Soudan: Un Congolais évacué de Khartoum - «Lorsque notre bus est arrivé, même les Soudanais étaient surpris»

L'évacuation est en passe d'être réussie au Soudan : 26 Congolais, dont une majorité d'étudiants scolarisés à l'Université internationale d'Afrique de Khartoum, ont pu embarquer le 21 juin 2023 dans un bus affrété par le gouvernement de RDC. Après un long périple, ils sont désormais hors de danger dans l'attente de franchir la frontière égyptienne. Entretien avec l'un d'entre eux.

RFI : Shoukou Kazadi, depuis le début de la guerre, vous étiez coincés à l'Université internationale d'Afrique. Comment la situation s'est-elle débloquée ?

Shoukou Kazadi : Depuis le début de la guerre, on a lancé beaucoup d'appels. On a demandé beaucoup d'aide, par-ci, par-là. Ça a pris beaucoup du temps. Mais aujourd'hui, on est quand même contents de voir que notre gouvernement a mis toutes ces choses en place pour nous évacuer, ça nous a vraiment fait très plaisir.

On n'était pas toujours tranquilles vis-à-vis des paroles de notre gouvernement. On ne croyait pas qu'ils allaient les réaliser, peu importe, ce que les ministres avaient dit. De notre côté, on n'avait aucune assurance parce que nous connaissons bien notre gouvernement.

Sur @RFI le MAE Congolais annonce le début de l'évacuation de 26 ressortissants coincés à #Khartoum #Soudan https://t.co/Dosv7DUJNn-- Sébastien Németh (@SebastienNemeth) June 21, 2023

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Mais lorsqu'on nous a appelés pendant la nuit pour nous dire qu'ils avaient versé l'argent à l'agence de bus et que l'on nous a passés les numéros de l'agence à Khartoum pour que l'on fixe un horaire, c'est là que l'on a vu que les choses se sont mises en place et étaient sérieuses.

L'agence a fixé le programme avec notre représentant des étudiants. On a rangé toutes nos affaires. On est sorti dehors pour attendre le bus. C'est vers 8h15 que le bus est entré dans notre université. On le regardait comme si c'était un rêve. On était tous contents, on n'arrivait pas à croire que c'était la réalité et que l'on allait bouger.

C'était une université qui rassemblait au moins une vingtaine de pays différents. Et le seul pays qui était resté, c'était nous. On avait déjà honte de notre pays. On n'avait plus rien à dire. Tous les Soudanais commençaient déjà à parler de notre pays, de sa négligence, de sa faillite et de la mauvaise foi de la RDC. On était pourri de honte (sic).

Mais lorsque le bus est arrivé, même les Soudanais étaient surpris. Ils ne croyaient plus au fait que l'on allait nous évacuer. Et quand ils ont vu le gros bus rentrer, ils ont vu que le gouvernement nous avait répondu. On était tellement contents de voir ça. C'était tellement bien de vivre ce moment-là et de voir que le rêve était devenu réalité pour nous.

Quelle était la situation sécuritaire au moment de votre départ ?

Ce n'était pas facile. Lorsque le bus est venu, on avait eu trois jours de cessez-le-feu, sous contrôle des États-Unis et de l'Arabie Saoudite. Pendant ces trois jours-là, on était vraiment calmes. Il n'y avait aucune balle tirée, aucun coup de feu, rien. Mais le matin du troisième jour, vers 7 heures, on entendait déjà des bombardements.

Lorsque le bus est entré, on a senti qu'il y avait une fusée tirée contre des drones parce qu'il y avait des drones qui circulaient. Et puis la fusée a raté sa cible et elle est tombée dans l'université. C'était à 8 heures. Le bus était là, on était en train de le charger. Ça a frappé fort, on a senti seulement les gaz, les fumées. On a continué à charger le bus et on est parti.

Qu'avez-vous ressenti en quittant l'université ?

S'il y a quelque chose qui nous a beaucoup soulagé, qui nous a rendu heureux, c'est d'abord d'avoir quitté l'université. Parce qu'à l'université, on était maintenant dans une insécurité totale. C'est comme si nos vies étaient en jeu. Il n'y avait plus de nourriture, il n'y avait plus de courant stable, plus d'eau du tout. Le petit puits qu'on avait utilisé, le jour où le bus est arrivé, ce puits était déjà épuisé. Il ne restait que du sable.

Nos vies étaient en jeu à cause des bombardements et des fusées qui tombaient par ci, par là. À côté aussi, il y a les balles. Tu ne peux pas sortir parce que les gens sur la route [des hommes armés, NDLR], ou même dans les marchés, peuvent tirer des coups de feu.

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Donc, lorsque le bus est venu, après toutes les souffrances que l'on a traversées, on était heureux de voir ça, de voir que Dieu a accepté nos prières. On était tous tellement soulagés, on a beaucoup remercié Dieu pour cette faveur.

Comment le bus a-t-il réussi à sortir de la ville ?

80% de Khartoum est aux mains des rebelles du général Hemedti. C'est lui qui gère maintenant. Même notre université était déjà occupée par les rebelles. Ceux que l'on appelle les Forces de soutien rapides. Même les employés de l'université avaient fui. Il n'y avait que nous qui étions restés là-bas. Jusqu'à la sortie de Khartoum, il n'y avait que les Forces de soutien rapide.

Ce n'était pas facile de passer. Mais, vu que l'on avait aussi une feuille de route de notre université, ça nous a permis de passer la zone rebelle. Les forces paramilitaires, les Forces de soutien rapide, ce sont eux qui gèrent ça. Vous ne pouvez pas rouler facilement. Ils ont mis beaucoup de barrages et ils contrôlent, ils fouillent très bien. Parce qu'il y a aussi des militaires qui fuient la guerre. Alors, ils s'habillent avec des tenues civiles, ils entrent dans les bus de voyageurs pour fuir. Voilà pourquoi les fouilles sont devenues encore plus fortes, pour attraper aussi ces gens-là. Il y avait aussi certains rebelles qui fuyaient la mort. Ils s'habillent aussi en civils, ils embarquent leurs affaires. Ils prennent le bus pour fuir.

Quand ils arrêtent le bus, ils fouillent beaucoup les téléphones. S'ils vous voient avec des informations qui concernent leur pays, tu peux même rester là-bas, peu importe que tu sois un étranger ou pas. Tu peux même rester avec eux là-bas et ça va être très compliqué pour toi de t'en sortir.

On a passé beaucoup de barrages, on avait aussi nos identités complètes, surtout des cartes d'étudiants soudanais, et c'est ça qui nous a beaucoup aidé à passer aussi vite. Sauf à une frontière qui nous a beaucoup compliquée la vie. Il a fallu que l'on appelle le directeur pour signer une garantie. On est resté là à peu près pendant encore une heure en attendant la réponse du directeur, qu'il dise : « Oui, je me porte garant de ces étudiants-là ».

Et lorsque l'on en a fini avec ces gens-là, on a commencé à avoir affaire aux contrôles du gouvernement, comme la police routière et les militaires. À ce moment-là, c'était un peu plus léger après la sortie de Khartoum.

Mais, malheureusement, en arrivant dans une ville, le chauffeur que l'on avait depuis Khartoum a dit qu'il ne voulait plus continuer avec nous jusqu'à la frontière. Il a fallu qu'il appelle un autre bus pour venir nous embarquer et que l'on continue jusqu'à arriver à la frontière. Et là maintenant, on est à la frontière entre l'Égypte et le Soudan.

Qu'allez-vous faire désormais ? Comment voyez-vous l'avenir ?

On a maintenant hâte de retourner chez nous, voir nos familles, voir nos enfants, voir nos collègues. Et essayer d'avoir un nouveau départ. Parce que la vie c'est comme ça, lorsque les choses tournent mal, il faut faire aussi une marche en arrière pour mieux avancer.

Retourner au Soudan un jour, ce n'est pas tout le monde qui peut penser ceci. Il faut avoir d'abord de fortes raisons, qui vont te faire revenir. Mais, en dehors de ça, ça va être compliqué. Beaucoup d'entre nous ont déjà décidé de ne pas revenir.

Ceux qui disent que peut-être, ils pourraient revenir, ce sont ceux qui n'ont pas encore fini leurs études. Ce sont ceux qui ont encore six mois pour finir leurs études. Imaginez un peu : vous êtes resté dans un endroit pendant quatre ans, cinq ans. Il ne vous reste que six mois ou sept mois pour finir vos études, et cette malchance est survenue et a tout arrêté.

Là, on ne sait plus comment on va recommencer nos études. Il faut avoir maintenant des moyens. Tu dois avoir les moyens de te loger, de manger et de financer les frais scolaires, alors que certaines familles n'ont pas toutes ces capacités-là.

Déjà, quand vous vivez à l'université, c'était parce que c'était gratuit d'y loger, d'y manger, et d'y étudier. On a toujours envie de continuer nos études et l'on n'a pas envie d'abandonner nos ambitions car la guerre nous a trouvés.

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