Les témoins de scènes de violences à l'égard des filles qui résident dans les cités du Carrefour de l'Auberge à Bafoussam témoignent d'une situation « inhumaine et dégradante ». Car chaque fois, elles se retrouvent dans les hôpitaux et dépensent énormément pour soigner leurs blessures.
«C'est une agression. Ou tu donnes le sexe ou tu donnes l'argent...On n'a pas dormi toute cette nuit. Nous avons été agressées par des gendarmes et des militaires. Et après, ils se sont bagarrés entre eux, à cause de nous. Le 28 mai, un gendarme m'a exigé de l'argent, 5.500 Fcfa. J'ai supplié en pleurant. J'avais mon bébé en mains.
Par la suite, il a exigé de coucher avec moi ou je lui donne les 5.500 Fcfa. J'ai demandé qu'il me rafle. Il s'est débiné ». Originaire du département de Ndian dans la région du Sud-Ouest, Kelly Agheti, 25 ans, affirme être du groupe des filles attaquées par des gendarmes et militaires dans la nuit du dimanche 11 au lundi 12 juin 2023.
Approchée par Journalistes en Afrique pour le développement(Jade), elle souscrit entièrement aux propos de Maera, 26 ans et originaire de Njinka à Foumban et mère d'un enfant de 01 an. Yvette Bih, 27 ans et originaire de Nkwem par Bamenda, a fui les affrontements armés entre les forces gouvernementales et les groupes sécessionnistes dans la région du Nord-Ouest. Depuis près de deux semaines, elle vit un calvaire.
« Une torture programmée et collective »
Hébergée dans une cité au niveau de la 2eme rue Nylon à Bafoussam, elle est régulièrement victime d'agressions sexuelles et de rançonnement orchestrés par des nouvelles recrues des forces armées. Logées dans diverses cités au niveau du Carrefour de l'Auberge à Bafoussam, une vingtaine de jeunes filles se déclare être la cible des jeunes gendarmes qui, nuitamment, débarquent dans leur camp, défoncent les portes et exigent d'elles des rapports sexuels ou de l'argent.
Madeleine Ngono, 22 ans, a adressé en date du 31 mai une plainte « contre certains éléments de l'armée nationale pour agression et vol » à l'antenne régionale de la Sécurité militaire (Semil) à Bafoussam. « Monsieur le commandant, dans la nuit du 30 mai 2023, je me suis faite agressée et battue à mort par des militaires. Dans ma chambre, il y avait une somme de 20.000 Fcfa. Lorsque je me suis éveillée, je me suis retrouvée aux urgences de l'hôpital régional de Bafoussam ».
Enregistrée dans cet établissement sous le numéro 1-118.618/HRB/2023, elle dit avoir été battue à la tête, aux mains, à l'abdomen et sur les parties intimes de son corps.
Après quelques jours d'hospitalisation, son bon de sortie a été signé par l'infirmier major Bertol Ngnitedem Tankem. Pour l'instant, elle multiplie les démarches pour obtenir un certificat médico-légal du médecin légiste. Précisons-le, plusieurs autres victimes des gendarmes et militaires se sont retrouvées à l'hôpital régional de Bafoussam ou à l'hôpital du district de santé de Djeleng.
M. Kamdem, témoin de plusieurs scènes de violences à l'égard des filles qui résident dans les cités des 1ere et 2eme rue Nylon à Bafoussam, avoue que c'est une situation inhumaine. Car chaque fois, elles se retrouvent dans les hôpitaux et dépensent énormément pour soigner leurs blessures. Ce qui s'apparente à « une torture programmée et collective ».
M. Ngninkeu, gérant d'une mini cité a aussi porté plainte contre des gendarmes et militaires pour destruction de biens. « Ils ont cassé plusieurs portes pour violer les filles », soutient-il. Rencontré, le secrétaire particulier du sous-préfet de l'arrondissement de Bafoussam, indique que le maintien de l'ordre public et de la sécurité des personnes et des biens tient à coeur au sous-préfet territorialement compétent, Bertrand Essono Bodo.
Cette autorité administrative, apprend-t-on de bonne source, a institué des comités de vigilance au niveau du Carrefour de l'Auberge. Ceux-ci ont pour rôle d'alerter les autorités et les forces de maintien de l'ordre de toute violation de la loi. Non identifiés, les militaires et gendarmes qui agressent les jeunes filles à Bafoussam seraient des jeunes recrues. Certains parmi eux logent au niveau du camp « Garage militaire » de Bafoussam.
Des jeunes sapeurs-pompiers sont aussi sur la liste des accusés de viol, de vol et de harcèlement sexuel. Il en est de même des éléments de la brigade de recherche de Bafoussam, sise au lieudit « Makambou ». Certains policiers de l'équipe spéciale d'intervention rapide sont aussi indexés.
La hiérarchie locale de l'armée notamment le colonel Minlo'o Mbang, commandant de la légion de gendarmerie de l'Ouest, ne cesse de clamer son engagement pour plus de discipline chez les hommes en tenue. Ce qui implique que de probables sanctions seraient envisagées contre les gendarmes indisciplinés qui dictent leur loi au « Carrefour de l'Auberge ». Pour l'instant, aucun des suspects n'a été identifié. Les enquêtes se poursuivent au niveau de « la police militaire ».
Les lois interdisant toutes formes de violence à l'égard des femmes
Reste que Me Julio Koagne, avocat au barreau du Cameroun, n'est pas rassuré. Car il est indiqué que selon les Country Reports on Human Rights Practices for 2002, les personnes qui commettent des agressions sexuelles sont souvent punies par la famille de la victime ou son village (4 mars 2003, sect. 5). La destruction de la propriété privée et les raclées constituent des exemples de châtiments extra-judiciaires imposés (Country Reports 2002 4 mars 2003, sect. 5).
L'Association camerounaise des femmes juristes (ACAFEJ), établie en 1989, et l'Association de lutte contre les violences faites aux femmes (ALVF), établie en 1991, sont des organisations non gouvernementales camerounaises luttant pour les droits des femmes (HRI s.d.a; ibid. s.d.b). D'une part, l'ACAFEJ lutte contre la discrimination à l'endroit des femmes et contribue à l'élaboration de nouvelles lois afin d'améliorer la condition de la femme (ibid. s.d.a).
D'autre part, l'ALVF lutte contre la violence dont sont victimes les femmes camerounaises, effectue des recherches sur cette question et organise des campagnes de sensibilisation (ibid. s.d.b). Le Code pénal camerounais suivant son article Art. 296 portant sur le viol, « punit d'un emprisonnement de cinq à dix ans celui qui, à l'aide de violences physiques ou morales contraint une femme, même pubère, à avoir des relations sexuelles».
Après l'avoir ratifié, l'Etat du Cameron ne semble pas suffisamment intégrer que le Protocole de Maputo garantit à toute femme le droit au respect de sa personne et au libre développement de sa personnalité, l'interdiction de toute exploitation ou de tout traitement dégradant, l'accès à la justice et l'égale protection devant la loi. Le document prévoit entre autres en son article 4 dédié au « Droit à la vie, à l'intégrité et à la sécurité » que « toute femme a droit au respect de sa vie, de son intégrité physique et à la sécurité de sa personne.
Toutes formes d'exploitation, de punition et de traitement inhumain ou dégradant doivent être interdites » ; que « les Etats s'engagent à prendre des mesures appropriées et effectives pour adopter et renforcer les lois interdisant toutes formes de violence à l'égard des femmes, y compris les rapports sexuels non désirés ou forcés, qu'elles aient lieu en privé ou en public (a).»