Sénégal: Mémoires de Robert Ageneau - Karthala, la maison de l'Afrique

20 Juin 2023

Créée par Robert Ageneau, la maison d'édition Karthala a servi de réceptacle aux travaux de recherche sur l'Afrique à partir du « tournant paradigmatique » des années 1980. Dans ses mémoires qui viennent de paraître sous le titre « De Spiritus à Karthala : Mémoires d'un éditeur de l'ombre » (Karthala, 2023, 306 p.), ce dernier revient sur la constitution de ce riche catalogue qui se confond avec l'histoire du continent après les indépendances.

Dans son livre, « Les hommes de l'ombre », François Dosse présente les éditeurs comme « ces hommes de l'ombre souvent anonymes dans l'arrière-fond de la fabrique du livre, laissant à l'auteur l'exposition à la notoriété ou à l'insuccès ». Ce travail de l'ombre, qui met parfois l'éditeur en présence d'acteurs historiques, est encore plus marqué dans l'édition spécialisée où la médiatisation est plus difficile. Mais, « comme le Candide de Voltaire, l'éditeur qui vit quotidiennement l'âpreté et la dureté du métier s'émerveille toujours de la créativité littéraire. Il ne cesse de s'étonner que des femmes et des hommes du XXe siècle finissant et du début du XXIe croient à la force du livre dans ses variantes papier et électronique », écrit Robert Ageneau dans son ouvrage autobiographique

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« De Spiritus à Karthala : Mémoires d'un éditeur de l'ombre » (Khartala, 2023, 306 p.) qui vient de paraître. Né dans le bocage vandéen en 1938, l'auteur, qui a failli embrasser la vocation, a dirigé la revue Spiritus entre 1969 et 1974, avant de fonder l'Harmattan avec Denis Pryen en 1975, puis les éditions Karthala en 1980. Depuis plus de quarante ans, cette maison d'édition joue un rôle clé dans la diffusion des recherches sur l'Afrique en accompagnant toute une génération de chercheurs. C'est cette riche histoire que raconte Robert Ageneau, qui considère Alioune Diop (fondateur de Présence africaine) comme l'un de ses « deux maîtres en édition » avec François Maspero.

« S'il fallait avancer une raison pour justifier a posteriori la création de Karthala, ce serait d'avoir cofondé la revue « Politique africaine », qui sera « une pépinière d'auteurs pour Karthala », écrit-il. En effet, une grande partie des membres de cette revue y ont publié tout ou partie de leurs ouvrages. C'est autour de cette décennie 1980, qui marque un « nouveau temps paradigmatique », que s'affirme au Sénégal une génération de jeunes universitaires et chercheurs qui allaient mener leurs travaux sur des sujets comme la construction de l'État indépendant, l'exercice du pouvoir, les mouvements sociaux, la place des confréries mourides.

Momar-Coumba Diop, l'un des représentants de cette tradition sénégalaise en sciences sociales et historiques unique en Afrique que décrit Jean Copans, a publié une douzaine d'ouvrages sur le Sénégal et l'Afrique de l'Ouest dans une formule de coédition Karthala/Crepos. D'autres éminents chercheurs sénégalais (les historiens Mamadou Diouf, Abdoulaye Ly, Boubacar Barry, pour ne citer que ceux-là) ou ayant travaillé sur le Sénégal (Jean Copans, Christian Coulon, Charles Becker, etc.) figurent en bonne place dans le catalogue de la maison d'édition de la rue Pascal à Paris. Grâce à ce réseau de jeunes chercheurs africains, la maison d'édition sera à l'avant-garde dans l'étude des dynamiques politiques, ethniques, religieuses et sociales qui traversent le continent.

Itinéraire spirituel

Le phénomène religieux constitue le second axe de ces mémoires d'un éditeur de l'ombre autour des mouvements du christianisme, mais également dans une moindre intensité de l'islam. Là aussi, la période moderne a apporté questions, contestations et tensions entre tradition et évolution. Pour accompagner le « retour de la religion » ou pour penser « le fait chrétien en mutation », à l'Harmattan comme à Karthala, plusieurs collections étaient notamment centrées sur le fait religieux, en particulier chrétien, mais aussi sur l'islam. Ces questionnements animent notamment les collections « Sens et Conscience », créées dans les années 2010, et « Chrétiens en liberté ». À Karthala, une part significative de la production éditoriale sur l'islam et le monde arabe s'est faite en collaboration d'importants centres de recherche. Cette production a continué de se développer après la succession à la direction de Karthala dans les années 2010. Xavier Audrain, directeur actuel des éditions, a fait lui-même sa thèse sur le marabout mouride sénégalais Cheikh Modou Kara Mbacké. La mise en place de ces collections sur le fait religieux s'accompagne pour Robert Ageneau, sur le plan personnel, avec un cheminement spirituel qui allait lui permettre de « clarifier et de consolider » son retour à la vie laïque. Même si cette évolution a été « lente et pour une part en sommeil ».

Dans son évolution « de chrétien traditionnel à chrétien en recherche profonde, voire copernicienne » (il s'est marié après son retour à la vie laïque), beaucoup d'influences ont joué. Parmi ces influences, René Luneau (1932-2020) qui a pendant très longtemps dirigé la collection « Chrétiens en liberté » à Karthala, l'ex-jésuite camerounais Fabien Eboussi Boulaga qui l'a aidé à « reprendre le chemin de l'authenticité humaine et spirituelle », Jacques Giri (1932-2021) qui se déclarait un « agnostique sévère ». Il cite aussi Robert Dumont qui reste pour lui la figure d'une « fidèle insoumission », par sa vie et sa pensée et Jean Paul Sartre. La fréquentation d'autres figures du courant moderniste du christianisme comme Lucien Laberthonnière (1860-1932), Pierre Teilhard de Chardin, Dietrich Bonhoeffer et Marcel Légaut l'ont également aidé à gérer la « continuité dans la rupture, dans une pérégrination qui [l'] a amené à me situer hors des murs ». Il confie que le travail d'édition sur « Jésus pour le XXIe siècle » de l'Américain John Shelby Spong a été pour lui « un moment d'éblouissement, de surprise, avec l'impression de pouvoir sortir d'une vision chrétienne étroite ».

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