Sénégal: Jean-Pierre Senghor - 'Il ne faut pas exagérer la question foncière'

Dakar — La terre, un "intrant majeur" pour l'agriculture et un "facteur de cohésion sociale" en même temps, doit être bien gérée par les pouvoirs publics, reconnaît le secrétaire exécutif du Conseil national de sécurité alimentaire, Jean-Pierre Senghor, tout en invitant les usagers à ne pas "exagérer la question foncière", car le Sénégal concentre encore d'importants "espaces vierges et vides".

"Dans un pays comme le nôtre où l'agriculture est le moteur de l'économie, la terre est un intrant majeur. Le foncier revêt des enjeux sociaux, économiques et politiques. Il est important que des institutions comme [la CNDT] puissent prendre à bras-le-corps la question du foncier en faisant de la prévention des conflits", a souligné M. Senghor.

L'ingénieur agronome s'est entretenu avec l'APS en marge d'un atelier organisé par la Commission nationale du dialogue des territoires (CNDT) sur "la prévention, la médiation et la résolution des conflits fonciers".

Même si la terre est "un facteur de cohésion sociale" et les litiges dont elle est l'objet nombreux, "je m'empresse de dire aussi qu'il ne faut pas exagérer la question foncière", a soutenu le secrétaire exécutif du Conseil national de sécurité alimentaire.

"Souvent, on la brandit comme une épée, une menace. Pourtant, on n'a pas de problème de terres. On a beaucoup de terres dans ce pays. Nous avons près de 10 millions d'hectares de terres agricoles [...] Nous avons tellement d'espaces de terres vierges et vides..." a-t-il argué.

Activer les "mécanismes traditionnels de résolution des conflits fonciers"

"Nous avons plein d'espaces inoccupés dans ce pays [...] Nous n'avons pas de problèmes de terres. Les terres existent, c'est l'accès qui pose problème. Comment faire pour que les terres disponibles soient accessibles ? C'est de cela qu'il faut discuter", a soutenu Jean-Pierre Senghor, ajoutant : "Si vous êtes en Casamance et que vous voulez travailler dans la vallée du fleuve Sénégal, vous devez pouvoir le faire, et vice versa."

Il suggère que l'Etat prenne "à bras-le-corps" la question de la terre et s'arrange pour "jouer le rôle d'arbitre" dans sa gestion.

"Pour prévenir les conflits, il faut les lister. Les intérêts sont parfois divergents mais on devrait d'abord catégoriser les usages de la terre [...] Il faut que l'Etat crée les conditions pour que ceux qui veulent travailler la terre puissent le faire, quelles que soient leurs origines", a suggéré M. Senghor en parlant du thème de l'atelier de la CNDT.

"C'est cela que l'Etat doit faire et éviter de se laisser intimider par [...] des questions qui sont un faux problème pour moi. Il faut nourrir les Sénégalais. Il ne faut pas hésiter à le faire. C'est le rôle de l'Etat", a-t-il déclaré.

Le socio-anthropologue Cheikh Oumar Ba, chercheur et spécialiste des questions de développement agricole et rural, a insisté pour sa part sur la nécessité de réduire l'ampleur des litiges fonciers au Sénégal. "Nous devons entretenir le dialogue sur la gouvernance des terres [...] Si on n'aide pas les acteurs à réduire les conflits, cela peut porter préjudice au Sénégal", a-t-il prévenu.

Les conflits liés à la terre prennent diverses formes allant des limites mal définies entre certaines communes aux disputes entre éleveurs et agriculteurs désireux de contrôler des ressources foncières, en passant par les litiges relatifs à l'habitat, a rappelé M. Ba, l'un des animateurs de l'atelier.

"L'arbitrage et l'allocation des ressources foncières posent souvent problème. Ça débouche quelquefois sur des conflits violents", a-t-il souligné, proposant d"'identifier d'abord les types de conflit et d'étudier les médiations possibles".

"Une réforme consensuelle"

Il faut en même temps "prévenir les conflits et faire en sorte qu'on puisse les résoudre quand ils éclatent. On a des mécanismes traditionnels de résolution des conflits fonciers, autour des chefs de village, des marabouts et d'autres personnalités. On peut améliorer la façon de gérer la terre, sans que ce soit conflictuel", a ajouté Cheikh Oumar Ba.

De même invite-t-il les acteurs concernés à "aller définitivement vers la réforme que tous les acteurs attendent depuis plusieurs années".

"Il ne faut pas être théorique, il faut qu'on s'entende sur des éléments clés [...] On a besoin d'investir, de sécuriser les terres des populations, on doit pouvoir trouver un consensus", a poursuivi M. Ba en parlant de la réforme de la politique foncière annoncée par les pouvoirs publics.

"Si on veut atteindre la souveraineté alimentaire, on ne doit pas transformer toutes les terres du Sénégal en terres d'habitat. On doit préserver le pastoralisme aussi. Nous devons arbitrer définitivement sur ces questions et voir les solutions qui existent, qui ont été proposées dans le cadre de la CNRF (Commission nationale de la réforme foncière, qui a été dissoute). Il faut peut-être réactualiser les solutions qui font l'objet d'un consensus", a proposé le chercheur.

Il dit souhaiter que l'initiative de la CNDT puisse "permettre à l'Etat de disposer enfin d'une réforme foncière avant la fin de l'année". "On souhaite que le Sénégal adopte une réforme consensuelle, au profit des générations à venir notamment."

Le président de la Commission nationale du dialogue des territoires, Benoit Sambou, a insisté sur la prévention des litiges fonciers, "qui sont de plus en plus récurrents".

Il a évoqué la nécessité pour la CNDT de bien connaître la nature des conflits et leurs causes.

"Certaines collectivités territoriales ne peuvent plus investir, faute de terres", a signalé M. Sambou.

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