Ile Maurice: Judiciaire - La magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath happée dans une vague de mutations...

Les transferts dans le judiciaire seraient un exercice routinier, assure-t-on. Cependant, il est difficile de savoir si c'est vrai, les transferts routiniers n'obéissant pas, selon certains juristes, à des règles précises et claires. L'exercice élargi de vendredi pourrait justement servir à noyer le poisson... Non, rétorque Me Domingue.

La magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath de la cour de Bambous a été mutée au bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) avant de l'avoir été l'an dernier au tribunal de Moka. On se souvient de l'enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen qu'elle avait présidée et dont les conclusions n'ont pas été suivies d'actions de la police. Elle a été très critique envers cette même police dans son rapport, de même que dans son ruling dans l'affaire Akil Bissessur. A-t-elle été «punie» ? Il est vrai que d'autres magistrats viennent d'être mutés au cours de ce même exercice «routinier»...

Pour Me Rama Valayden, le timing de cette vague de transferts pourrait être mal perçu du public. «La perception est importante, surtout dans les affaires de justice, tout comme la perception de biais.»

On apprend que ceux qui sont mutés au bureau du DPP sont, en principe, ceux qui ont fait plusieurs années de magistrature et qui souhaitent faire avancer leur carrière grâce à une expérience au Parquet. «Ceux qui souhaitent donner une nouvelle direction à leur carrière font souvent une demande auprès du Master and Registrar pour être muté au bureau du DPP où il existe la possibilité de monter en grade, cela après des années de service. Une fois muté au Parquet, on peut aspirer à rejoindre la Cour suprême.»

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Cependant, pour un homme de loi, «il faut mettre un terme aux allers et retours entre le tribunal et le Parquet au cours d'une carrière et préserver la qualité des magistrats.» Des décisions sont souvent prises sans l'aval de ceux concernés. La peur de transfert «intempestif» ne pourrait-elle pas perturber un magistrat ? «Définitivement», répond un juriste. Toutefois, un confrère nous parle d'un magistrat qui a dû être retiré de la magistrature car il prenait trop de temps pour rendre justice.

Pourquoi l'avoir nommé alors ? «C'est seulement lorsque le magistrat est en fonction que l'on peut le juger sur son travail. Même un examen d'entrée ne saurait donner des informations sur la capacité ou même son honnêteté.» On nous parle d'ailleurs de deux magistrats qui viennent d'être remerciés. «Je trouve que la cheffe juge et la Judicial and Legal and Service Commission ont bien fait. Il était temps de faire un peu de ménage», nous dit cet avocat, qui fréquente beaucoup les cours de district.

Seule la Judicial and Legal Service Commission dispose du pouvoir de proposition, de promotion et de nomination. «La liste des postes vacants à la magistrature est le secret le mieux gardé dans le judiciaire. On ne saura jamais comment les décisions sont prises et pourquoi une telle personne a été mutée à un autre tribunal ou au bureau du DPP.

Il faudrait un exercice plus transparent dans les transferts et les nominations», estime un Senior Counsel. La nomination des nouveaux magistrats devrait se faire par un exercice d'appel à candidatures et de sélection plus transparente. «De nombreux jeunes souhaitent intégrer le bureau du DPP ou même la magistrature. Pourquoi ne pas leur donner leur chance ?»

D'autre part, on se demande pourquoi un magistrat, qui fait bien son travail dans sa juridiction, est muté ? «Muter un magistrat chaque année risque de contribuer à retarder davantage les affaires dans les cours de districts car le nouveau venu devra à chaque fois tout recommencer à zéro.» Notre interlocuteur maintient qu'il faut une véritable réforme dans le système de recrutement et de nomination dans le judiciaire. On justifie souvent cet exercice par un transfert de compétences «mais ne serait-il pas plus avantageux pour l'appareil judiciaire qu'un magistrat compétent reste là où il est pour continuer à rendre la justice plus efficace ?»

Un avoué parle de l'importance pour un magistrat de pouvoir prendre des décisions en dehors de toute contrainte, de toute influence des pouvoirs publics nationaux. «Il doit être protégé, entre autres, de toute tentative d'intimidation, de dissuasion, voire de vengeance à son égard. Mais comment exiger la garantie effective de l'indépendance de la justice censée contrôler et éventuellement censurer les actes de l'exécutif ?»

Et si la hiérarchie ne voit pas certains magistrats se montrer trop à cheval sur le droit à la liberté des accusés et sur la présomption d'innocence ? Un Senior Counsel répond : «Si le magistrat s'est trompé, il pourrait voir sa décision être cassée par une cour d'appel. Ça, c'est le cauchemar de tout magistrat.» Et ceux qui n'ont pas les moyens de faire appel ? «Il existe toujours ce risque. C'est pourquoi un magistrat doit faire de son mieux pour rendre justice. Il doit appliquer la loi et la jurisprudence sinon il risque de se voir désavouer par une cour supérieure.»

Me Antoine Domingue, Senior Counsel: «Cela ne se fait pas n'importe quand ni n'importe comment»

Que pensez-vous de l'actuel exercice de mutation des magistrats et des juristes du DPP et du Parquet ?

C'est un exercice de routine. Il faut une rotation périodique et chacun doit avoir la chance de pratiquer au barreau pendant cinq ans pour pouvoir aspirer à être juge.

Ces mutations obéissent-elles à des règles précises ?

Oui, et cela dépend aussi des «exigencies of the service» et des exercices de promotion.

Qui décide au final du transfert d'un magistrat, mettons, vers le bureau de l'Attorney General ou du DPP ?

La Judicial and Legal Service Commission, en consultation avec le Responsible Officer du département concerné, c'est-à-dire, le DPP ou le Solicitor General.

Si des transferts sont effectués n'importe quand, les magistrats n'auront-ils pas l'impression d'avoir une épée de Damoclès sur la tête ?

Cela ne se fait pas n'importe quand, ni n'importe comment. Il n'y a donc pas lieu de s'en inquiéter puisque cela se fait de façon rationnelle.

A quoi peut-on juger la performance d'un magistrat ?

Il y a plusieurs critères objectifs, aussi bien quantitatifs que qualitatifs, qui sont définis par des textes de loi, et sont appliqués au pied de la lettre par rapport au tableau d'avancement des membres du judiciaire et du Parquet.

La mutation de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath serait-elle due à sa prise de position contre la police ?

Perish the thought! C'est une idée saugrenue ! Jusqu'ici, je n'ai détecté aucune prise de position et aucun a priori de sa part dans l'exercice de ses fonctions.

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