Dakar — Le continent africain ne peut compter que sur une faible masse de chercheurs pour mener des études d'impact pouvant répondre aux aspirations des populations africaines, a regretté, vendredi, à Dakar, le directeur de l'African Population and Health Reaserch Center (APHRC), Cheikh Faye.
« La dernière étude que nous avons menée fait état de 100 à 120 chercheurs pour un million d'habitants, alors que les pays développés sont à 3.000 voire 4.000 chercheurs pour un million d'habitants », a-t-il déclaré en marge d'un panel portant sur le thème : « Développement et décolonisation de la recherche dans le contexte francophone. »
« On peine à mettre 1% de nos budgets dans la recherche. Dans ces conditions, comment allons-nous mettre nos jeunes dans la recherche ? », s'est-il interrogé, en soulignant que les ressources financières dédiées à la recherche en Afrique « sont cadrées et difficiles d'accès ».
L'Afrique a besoin d'une « masse critique de chercheurs » pour répondre aux aspirations de ses populations, et pour y arriver, il est nécessaire de « briser les barrières linguistiques », a plaidé le responsable de l'African Population and Health Reaserch Center.
Il note qu'à ce sujet, trois points ont été mis en exergue, dont « l'absence de culture de la demande à faire des recherches », ajoutant que dans la plupart des cas, ce sont les pouvoirs publics qui « font la demande et qui définissent un agenda ».
« Le deuxième point, c'est la création d'un environnement propice à la recherche. Une chose est de parler de l'Afrique, mais il faut que ce soit fait par des Africains », a dit M. Faye, avant de pointer le troisième point, qui concerne le mécanisme de la gouvernance. « Il faut, dit-il, des mécanismes qui puissent garantir la qualité de la recherche et le respect des procédures d'éthique et les standards ».
De l'avis du chercheur sénégalais Mary Teuw Niane, ancien ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, « il est important d'avoir une masse critique de chercheurs de qualité ». Sinon, « il sera très difficile de faire de la recherche ».
Il déplore une démarche « hyper élitiste » des universités africaines dans la publication des résultats de leurs recherches. « C'est rare même de voir certaines publications », a relevé M. Niane, mathématicien de formation et ancien recteur de l'université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, la deuxième université publique sénégalaise.
S'y ajoute que « le nombre de publications est faible par rapport à la possibilité de publier. Ce qui affaiblit les pays francophones ». De même juge-t-il « capital » le choix des thèmes de recherche. « Cela fait partie de la décolonisation. Il faut des thèmes qui nous mettent au coeur de la science », a insisté Mary Teuw Niane.
« On choisit souvent des thèmes périphériques à la science », note-t-il par ailleurs, avant de proposer aux chercheurs d'orienter leurs travaux vers « des questions de fond, comme la biologie moléculaire, le numérique », etc.
Le mathématicien sénégalais considère qu'il est « important de ne pas être absent des grands enjeux comme les changements climatiques ou l'érosion côtière qui impactent la vie de nos citoyens ». « On ne peut pas faire de la recherche en s'enfermant entre Africains. Il faut qu'on accepte entre médiocres de s'autoévaluer », a-t-il plaidé.
« C'est dans ce type de relations qu'on pourra développer la recherche et par ricochet nos pays », a fait valoir Mary Teuw Niane. Il a en outre invité les États africains à motiver davantage les chercheurs pour limiter la fuite des cerveaux et leur permettre de se mettre au service de leurs pays.