Afrique Australe: Intimidation - La CRTV déclare la guerre à l'Afrique du Sud dans l'affaire Danpullo/MTN

En réponse à la première sortie médiatique organisée par les dirigeants de la compagnie de téléphonie mobile pour dire halte au braquage judiciaire dont leur entreprise est la cible depuis bientôt 10 mois, Baba Danpullo reçoit le soutien de la Crtv, qui tance l'Afrique du Sud au nom de l'Etat du Cameroun.

1- MTN Cameroon dit halte au braquage

Longtemps cantonné au Palais de justice, le conflit qui oppose le consortium Bestinver, contrôlé par l'homme d'affaires camerounais Baba Danpullo, à la compagnie de téléphonie mobile MTN Cameroon (et à Chococam) s'est mué en bataille médiatique acharnée depuis le milieu de la semaine dernière. Silencieuse depuis la saisie de ses comptes bancaires en septembre 2022, la société MTN Cameroun est sortie de sa réserve pour la première fois le mercredi, 14 juin 2024.

A travers un point de presse donné par la directrice générale de l'entreprise, Mme Mitwa Ng'Ambi, qu'accompagnaient deux de ses collaborateurs, M. Felix Fon Ndikum, le directeur juridique, et M. Melvin Akam, le directeur de la régulation et des affaires institutionnelles, la compagnie a rompu le silence. Le président du conseil d'administration, Colin Mukete, et le vice-président du groupe MTN, Ebenezer Asante, sont aussi intervenus au cours du rendez-vous avec la presse, par visioconférence, respectivement depuis les USA et le Ghana.

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Cette sortie médiatique inédite faisait suite à un rebondissement judiciaire inattendu. En effet, par quatre décisions rendues le 9 juin 2023, Mme Dibobe Epoupa Nicole Valérie épouse Eyango, juge au Tribunal de première instance (TPI) de Douala - Bonandjo, agissant comme juge des référés, a ordonné à quatre établissements bancaires de reverser entre les mains du greffier en chef de cette juridiction les sommes d'argent saisies puis cantonnées (bloquées) depuis 9 mois dans les comptes de MTN Cameroon ouverts dans leurs livres respectifs.

Les décisions ainsi prises étaient assorties de fortes astreintes, soit 100 millions de francs par jour de retard pour Afriland First Bank et 50 millions de francs pour UBA, SCB et Ecobank. Raison pour laquelle le top management de MTN a décidé de contester «vivement la saisie de ses comptes», tout en s'étonnant d'être la cible des attaques de M. Baba Danpullo en dépit de l'absence de tout lien commercial avec le milliardaire et ses entreprises, de même le banquier sud-africain de Bestinver.

Si le vice-président du groupe MTN et le PCA de MTN Cameroon ont loué la qualité des relations avec le gouvernement du Cameroun, jouant toujours la carte de l'apaisement, Mme Mitwa Ng'Ambi a dénoncé pour sa part «la précipitation avec laquelle le transfert [des fonds de MTN Cameroon] est ordonné [...] d'autant [...] que les sommes d'argent détenues par les banques ne sont pas menacées».

Elle a rappelé que «les fonds sont en sécurité dans les coffres des banques et de la Béac. Par ailleurs, sur le plan de la légalité», a-t-elle ajouté, «l'entité la plus légitime vers laquelle le tribunal aurait dû demander le transfert de ces fonds est la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui est désormais opérationnelle. A notre avis, le greffier en chef du tribunal ne présente pas de meilleures garanties que les banques, la Béac et la CDC».

La DG a aussi rappelé que MTN Cameroon, entreprise de droit camerounais, «a toujours tenu ses engagements vis-à-vis du Cameroun [et a] toujours veillé à mener ses activités au Cameroun dans le strict respect des lois et règlements en vigueur». «Compte tenu de la gravité de la situation ainsi créée, a-t-elle ajouté, MTN Cameroon entend utiliser tous les moyens légaux possibles pour faire échec au braquage actuellement en cours». Collin Mukette avait pris la peine de rappeler que MTN Cameroon est à la fois africaine et camerounaise, puisque l'entreprise compte deux actionnaires seulement : MTN International (Mauritius) Limited et Broadband Telecom Limited, comme cela apparaît dans son registre de commerce (acte de naissance), dont la dernière version a été établie curieusement au TPI de Douala Bonanjo, le 10 mai 2022.

Cette sortie médiatique a-t-elle créé la panique dans le camp d'en face ? On peut l'imaginer au regard des réactions qui s'en sont suivies.

2- Bestinver multiplie les contradictions

Pour se plaindre du braquage dont est victime leur entreprise, les dirigeants de MTN Cameroon ont rappelé à maintes fois l'absence de tout lien entre leur entreprise et la First Rand Bank (FRB), la banque sud-africaine du consortium Bestinver, de même qu'avec la Public Investment Corporation (PIC). De manière générale, les adversaires de Danpullo estiment qu'il a trompé la justice camerounaise pour obtenir les saisies de leurs comptes bancaires. Le milliardaire camerounais ne veut sans doute pas que ces contestations prospère, d'où l'offensive médiatique qu'il a organisée auprès de certains médias, notamment Eco-Matin et la Crtv Radio.

Dans les colonnes de Eco-Matin paru lundi dernier, 19 juin 2023, Me Mbanzehe, l'un des avocats de l'homme d'affaires a fait la déclaration suivante, en réaction au fait que MTN Cameroon conteste tout lien avec la FRB : «C'est leur droit de le déclarer. Il convient de noter que ce lien existe et, une fois de plus, nous ne pouvons révéler notre stratégie du fait que la procédure est encore pendante.

Il existe bel et bien un lien entre la banque [FRB et non FNB comme écrit], MTN Cameroon et Chococam. Cela se prouvera dans les procédures pendantes». Cette déclaration de l'avocat ne laisse planer aucun doute sur le fait qu'il n'a pas encore été prouvé à la justice camerounaise le lien entre MTN Cameroon et la banque sud-africaine (FRB) dont le recouvrement forcé des créances met en difficulté M. Danpullo.

L'avocat avoue que ce lien «se prouvera». La question ne peut que surgir : sur quelle base, sans lien prouvé, les juges du TPI de Douala-Bonanjo ont-ils ordonné depuis bientôt 10 mois la saisie des comptes, le cantonnement, puis le reversement des sommes déclarées ? Jusqu'ici, la justice camerounaise a reçu, à titre d'élément de preuve, un document d'une page intitulé «preuve que PIC est actionnaire de MTN, Chococam et FRB», avec la précision qu'il s'agit des «informations recueillies sur le site de la bourse de Johanesburg». Ce sont en fait quatre liens internet, sans plus (voir document en fac simili)...

La Crtv s'est aussi invité dans le traitement de l'information concernant le conflit entre M. Danpullo et MTN Cameroon, en affichant clairement son parti-pris pour l'homme d'affaires camerounais. Dans un rappel des faits douteux, au regard de l'abondante documentation disponible, y compris les propres déclarations de M. Danpullo devant la justice sud-africaine, le média public traite l'Afrique du Sud de pays Xénophobe, dont les dirigeants aurait fait montre d'hypocrisie face aux émissaires envoyés par le président Biya dans le pays de Nelson Mandela, en parlant de l'indépendance de la justice. Il prétend que le consortium Bestinver n'a pas été en mesure de rembourser ses dettes auprès de son banquier (en fait, il a plusieurs créanciers) parce que «le processus de remboursement de cette dette avait été perturbé en 2019-2020 par la Covid 19».

Le plus surprenant est la prise de position de l'éditorialiste de la Crtv Radio, au nom du Cameroun, tout entier, en lieu et place du président de la République et, dans une moindre mesure, du ministre des Relations extérieures, voire du porte-parole du gouvernement. L'éditorialiste est sentencieux : «Qu'il soit bien clair que le Cameroun ne lésinera sur aucun moyen de droit pour continuer à apporter à Baba Danpullo tout le soutien qui lui est dû. Ceci n'est pas qu'une simple figure de style. C'est un avertissement à qui de droit», conclu l'éditorialiste avec un zeste de trafic d'influence.

La Crtv dit-elle par cette voie que les décisions rendues jusqu'ici dans ce dossier par les juges du TPI de Douala - Bonanjo ont été inspirées, voire imposées par le gouvernement du Cameroun ? Est-ce une manière de démontrer au monde entier que la justice est aux ordres ? De toutes les façons, ce média, par certaines de ses sorties passées, comme après le décès du Pr Gervais Mendo Ze (dont un autre éditorialiste avait affirmé faussement qu'il avait déjà bénéficié d'une grâce présidentielle), a déjà démontré qu'il pouvait souvent parler avec aplomb de ce qu'il ignore totalement...

3- Quid sur le terrain judiciaire ?

En dehors des quatre banques sommées de se dessaisir au profit du greffier en chef du TPI de Douala Bonanjo des fonds saisis dans les comptes de MTN Cameroon le 9 juin, soit Afriland First Bank (Montant MTN 689 millions de francs & MoMo, 4,2 milliards de francs) ; UBA (Montant cantonné : 53.114.480 francs) ; SCB (Montant cantonné : 899.741.378) ; et Ecobank (Montant cantonné : 4.995.061.220), UBC a connu le même sort le 14 juin 2023 avec une astreinte de 50 millions de francs par jour de retard (Montant cantonné : 143.061.220), exactement comme la Bicec le 16 juin 2023 (Montant cantonné : 660.000.000). Ce même 16 juin 2023, un autre juge, M. Djonga, saisi d'une demande similaire concernant les fonds saisis à la SGC, a débouté le consortium Bestinver. Une lueur dans un ciel sombre.

Cela dit, la bataille judiciaire se poursuit (on y reviendra en détail dans notre prochaine parution, l'ambition de Bestinver étant d'obtenir 259 milliards de francs alors que le promoteur du consortium évalue lui-même le portefeuille de ses immeubles en Afrique du Sud entre 61 et 65 milliards de francs.

A titre de rappel, M. Baba Danpullo avait conclu le 19 août 2016 et le 11 octobre 2017 de la First Rand Bank, pour le compte de ses entreprises, trois accords de prêt d'un montant global de 610 millions de rands, la monnaie sud-africaine, à peu près 20 milliards de francs. Ces fonds devaient être restitués en 120 mensualités. Trois autres entités du groupe Bestinver avait bénéficié de la même banque, le 9 novembre 2017, un emprunt de 7 millions de rands (228 millions de francs. Ce sont les difficultés éprouvées par l'homme d'affaires pour tenir ses engagements, à la suite de plusieurs arrangements intermédiaires, qui ont abouti à la saisie de ses immeubles hypothéqués en Afrique du Sud. Lui n'a pas trouvé mieux que de revenir au Cameroun et de poser les actes qui sont à l'origine de la vive controverse qui secoue les milieux judiciaires de Douala depuis bientôt 10 mois.

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