À quatre jours des élections législatives, municipales et présidentielle, des médiateurs essaient de faire retomber les tensions de plus en plus vives entre le principal parti d'opposition, le Congrès de tout le peuple (APC), et la commission électorale. Ils ont notamment invité les différents acteurs politiques au dialogue, alors que l'APC brandit la menace d'une manifestation.
« Si nos revendications ne sont pas entendues, nous allons maintenir notre préavis de grève », déclare Sidi Yayah Tunis, porte-parole du Congrès de tout le peuple (APC) à RFI. Samedi, le principal parti d'opposition avait appelé ses partisans à manifester devant le siège de la commission électorale pour dénoncer l'opacité du processus électoral. « Cela n'a aucun sens pour nous de participer à une élection où tout est déjà joué d'avance », poursuit Sidy Yayah Tunis.
Cet appel à la mobilisation restait suspendu lundi au feu vert de la police. Invitée à une rencontre avec les forces de l'ordre pour débattre des conditions pour une marche sécurisée, les représentants de l'APC ne se sont pas présentés. « Ils ont donné comme prétexte d'autres engagements », explique à RFI Brima Kamara, porte-parole de la police. Parmi ces engagements, une réunion avec une équipe de médiateurs et des responsables de la commission électorale. Une réunion qui n'a pas permis d'aboutir à un consensus sur le processus électoral.
Plusieurs points de crispation
« L'APC a soulevé plusieurs points de crispation », affirme Hawa Saima, directrice exécutive de la Commission indépendante pour la paix et la cohésion nationale, co-organisateur de cette initiative de dialogue.
En premier, la légitimité du président de la Commission électorale, Mohamed Konneh, jugé trop proche du pouvoir. Mais il y a également la question du décompte des votes. Cette année, en plus du comptage manuel, les bulletins seront dépouillés à travers une application, « un système qui n'a jamais été utilisé et qui est susceptible d'être manipulé », tacle Sidi Yayah Tunis du principal parti d'opposition.
« Nous avons décidé qu'il fallait qu'ils se parlent face à face et nous avons donc isolé les représentants de l'APC et ceux de la Commission électorale dans une même pièce, mais l'APC n'était toujours pas d'accord », résume Saima.
Pas d'accord avec la liste électorale, jugée incomplète, pas d'accord non plus avec le vote anticipé la semaine dernière pour les électeurs musulmans partant à La Mecque, un vote organisé sans préavis, selon l'APC. Ce manque de communication, c'est pourtant ce que la police sierra-léonaise a reproché au principal parti d'opposition dans l'organisation de sa manifestation prévue lundi. Annoncée deux jours avant sur les réseaux sociaux, sans attendre l'aval de la police.
Manoeuvre politique
Un comportement jugé irresponsable par le parti au pouvoir, le parti du peuple de Sierra Leone (SLPP), tout comme les allégations de l'APC concernant des irrégularités dans le processus électoral.
« Tout ça, c'est une manoeuvre de l'opposition afin de se soustraire aux élections, car elle a peur d'être battue », estime Mohamed Rahman Swaray, porte-parole du SLPP. « Le président Julius Maada Bio a annoncé les dates des élections en mars 2022, et c'est maintenant que l'opposition exprime son inquiétude », dit-il à RFI.
Face aux craintes des fraudes électorales, le président de l'APC Samura Kamara a demandé à la communauté internationale d'envoyer une équipe d'experts à Freetown pour superviser le scrutin.
« 72 ans après l'indépendance, on veut faire venir des étrangers pour diriger nos élections, c'est complètement insultant, et toute personne qui fait une pareille demande ne mérite pas d'être président », répond Swaray. Dans ce climat, les médiateurs multiplient les appels au calme. « Tout le monde doit se rendre compte que la voie du dialogue est la seule issue possible », déclare Saima de la Commission indépendante pour la paix et la cohésion nationale.
Cicatrices du 10 août 2022
Dans ce pays encore marqué par les violences de l'été dernier qui avaient fait une vingtaine de morts, tout rassemblement fait craindre le pire. « La menace de l'opposition de manifester nous inquiète beaucoup », confie Saima. « La plupart du temps, lorsqu'il y a une manifestation, les gens n'écoutent pas leurs dirigeants. Les choses risquent de dégénérer. Comment vont-ils gérer ça ? Et un tel rassemblement si près des élections n'est pas bon, nous ne voulons pas une répétition des incidents du 10 août ». Le 10 août dernier, des manifestations contre la vie chère ont coûté la vie à une vingtaine de manifestants, dont 6 policiers.
Il n'empêche, l'APC reste méfiant, et se dit prêt à mobiliser ses électeurs, avec ou sans l'aval de la police.