Cameroun: Zacharie Ngniman - 'John Fru Ndi a renforcé en moi le goût de rester moi-même '

C'est un sentiment d'immense tristesse qui m'anime au moment d'évoquer la mémoire de John Fru Ndi, père fondateur du SDF, disparu le 12 juin dernier; de respect aussi, bien entendu.

Que de tribulations dans nos relations! On peut affirmer à juste titre qu'il a marqué ma carrière professionnelle, d'un tournant brutal je l'avoue, à l'aube de la décennie 90.

Lui, leader politique de l'opposition radicale. Moi, journaliste d'un média d'État. Sur les chemins écartés que nous suivions, un rapprochement d'idées, de proximité ou de circonstance semblait relever de l'ordre de l'improbable, de l'utopie, tant les tranchées étaient profondes, les couloirs tracés et les lignes de démarcation strictes.

L'évocation de nos avancées sur ces chemins écartés me fait incontestablement souvenir des impacts telluriques que me valut son irruption sur la scène politique à travers la manifestation qu'il organisa à Bamenda le 26 mai 1990.

Cet événement me propulsa avec une violence inouïe au coeur du tourbillon politico-médiatique qui s'en- suivit. Déboussolé, bouleversé, je le fus, à la limite de la révolte, en même temps que m'envahissaient l'incompréhension, le doute, la co- lère. Tant sur le plan personnel, mental, psychologique, familial, social que professionnel, j'ai été lardé d'échardes.

Cela peut marquer à vie, au risque de vous faire perdre de vue les enjeux essentiels. Avis de tempête En l'espèce, derrière toutes les revendications de démocratie et de multipartisme, s'affirmait une lutte sans merci ayant pour enjeu vé- ritable le pouvoir.

En 1990, le président Biya totalisait huit années à la tête de l'État, caractérisées par des avancées significatives sur la voie de la démocratisation, notamment en ouvrant la compétition au sein du parti unique. Néanmoins pour certains , le rythme n'était pas satisfaisant.

John Fru Ndi, un dissident du Rdpc depuis 1988, comptait au rang de ceux-là. De nombreux soubresauts persistants ont constitué des avis de tempête liés aux revendications du multipartisme au Cameroun. On peut citer, entre autres, « l'affaire Yondo Black », remontant au mois de mars 1990.

Ce dernier, avocat et ancien bâtonnier du barreau came- rounais était arrêté à Douala et inculpé en compagnie de neuf autres personnes. Il leur était reproché la tenue « de réunions clandestines, pour confection et diffusion de tracts hostiles au régime, outra- geants à l'endroit du président de la République, et incitant à la ré- volte. »

Dans un communiqué publié le 13 mars, le gouvernement déniait tout caractère politique à cette affaire, réagissant aux allégations des avocats de l'ancien bâtonnier et des médias étrangers qui présentaient l'affaire comme étant essentiellement politique. Leur procès mobilisa une soixantaine d'avocats pour leur défense devant un tribunal militaire de Yaoundé. Il fit grand bruit.

De même, dans un environnement de proximité, il y a lieu de citer le raidissement éditorial croissant observé au sein de la rédaction radio du desk anglophone. Ainsi, le 06 mai 1990, dans une émission entiè- rement consacrée au multipartisme et à la démocratie, une dizaine de journalistes participant à l'émission dominicale « Cameroon Calling », en appelaient tout simplement à « la fin du parti unique et de l'État-Parti ».

Au lendemain de l'émission, les forces de sécurité ont interpellé ces confrères dans l'enceinte du Poste national de la CRTV. Des sanctions administratives furent prises à leur encontre.

George Tanni, rédacteur en chef adjoint chargé du desk anglophone qui avait coordonné l'émission, fut suspendu de ses fonctions. Des observateurs avertis faisaient volontiers un rapprochement entre cette émission et le lancement imminent d'un parti politique à Bamenda. Dans la salle de rédaction, un fossé prégnant se creusait entre les journalistes de lange anglaise et ceux d'expression française.

La ligne Maginot était tracée. 26 mai 1990 : le récit controversé de la CRTV Ce jour-là, John Fru Ndi décidait, contre vents et marées, de lancer à Bamenda sa formation politique, au cours d'une manifestation dans l'après-midi, qui fit six morts.

Dimanche matin le 27 mai, vers 5h30, mon collègue Éric Chinje me remettait en deux versions manuscrites en anglais et en français, le C'est un sentiment d'immense tristesse qui m'anime au mo- ment d'évoquer la mémoire de John Fru Ndi, père fondateur du SDF, disparu le 12 juin dernier; de respect aussi, bien en- tendu.

Que de tribulations dans nos relations! On peut affirmer à juste titre qu'il a marqué ma carrière profession- nelle, d'un tournant brutal je l'avoue, à l'aube de la décennie 90. Lui, leader politique de l'opposition radicale. Moi, journaliste d'un média d'État.

Sur les chemins écartés que nous suivions, un rapprochement d'idées, de proximité ou de circonstance semblait relever de l'ordre de l'improbable, de l'utopie, tant les tranchées étaient profondes, les couloirs tracés et les lignes de démarcation strictes.

L'évocation de nos avancées sur ces chemins écartés me fait incontestablement souvenir des impacts telluriques que me valut son irruption sur la scène politique à travers la manifestation qu'il organisa à Bamenda le 26 mai 1990. Cet événement me propulsa avec une violence inouïe au coeur du tourbillon politico-médiatique qui s'en- suivit.

Déboussolé, bouleversé, je le fus, à la limite de la révolte, en même temps que m'envahissaient l'incompréhension, le doute, la colère. Tant sur le plan personnel, mental, psychologique, familial, social que professionnel, j'ai été lardé d'échardes. Cela peut marquer à vie, au risque de vous faire perdre de vue les enjeux essentiels.

Avis de tempête En l'espèce, derrière toutes les revendications de démocratie et de multipartisme, s'affirmait une lutte sans merci ayant pour enjeu vé- ritable le pouvoir. En 1990, le président Biya totalisait huit années à la tête de l'État, caractérisées par des avancées significatives sur la voie de la démocratisation, notamment en ouvrant la compétition au sein du parti unique.

Néanmoins pour certains , le rythme n'était pas satisfaisant. John Fru Ndi, un dissident du Rdpc depuis 1988, comptait au rang de ceux-là. De nombreux soubresauts persistants ont constitué des avis de tempête liés aux revendications du multipartisme au Cameroun. On peut citer, entre autres, « l'affaire Yondo Black », remontant au mois de mars 1990.

Ce dernier, avocat et ancien bâtonnier du barreau came- rounais était arrêté à Douala et inculpé en compagnie de neuf autres personnes. Il leur était reproché la tenue « de réunions clandestines, pour confection et diffusion de tracts hostiles au régime, outra- geants à l'endroit du président de la République, et incitant à la ré- volte. »

Dans un communiqué publié le 13 mars, le gouvernement déniait tout caractère politique à cette affaire, réagissant aux allégations des avocats de l'ancien bâtonnier et des médias étrangers qui présentaient l'affaire comme étant essentiellement politique. Leur procès mobilisa une soixantaine d'avocats pour leur défense devant un tribunal militaire de Yaoundé.

Il fit grand bruit. De même, dans un environnement de proximité, il y a lieu de citer le raidissement éditorial croissant observé au sein de la rédaction radio du desk anglophone. Ainsi, le 06 mai 1990, dans une émission entiè- rement consacrée au multipartisme et à la démocratie, une dizaine de journalistes participant à l'émission dominicale « Cameroon Calling », en appelaient tout simplement à « la fin du parti unique et de l'État-Parti ».

Au lendemain de l'émission, les forces de sécurité ont interpellé ces confrères dans l'enceinte du Poste national de la CRTV. Des sanctions administratives furent prises à leur encontre. George Tanni, rédacteur en chef adjoint chargé du desk anglophone qui avait coordonné l'émission, fut suspendu de ses fonctions.

Des observateurs avertis faisaient volontiers un rapprochement entre cette émission et le lancement imminent d'un parti politique à Ba- menda. Dans la salle de rédaction, un fossé prégnant se creusait entre les journalistes de lange anglaise et ceux d'expression française. La ligne Maginot était tracée. 26 mai 1990 : le récit controversé de la CRTV Ce jour-là, John Fru Ndi décidait, contre vents et marées, de lancer à Bamenda sa formation politique, au cours d'une manifestation dans l'après-midi, qui fit six morts.

Dimanche matin le 27 mai, vers 5h30, mon collègue Éric Chinje me remettait en deux versions manuscrites en anglais et en français, le Cependant, en prime, le plus grand écho provenait le 28 juin du président Biya au cours du premier congrès du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc).

Il annonçait ce jour-là une série de mesures réglementaires tendant à une plus grande libéralisation et à une démocratisation accrue de la vie politique. Au premier rang de ces mesures, le chef de l'État citait le renforcement de la li- berté de la presse. Au cours de l'année 1990, la communication gouvernementale prenait racine. J'ai des raisons de penser que sur les chemins escarpés du multipartisme, les journalistes de la « presse officielle », aussi, ont nourri le renouveau communicationnel.

À bien se ressourcer, on aura moins tendance à se bomber le torse ou à n'écouter et retenir qu'un seul son de cloche. John Fru Ndi, ce 15 juin 1991

J'ai collaboré avec l'Agence France Presse (AFP) de 1990 à 1996. Cette posture de correspondant permanent au Cameroun m'a ouvert les portes des sphères gouvernementales et de tous les états-majors politiques. En grande partie aussi les vexations déjà évoquées. Je n'y reviendrai pas. C'est donc à ce titre que je rencontrai pour la première fois John Fru Ndi au soir du samedi 15 juin 1991 au quartier Essos à Yaoundé, à l'occasion d'une réception à la résidence du président de l'Union des populations du Cameroun (Upc) de l'époque, le prince Dika Akwa.

Ce dernier offrait un cocktail où se retrouvaient les figures connues de l'opposition radicale déterminée à faire plier le président Biya en vue de la convocation d'une conférence nationale souveraine. On connaît la réponse cinglante de Paul Biya : « sans objet ».

Le prince Dika Akwa se chargea de faire les présentations et nous laissa en tête-à-tête. Le leader du SDF arborait une gandoura blanche cassé et une écharpe aux couleurs de son parti, le vert blanc. Calme, au milieu de sa garde rapprochée, il me questionna: « So you are Mister Zacharie Ngniman. The one who wrote things about me? »

Ma réplique: « Yes, Sir. I am Zacharie Ngniman. But I didn't write anything about you Sir. And I am sure you understand what I mean Sir. » Pas l'ombre d'une surprise sur son visage, ni un signe de rancoeur.

Plus de 12 mois s'étaient écoulés depuis les événements de Bamenda. Il m'a laissé entendre, à la fin de notre entretien de près de cinq minutes, que les obligations de son agenda l'appelaient ailleurs. Et de me lancer au moment de son départ: « Do your job well. »

Il ajouta : « Do you know that I covered you? » Lisant mon étonnement, il m'expliqua qu'il s'était gardé de me traduire en justice après mon récit sur la marche du 26 mai 1990, alors qu'il avait eu toutes les raisons de le faire.

Pour finir, il m'a communiqué son contact téléphonique, en me recommandant d'insister au besoin, sa ligne étant très sollicitée. J'ai pu le mesurer dans le cadre de mes activités de l'AFP. Il nourrissait au début une défiance à mon égard, refusant de considérer le journaliste de la CRTV, mais se livrant volontiers au correspondant de l'AFP. Puis progressivement, sur nos chemins croisés, nos relations se sont décrispées.

Nous avons emprunté un même vol Paris-Douala au début des années 2000. Il rentrait d'un séjour médical des Etats- Unis, de bonne humeur. Élu député à l'Assemblée nationale en 1997, je rentrais d'une mission parlementaire en Europe. Je lui confesse: « Chairman, do you know I nearly hated you when you launched the SDF in Bamenda? I felt as thow you had put apart all my life. »

Sa réponse: « It's good to tell the truth the way you've just done. Yes. When you say the truth it heals. How do you feel now as a politician? » Que pensez-vous que j'aie répondu? Nous avons ri. Il a continué de me chahuter: « Are you not afraid that people will report to president Biya that you have become a new member of my party »? « At what time Mister Chairman »?

Nous avons encore ri de bon coeur quand il m'a taxé de tête dure en se demandant comment le président Biya m'avait recruté au Rdpc.

La célébration du cinquantenaire de la Réunification le 20 février 2014 à Buea marque la date de notre ultime rencontre physique. Nous avons devisé amicalement au milieu du chahut de la foule, après le discours de président Biya. John Fru Ndi m'a adressé, avec insistance, une énième invitation à me rendre à Ntarikon. Le rendez- vous n'a pas eu lieu. Sur nos chemins écartés, puis croisés, John Fru Ndi a renforcé en moi le goût de rester moi-même, d'assumer mes choix.

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