé Malumalu à bord d'un char de combat, sous haute surveillance des troupes onusiennes, et marqués par une guerre éclair, dans la commune de la Gombe, entre l'armée de Joseph Kabila, et celle de l'un de ses vice-présidents, Jean-Pierre Bemba.
La vérité des urnes était toujours absente lors du second tour de la présidentielle, en novembre 2006, fortement contestée par le camp Bemba et, plus tard, par le Cardinal Essou, Archevêque de la ville de Kinshasa. La suite? Une nouvelle guerre éclatait en pleine capitale,
Kinshasa, en mars 2007, laquelle s'était terminée par la défaite de l'armée de Bemba et la fuite de ce dernier à l'étranger, via l'ambassade de l'Afrique du Sud.
En novembre 2011 : bis repetita. La « compilation » des résultats des scrutins présidentiels à un tour, au lieu de deux, par la CENI du pasteur Ngoy Mulunda, donnait lieu à de nouvelles fraudes électorales. D'où la forte contestation d'Etienne Tshisekedi. Sa colère et sa
déception étaient telles qu'il avait décidé de prêté serment, dans sa résidence de la commune de Limete, en qualité de Président de la République élu. Si cet opposant n'était pas un apôtre de la non-violence, le sang aurait de nouveau coulé à Kinshasa.
Défenseur des droits de l'homme ?
Au chapitre des droits de l'homme, on est capable de dresser la longue liste des victimes de la dictature vécue par les Congolais pendant près de deux décennies.
Qu'il nous suffise de rappeler des martyrs de la démocratie tels qu'Armand Tungulu, Flobert Chebeya, Déchade Kapangala, Rossy Mukendi ainsi que des prisonniers politiques «emblématiques» tels que Diomi Ndongala, Jean-Claude Muyambo, Franck Diongo, Firmin Yangambi, Bruno Tshibala ou des exilés politiques tels que Moïse Katumbi, Olivier Kamitatu, Mbusa Nyamwisi, Pasteur Mukungubila, Clément Kanku, etc.
Il est pratiquement impossible de compter des milliers de compatriotes interpellés, arrêtés, torturés, tués sous le régime de Kabila pour avoir protesté pacifiquement contre le manque de
transparence du fichier électoral ou des velléités de «glissement» et de positionnement pour un troisième mandat, contre les prescrits de la Constitution. Il y avait eu certes passation civilisée du pouvoir entre lui et son successeur élu, Félix Antoine Tshisekedi en 2011, mais c'était après l'échec de toutes ses tentatives de s'accrocher au poste.
CNDP, M 23, FDLR, ADF... ont accompagné Kabila jusqu'en janvier 2019
Prétendre que le M23 n'était plus présent sur le sol congolais en janvier 2019 n'est pas honnête. Les observateurs avertis savent que les membres de ce mouvement rebelle et leurs alliés de l'armée rwandaise ont toujours campé au Nord-Kivu, après avoir connu une série de «mutations», parties du RDC (Rassemblement Congolais pour la Démocratie), en passant par le CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple de Laurent Nkunda, jusqu'au M23 de Bosco Ntaganda de 2009 à 2013 et Sultani Makenga de 2013 à ce jour.
Défait militairement en novembre 2012 par la «Force de réaction rapide» des FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo), commandée alors par le colonel Mamadou Ndala d'heureuse mémoire, ce mouvement rebelle signait, curieusement, l'Accord de Nairobi avec le gouvernement de Kabila, aux conditions propres à une reddition du pouvoir en place à Kinshasa.
Pourquoi Joseph Kabila avait-il fait la part belle à une rébellion présumée anéantie par son armée, en lui promettant des compensations financières, des nominations dans l'armée, la police, la territoriale, les entreprises publiques et autres, le tout assorti d'une amnistie générale ?
En caressant le M23 dans le sens des poils, le pouvoir en place à Kinshasa crachait en réalité sur la mémoire de soldats et officiers morts au front pour la défense de la patrie, notamment le colonel Mamadou Ndala, ainsi que les généraux Mbuza Mabe et Bahuma.
Quant aux rebelles ougandais ADF et rwandais FDLR, c'est le fonds de commerce des régimes de Kinshasa, de Kampala et de Kigali depuis près de trois décennies, dans une synergie d'entretien d'une insécurité réccurente et de pillage des ressources naturelles congolaises.
Quand on parle des minerais de sang et de la guerre transformée en «business», c'est ça la face cachée des complicités internes et externes, héritage empoisonné que le Raïs a laissé à son successeur, dans le dessein bien arrêté de rendre le pays ingouvernable.
Budget : de 1 à 4 milliards de dollars
En ce qui concerne la situation économique du pays, on note que Joseph Kabila a réussi l'exploit de plafonner le budget à 4 milliards de dollars américains de 2009 à 2019, après avoir côtoyé le plancher d'un milliard de dollars américains de 2001 à 2008. La RDC méritait-elle réellement un budget aussi ridicule, quelquefois porté à 6 puis 8 milliards de dollars sous la Primature de Matata Ponyo (2012-2016) avant leur rabattement autour de 4 milliards de dollars ?
On est en droit de répondre par la négative, si l'on s'en tient aux fabuleuses ressources minières, agricoles et énergétiques du pays. En son temps, le professeur Luzolo Bambi Lessa, ancien ministre de la Justice et ancien Conseil spécial de Joseph Kabila en matière de bonne
gouvernance, de lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, avait fait état du coulage des recettes publiques (fraudes minières, douanières, fiscales et autres) à hauteur de 30 milliards de dollars par an.
Les pilleurs des richesses nationales devraient s'interdire de parler de la situation économique, financière et sociale du pays, qui tend à se relever grâce à un budget multiplié aujourd'hui par quatre, soit 16 milliards de dollars américains, et qui pourrait aller crescendo au vu des perspectives économiques immédiates et à venir.
Lutte contre la corruption ?
Il faut reconnaître que Joseph Kabila avait, à un moment donné, laissé l'impression de s'engager dans la voie de la tolérance-zéro contre cette antivaleur. Il s'était attaché, pour confirmer sa volonté de traquer les "Kuluna" en cravate, un Conseiller spécial en charge
de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. C'était de la poudre aux yeux des naïfs car le professeur Luzolo Bambi Lessa, le fameux «Conseiller spécial», avait pris en charge, en vérité, une coquille vide, sans moyens d'investigation ni de répression des actes de corruption. Les rares fois que son service avait tenté d'inquiéter des mandataires publics, par exemple, ses tentatives s'étaient
terminées en eau de boudin, faute d'accompagnement des parquets, ainsi que des cours et tribunaux. Qui protégeait les corrupteurs et les corrompus ?