Ile Maurice: L'exode du capital humain mauricien

Mauvaises perspectives économiques, progression de carrière limitée, de plus en plus de Mauriciens abandonnent l'île pour aller vivre de nouvelles aventures dans un pays étranger. L'Angleterre, le Canada et l'Australie restent les pays les plus prisés.

Ils sont à la recherche d'une vie plus confortable et d'un meilleur salaire. Cette tendance ne concerne pas exclusivement les jeunes qui ne souhaitent plus revenir au pays après leurs études mais aussi de jeunes professionnels, qui sont de plus en plus nombreux à vouloir prendre le large en vue d'obtenir de meilleures perspectives de carrière ailleurs.

La migration vers d'autres pays a toujours existé. Si autrefois, il s'agissait surtout de jeunes, qui ne sont pas rentrés au pays après leurs études universitaires, depuis quelques années, de jeunes professionnels ayant déjà débuté leur carrière à Maurice, se disent prêts à partir pour obtenir des conditions plus favorables ailleurs. Qualifications et expérience professionnelle en main, ils font le grand saut vers ces destinations qui offrent bien plus d'avantages en termes de revenus, d'opportunités de carrière et de qualité de vie. En raison de salaires misérables et de conditions de travail difficiles ici, beaucoup préfèrent fuir pour avoir des offres d'emplois prometteurs, des rémunérations alléchantes et des conditions de vie plus dignes. On note que ce sont ceux dans la tranche d'âge de 20 à 45 ans, qui migrent à grande vitesse vers d'autres pays. L'exode des Mauriciens prend essentiellement deux formes : l'émigration directe des professionnels ayant déjà une carrière à Maurice ou l'installation définitive à l'étranger des diplômés, qui y ont été formés.

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L'étudiant destiné à l'émigration

Les jeunes ayant terminé leurs études secondaires n'ont qu'un seul voeu avoué : quitter Maurice et aller suivre leur cursus universitaire sous d'autres cieux et ne pas revenir dans leur île natale. Le pays qui est le plus populaire parmi les Mauriciens c'est le Canada en raison de sa forte demande d'emplois. Depuis quelques années, de jeunes Mauriciens ayant terminé leurs études secondaires optent pour des universités canadiennes car les perspectives de carrière et les possibilités d'avancement intéressantes qui s'offrent à eux après leurs études sont déterminantes. L'exode de cette catégorie de personnes n'est que le reflet d'une jeunesse désespérée, qui songe à émigrer avant la fin de leurs études secondaires car ils sont conscients des dures réalités du pays. Le Canada promet une carrière et un emploi après les études. Les jeunes sont intéressés par le Cooperative education programme, qui leur donne l'occasion de travailler parallèlement aux études. Ainsi, ils ont déjà l'expérience du travail dans ce pays, ce qui représente un avantage pour y sécuriser un emploi par la suite. A la fin de leurs études, ils font une demande pour un permis de travail et ensuite pour obtenir le Permanent Residence Permit. Ce sont là des jeunes qui commencent à partir de zéro.

Les professionnels

En sus des étudiants, il y a aussi cette catégorie de professionnels, qui se rendent au Canada ou en Australie munis d'un permis de travail valide pour deux ans et qui entament des démarches par la suite pour devenir résidents de leur pays d'adoption. L'Australie est très populaire car plusieurs jeunes, ayant déjà un premier diplôme, choisissent ce pays pour faire leur Master d'une durée de deux ans en vue d'y obtenir le Work permit de deux ans. Le Canada a aussi libéralisé ses politiques d'acceptation des personnes ayant des qualifications professionnelles de haut niveau. Alors qu'il y a quelques années, ces pays attiraient davantage des skilled workers dans les domaines comme la construction, la plomberie ou la santé, aujourd'hui, ils font aussi la place aux professionnels qualifiés et ayant une expérience professionnelle comme des comptables, des banquiers, des informaticiens et des experts financiers. La plupart de ces professionnels qui partent le font pour les mêmes raisons : l'éducation des enfants, de meilleures conditions de vie familiale et professionnelle.

Ceux qui ont l'expertise nécessaire trouvent facilement un emploi et postulent avant même de s'y rendre afin d'obtenir le permis de travail. Pour ceux qui sont mariés, il y a aussi des forfaits pour leurs familles. Le Canada accepte des professionnels dans des domaines divers alors que l'Australie enregistre, elle, davantage de demandes de personnes hautement qualifiées dans des créneaux spécifiques car les critères sont plus stricts. En Grande-Bretagne, ce sont surtout les professionnels de santé qui sont privilégiés. Excédés par une crise économique, politique et sociale dont ils ne voient pas l'issue, du moins dans les court et moyen termes, en sus du manque de reconnaissance, ainsi que le peu de cas qu'on accorde à leurs compétences, ces professionnels préfèrent s'en aller et contribuer à la prospérité d'un autre pays que de souffrir dans leur mère patrie.

L'émigration chiffrée

Des données exactes sur l'émigration des Mauriciens sont actuellement indisponibles. Le courrier électronique envoyé au ministère des Affaires étrangères est toujours en attente de réponse. S'il est possible d'avoir une idée approximative de l'évolution de la population grâce aux chiffres de la migration nette, fournis par Statistics Mauritius, les chiffres de la Banque Mondiale, eux, sont différents.

La migration nette représente la différence entre le nombre de personnes qui entrent dans un pays et le nombre de personnes qui le quittent sur une période d'un an. Dans la plupart des cas, ce chiffre est négatif, ce qui signifie que plus de personnes ont quitté Maurice que de personnes qui sont venues s'y installer. Par exemple, pour l'année 2022, le chiffre est de -1 850 personnes. Ce qui représente une augmentation significative par rapport à la décennie précédente car en 2012, la migration nette n'était que de - 293 personnes. En remontant encore plus loin, en 2002, cette différence était de - 569 personnes.

Dans les années 1990, les chiffres étaient similaires à ceux d'aujourd'hui. En 1992, la migration nette s'élevait à - 2 318 personnes. Selon les archives en ligne de Statistics Mauritius, qui démarre ses opérations en 1987, la migration nette de cette année-là était de - 4 180 personnes. L'année précédente, le chiffre était de - 1 210.

Il y a eu quelques années où le chiffre de la migration nette était positif, c'est-à-dire qu'il y avait plus de personnes qui venaient vivre à Maurice que de personnes qui quittaient l'île pour s'installer ailleurs. Cela s'est produit principalement au début des années 2000. Par exemple, en 2003, il y avait + 524 personnes de plus qui sont venues s'y installer et en 2005, elles étaient de + 350.

Vécus: heureux d'être partis, ils racontent

-Le couple Punchoo, au pays des koalas après plus de 20 ans de carrière à Maurice

Le couple Punchoo a mis le cap sur l'Australie après plus de 20 ans de carrière en tant que professionnels à Maurice. Chandini était employée de banque et son époux cadre à Air Mauritius. Après des années, leurs démarches ont finalement abouti l'année dernière et le couple et leur enfant ont fait le grand saut. «Sans regret», disent-ils. Les raisons qui les ont poussés à partir sont surtout parce qu'ils aspiraient à avoir une meilleure vie et obtenir la reconnaissance dans leurs domaines d'expertise. «Pour avoir la reconnaissance et une promotion au travail à Maurice, c'est très difficile. Surtout si vous n'avez pas de contacts politiques ou des connaissances au niveau de la direction de la compagnie qui vous emploie, malgré vos efforts et vos compétences», souligne Chandini Punchoo.

Ainsi, des années auparavant, le couple avait entamé les procédures pour émigrer mais il leur fallait attendre car ils voulaient être sûrs d'obtenir tous les permis requis et surtout de sécuriser un emploi avant de quitter Maurice. Aujourd'hui, Chandini est employée dans une banque alors que son mari travaille dans le secteur de l'aviation. «Au début, c'était un peu dur car il fallait faire tous les arrangements pour le logement et le transport, entre autres, mais après quelques mois, nous avons commencé à prendre nos aises. Nous avons une vie de famille, contrairement à ce que disent d'autres personnes qui partent à l'étranger et nous dirons même que les enfants sont beaucoup plus exposés à des activités de développement », dit le couple. Si cette décision leur a valu beaucoup d'années d'attente et de dépenses pour les démarches, cela valait le coup car ils se sentent aujourd'hui plus épanouis et envisagent l'avenir de leur enfant avec beaucoup plus d'assurance. «Reconnaître les compétences d'un employé, son potentiel et le récompenser sur la base de la méritocratie sont des éléments essentiels pour garder un jeune professionnel au pays», dit le couple Punchoo.

Marie Vanessa Ramen, de Toronto à New York City

Marie Vanessa Ramen est une femme qui n'a pas froid aux yeux et qui a décidé de prendre son destin en main pour réaliser son rêve. Issue d'une famille modeste, cette femme de 31 ans a fait ses études secondaires au collège Lorette de Port-Louis. Par la suite, elle a suivi plusieurs cours de comptabilité et a obtenu des qualifications. Mais elle s'est vite heurtée à la dure réalité du monde du travail et n'est pas arrivée à décrocher un emploi qui corresponde à ses aspirations de carrière. «Le plus dur c'était de voir mes autres amis, qui eux ont des contacts, être employés au sein de grandes firmes et occuper des postes bien rémunérés. Avoir des contacts est très important à Maurice et quand on est issu d'une famille simple et modeste, c'est encore plus désavantageux», fait-elle ressortir.

Ainsi, il y a neuf ans, elle a décidé de contracter un educational loan pour se rendre à Toronto au Canada en vue d'obtenir un Post graduate Diploma en Business Accounting. «Au cours de mes études, j'ai eu plusieurs opportunités de travail et j'ai finalement opté pour un job dans une compagnie d'équipements médicaux, l'une des plus réputées au monde. Après mes études, j'ai continué à travailler pour la même compagnie et j'ai été promue huit fois. J'ai terminé ma carrière dans cette compagnie en tant que Commercial manager», relate Marie Vanessa Ramen. Son parcours au Canada lui ouvre la porte à d'autres opportunités car elle voyage beaucoup dans le cadre de ses fonctions et en septembre 2021, elle a mis le cap sur New York City aux Etats-Unis. Elle vient de décrocher son Master in Business Administration et songe maintenant à lancer sa propre entreprise d'e-commerce. «Tout ce que j'ai acquis ici était purement sur la base de la méritocratie. J'ai un avenir plus assuré et je ne pense pas que j'aurais eu l'opportunité de faire autant de choses si j'étais restée à Maurice. J'encourage mes frères et soeurs à m'emboîter le pas», confie-t-elle. La jeune femme fait ressortir que quand elle est arrivée au Canada, elle n'avait pas d'économies, avait des dettes à rembourser et qu'elle a fait face à de nombreuses difficultés dans son pays d'adoption au début. «Coming from Mauritius, you must adjust to different working cultures but I could see the light at the end because of the opportunities and resources here. Even during rough times, I did not lose hope. In Mauritius when I was starting my career 12 years ago, it was tough to move forward and I did not have any hope», confie la jeune femme. Aujourd'hui, un bel avenir se présente à elle en tant que jeune entrepreneuse qualifiée et elle a plusieurs projets en tête.

Nusrat S. : séduite par la qualité de vie aux Emirats arabes unis

Nusrat S. est originaire de Vallée-Pitot. Issue d'une famille très conservatrice, elle a fait des études en Tourism Management à l'université de Maurice. Elle a obtenu des emplois dans le secteur de l'hôtellerie mais rien qui corresponde à ses qualifications. Pendant un certain temps, elle était désespérée et a accepté un emploi d'hôtesse d'accueil dans un hôtel afin d'avoir de l'expérience. Mais après trois ans, elle a réalisé qu'elle ne pourra jamais faire carrière à Maurice. Elle a donc décidé de postuler pour travailler à l'hôtel Holiday Inn à Dubaï. Elle y est depuis trois ans et a été promue à plusieurs postes de responsabilités. Malgré la réticence de ses parents, partir est un choix qu'elle ne regrette pas, d'autant plus qu'elle apprécie la qualité de vie dans les pays des Emirats arabes. «Je n'avais jamais quitté le pays avant mon départ pour Dubai. J'avais pas mal d'appréhensions mais aujourd'hui, je réalise que je n'aurais pas pu accomplir autant de choses et progresser si j'étais restée à Maurice. J'ai eu l'occasion de poursuivre mes études, tout en travaillant. Je mène une meilleure vie et j'ai même ma propre voiture. Je vis dans un appartement payé par la compagnie qui m'emploie. Mes parents viennnent souvent en vacances et me disent toujours que j'ai pris la bonne décision car les jeunes diplômés n'ont pas leur place à Maurice. Ici tout est basé sur la méritocratie», affirme-t-elle. L'aventure ne s'arrête pas là pour la jeune femme car elle a eu une offre d'emploi au Qatar en tant que Manager.

Letchimee Maye : au service des malades à Alabama

Letchimee Maye a émigré à Alabama aux Etats-Unis, il y a quelques années. Agée aujourd'hui de 62 ans, elle a laissé derrière ses deux enfants et toute sa famille en vue d'avoir une meilleure vie à l'étranger car en dépit du fait qu'elle cumulait plusieurs boulots à Maurice, elle n'arrivait pas à joindre les deux bouts. «A Maurice, on travaille pour survivre. C'est difficile d'avoir des économies et de faire des projets. Pendant plus de 20 ans, j'ai travaillé et je ne pouvais même pas m'acheter une maison. D'année en année, tout devenait plus cher et étant veuve, il me fallait aussi assurer, seule, l'éducation de mes enfants», souligne-t-elle. C'est à ce moment-là qu'une opportunité de travailler aux Etats-Unis en tant que garde-malade s'est présentée à elle et Letchimee Maye n'a pas hésité à faire le saut. «J'ai quitté mes deux enfants qui étaient déjà majeurs pour aller travailler afin d'avoir plus d'argent et réaliser nos projets. Ce que j'ai pu économiser en quelques années, je n'ai jamais pu le faire en 20 ans en restant à Maurice. Tous les ans, je viens en vacances pour voir mes enfants et mes petits-enfants et bientôt, je pourrai finalement m'acheter une maison à Maurice. J'ai pu financer les études de mes enfants dans de grandes universités et mener à bien d'autres projets», dit-elle. Mais elle précise qu'elle ne compte pas pour autant retourner vivre à Maurice car elle ne regrette pas d'être partie. Ce qu'elle compte acheter aujourd'hui, ce sera pour ses enfants. «J'adore mon job ici au Poor Little Sisters Hospital. A Maurice, le travail de carer n'a aucune valeur, bien qu'il faille avoir des qualifications. Les conditions de vie sont beaucoup plus humaines et les compétences sont reconnues à leur juste valeur. J'encourage mes enfants à venir aux Etats-Unis», indique-t-elle.

Ces artistes qui répondent à l'appel de l'ailleurs

Christophe St Lambert : «Je ne suis plus à l'aise dans mon pays»

C'est tout frais. Cela fait un mois que Christophe St Lambert, comédien sur les planches, acteur au cinéma et animateur sur Radio One, est parti vers d'autres cieux. Autant il est exubérant dans ses numéros d'humoriste, autant il joue la carte de la discrétion sur le plan de la vie privée.

En public, nous ne saurons pas vers quelle destination il a mis les voiles. Que fait-il maintenant ? Christophe St Lambert dit seulement qu'il «fait un travail créatif. On ne voit pas mon visage. Cela a un rapport avec l'artisanat».

Pourquoi a-t-il choisi de partir ? Il tranche : «la raison est personnelle. Ce n'est pas aux gens de comprendre. Il y va de mon bonheur.» Tout de même, son départ intervient alors qu'il surfait la vague de la visibilité, pour ne pas dire de la notoriété. Notamment avec un rôle dans le film The Blue Penny de Jon Rabaud, celui de Lucas dans Inavouable, monté par Philippe Houbert et Daniel Mourgues. «La vague, c'est temporaire. Quand elle redescend, je risque de ne plus avoir pied. Je ne vais pas rester populaire éternellement. Je ne vais pas rester drôle éternellement. Même si je joue dans plusieurs pièces, la vie est tellement chère à Maurice que je ne parviens pas à économiser.» Christophe St Lambert se projette déjà dans un an et demi quand il aura 40 ans. «Le départ est dans ma tête depuis l'après Covid-19».

Le choc d'après confinement lui a remis sous le nez «trop de choses qui me font sentir que je ne suis pas à l'aise dans mon pays». Quelles sont ces «choses» ? Le comédien cite le coût de la vie mais aussi «le climat politique», ainsi que «toutes les conditions légales, qui ne sont pas réunies» pour des personnes qui veulent vivre pleinement leur orientation sexuelle. Ce qui ne l'empêche pas d'être très reconnaissant envers tous ceux qui l'ont soutenu. Et si on fait appel à lui pour un rôle à Maurice ? «Je reviens tout de suite.»

Miselaine Duval et le Canada : son pays d'adoption

Comédienne longue distance, elle a touché le public avec le personnage de Madame Monique. En équilibre entre Maurice et le Canada, Miselaine Duval jongle avec le décalage horaire. Quelles opportunités a-t-elle trouvées à Montréal et qui n'existent pas forcément à Maurice ? Elle explique : «si tu es un artiste et que tu émigres au Canada, au début, il faudra obligatoirement faire un autre job. Sauf si tu as émigré directement dans ton domaine artistique.»

La comédienne, cheffe de troupe et directrice d'entreprise, précise que c'est à l'artiste de faire ses preuves. «Mais c'est vrai aussi que le Canada est énorme. Il regorge de festivals et de plateformes d'auditions. Le talent est valorisé. Il y a la reconnaissance des Québécois, tout comme du public mauricien, grâce à qui nous existons, alors il faut tenter sa chance.» Pour elle, le travail de Komiko à Maurice et au Canada est «un pont qui continuera tant que nous serons appréciés du public. Il n'y a pas de miracle à part de vouloir vivre de son art». D'autres perspectives pour surmonter la fermeture du Komiko Comedy Art Club à Bagatelle Mall. Et le retour de la troupe à l'ex-ABC à Rose-Hill.

Au Canada, Miselaine Duval est aussi productrice de concerts de chanteurs mauriciens. Madii Madii y est déjà annoncé pour septembre. «Les chanteurs sont comme les comédiens : c'est notre gagne-pain et notre passion. Partout où ils peuvent faire tourner leur spectacle, the show must go on. L'important c'est de prendre ses responsabilités et d'agir.»

Shezad Joomaye : «Une tendance de départ à la hausse»

Shezad Joomaye est le Business Development Manager d'Arrivals Canada, une entreprise spécialisée dans l'émigration vers le Canada. Il évoque les compétences recherchées à l'étranger et les raisons qui motivent les Mauriciens à émigrer.

Actuellement, c'est le secteur du tourisme qui connaît la plus forte demande. «Nous avons de nombreuses offres dans la réception hôtelière, ainsi que pour les cuisiniers, chefs et sous-chefs, en particulier ceux spécialisés dans la cuisine indienne, chinoise ou fusion. Les employeurs ne cherchent pas uniquement des candidats diplômés. Beaucoup demandent une à deux années d'expérience, de préférence avec une lettre de recommandation», avance Shezad Joomaye.

Cependant, ce n'est pas le seul secteur en demande. Les infirmiers, aidessoignants et mécaniciens sont également très sollicités. Pour ce type d'offre, si la candidature est acceptée, la personne obtient un permis de travail et peut emmener sa famille. Retournent-ils après leur contrat ? Rarement, répond le professionnel. «Ce départ est une voie vers l'obtention d'un permis de résidence. Souvent, les candidats commencent leurs démarches pendant qu'ils travaillent avec ce permis de départ. De plus, les contrats sont souvent prolongés», explique-t-il. L'entreprise les accompagne tout au long du processus.

Il n'y a pas que ceux qui cherchent un emploi spécifique qui partent. Il y a aussi une forte demande pour les permis de résidence. La tranche d'âge pour aspirer à ce Graal est large : de 18 à 45 ans. «Il n'y a pas de domaine spécifique dans ce cas. N'importe qui peut partir», déclare Shezad Joomaye.

Qu'en est-il de la tendance ? Cette année, les demandes sont en nette hausse. «Je ne peux pas avancer de chiffres exacts, mais nous avons constaté une augmentation», affirme le Business Development Manager d'Arrivals Canada. Selon lui, les facteurs sont multiples et sont souvent liés à la vie personnelle et professionnelle. «Beaucoup disent que c'est surtout pour leurs enfants. Il faut aussi prendre en compte la situation économique et sociale du pays. Les gens réalisent qu'à l'étranger, ils auront la possibilité de progresser plus rapidement qu'à Maurice, ce qui explique cette tendance», déclare Shezad Joomaye.

Et l'adaptation au nouveau pays ? Aucun souci à ce niveau, car ceux qui partent le font avec un objectif précis. «Cependant, il est vrai que c'est difficile de s'installer dans un pays sans rien. Nous accompagnons nos clients jusqu'à la fin, du logement aux démarches pour obtenir un permis de résidence à partir du permis de travail», dit-il, en réitérant qu'il y a très peu de retours à Maurice une fois que les gens sont partis.

Il n'y a pas que le Canada qui recherche de la main-d'oeuvre étrangère. Les compétences recherchées sont tout aussi variées que celles demandées au Canada. Par exemple, en septembre 2022, Gil Lamhing, un avocat basé en Australie qui aide les candidats potentiels dans leur quête de parrainage de visa permanent par l'État (Victoria State Sponsorship), avait expliqué que les conditions avaient été assouplies. Par exemple, l'État de Victoria avait supprimé la condition d'expérience requise pour les métiers sur la liste de demandes. De même, dans le secteur médical, le critère d'avoir un Bachelor in Nursing avait été supprimé, ce qui signifie que même les détenteurs d'un Diploma in Nursing pouvaient postuler. Les seules exigences du pays étaient d'avoir moins de 45 ans et un bon niveau d'anglais pour réussir les examens d'IELTS.

Attrait international pour les comptables mauriciens

Malgré un nombre constant d'offres d'emploi pour les comptables au sein des entreprises mauriciennes, la demande ne faiblit pas d'année en année. En dépit des programmes de formation continue, un phénomène singulier persiste. Quelle est donc la cause de cette situation ? Un expert du domaine suggère que la forte demande internationale pour les comptables mauriciens pourrait être l'explication.

L'atout majeur des comptables mauriciens est leur bilinguisme, ce qui attire particulièrement les entreprises basées au Luxembourg et ailleurs, y compris les îles Caïmans. «De plus, à Maurice, la formation est basée sur l'International Financial Reporting Standards (IFRS). C'est un avantage certain, car toutes les entreprises cotées en Bourse utilisent ce système. Cependant, tous les comptables formés à l'étranger ne bénéficient pas de cette formation», explique l'expert. C'est un facteur supplémentaire qui incite les entreprises internationales à se tourner vers Maurice pour leur recrutement.

Cet expert souligne que ce sont souvent les jeunes professionnels qui choisissent de quitter le pays. D'une part, ils trouvent à l'étranger un meilleur équilibre entre vie personnelle et professionnelle, bien que la charge de travail soit similaire. D'autre part, le désir de voyager joue également un rôle significatif dans leur décision.

L'herbe n'est pas toujours plus verte ailleurs

Sheila Gandhi, établie en Angleterre : «Essentiel de trouver un équilibre entre deux mondes et deux cultures»

Elle est partie au Royaume-Uni à l'âge de 18 ans avec un visa d'étudiant. Après ses études, Sheila Gandhi a trouvé un premier emploi en tant qu'assistante pédagogique dans une école primaire. Après un an de travail, elle a démarré à son compte comme directrice d'une école maternelle, dont elle s'occupe encore aujourd'hui, 19 ans après. Sheila est mariée à John Gandhi, un Anglais originaire de l'île Maurice, et est maman de deux filles, toutes les deux de nationalité britannique.

Cependant, elle avoue que ce n'est pas toujours facile de partir s'installer à l'étranger. «Quitter ma famille et prendre seule des initiatives a été un véritable cassetête. À l'époque, mes parents avaient rencontré des difficultés pour financer mes études en Angleterre, et j'ai par conséquent pris un emploi à temps partiel pour pouvoir gérer les dépenses et payer mes frais universitaires. Je me souviens qu'à l'époque, je n'étais autorisée à travailler que 20 heures», raconte-t-elle. En outre, la saison hivernale du Royaume-Uni, très froide, compliquait l'emploi du temps déjà chargé de la jeune femme, qui devait se débrouiller seule pour concilier son travail et ses études. «Je pleurais en me préparant le matin pour aller à mes cours, car il faisait encore très sombre lorsque je quittais mon domicile et il faisait nuit au moment où je rentrais. Je devais voyager pendant deux heures pour atteindre mon lieu de formation, et après mes classes, je prenais un train pour me rendre directement sur mon lieu de travail, où je restais jusqu'à une heure en pleine nuit froide... Il faut beaucoup de sacrifices et de temps pour s'habituer à la différence de climat», se remémore-t-elle.

Par ailleurs, dit-elle, il est aussi essentiel de toujours essayer de trouver un équilibre entre les deux mondes et les deux cultures. «J'ai élevé mes filles dans le respect de la culture et de la collectivité mauriciennes. À chaque fois que nous en avons l'occasion, nous venons à l'île Maurice pour rendre visite à mes parents, qui nous offrent toujours un sentiment de réconfort.»

Hansraj Sharma Narain, actuaire au Canada :«Dilemmes émotionnels, solitude et dépression»

Dans certaines régions au Canada, telles que Regina, ville capitale de la province de Saskatchewan, l'hiver est très rude, avec des températures pouvant descendre jusqu'à -50 ou même -69 degrés, ce qui rend la vie quotidienne extrêmement difficile. «Venant d'un pays tropical, il est très difficile de s'adapter et de fonctionner, car nous n'avons jamais connu de températures extrêmes», explique Hansraj Sharma Narain, qui réside au Canada. Le trentenaire, qui travaille actuellement comme actuaire à Toronto, ville où le froid est tout aussi extrême, était arrivé au Canada en septembre 2015 pour poursuivre ses études universitaires à Regina. Après avoir obtenu son diplôme, il est revenu brièvement à Maurice, avant de repartir au Canada pour travailler.

C'est un «culture shock» perpétuel parce qu'à Maurice, nous avons une société où nous valorisons les relations familiales, les cercles sociaux et la proximité avec les gens. Par exemple, aller au temple, participer à des fêtes et à des événements, ou vivre avec nos parents et nos frères et soeurs dans la même maison en permanence. Ici, nous perdons ce lien car il s'agit d'une culture individualiste. Les amis deviennent plus proches mais cela ne peut pas remplacer le soutien familial», explique Hansraj. Et comme il faut faire preuve de beaucoup de discipline personnelle pour gérer seul les responsabilités de la maison, telles que la lessive, le ménage, les achats et la cuisine, le tout avec de longues heures de travail, bien qu'un sentiment de maturité soit développé, ce mode de vie a souvent des répercussions sur la santé mentale.

«Au début, nous ressentons une «adrenaline rush» parce que nous sommes dans un monde différent à explorer et qu'il n'y a personne pour nous surveiller. Mais au fur et à mesure qu'elle s'estompe, nous devons faire des compromis sur de nombreux aspects. Quand je repense au passé, mes parents ont vieilli, mes cousins sont maintenant mariés et ont des enfants, certains membres de la famille sont décédés, et je n'étais pas présent à ces moments-là. Ces sacrifices que nous faisons consciemment posent des dilemmes émotionnels et sociaux, conduisant à la solitude, à des problèmes de santé et à la dépression, que nous devons gérer seuls», partage-til, avant d'ajouter : «Ce que cela aide à atteindre, c'est un sentiment de maturité et une perspective du monde ainsi que de notre pays - ce qui est bon, et ce qui doit changer pour le mieux. Mais en travaillant à l'étranger, je me demande toujours si je ne suis pas en train de perdre trop de choses, car le temps perdu avec ma famille ne peut pas revenir. Je suis au Canada pour acquérir suffisamment d'expérience et de connaissances, que je n'obtiendrai peut-être pas à Maurice, mais je reviendrai pour ma famille. Je conseille également aux jeunes de venir à l'étranger et d'apprendre tout ce qu'ils peuvent, mais de le faire dans un délai défini, afin qu'ils puissent rentrer chez eux au lieu de rester pour toujours à l'étranger», observe le jeune actuaire.

Ishfaaq Carrim, chef pâtissier à Dubaï

Ishfaaq Carrim est le Complex Executive Pastry Chef d'une pâtisserie centrale qui fournit trois des plus grands hôtels de luxe, à savoir l'hôtel Westin, l'hôtel W à Dubaï et Le Méridien. En outre, il s'occupe de la pâtisserie pour les banquets, les mariages et les événements de restauration extérieurs. Cependant, vivre à Dubaï comporte son lot de défis. «En 2011, je me suis rendu pour la première fois au Moyen-Orient, et plus précisément au Qatar, afin d'acquérir une expérience internationale dans le domaine de la pâtisserie. Ensuite, je suis parti à Dubaï. C'est un défi d'être seul, nouveau dans un système dont vous ne connaissez pas le fonctionnement, et de s'adapter à une culture très différente : la nourriture est différente, vous devez partager votre logement avec d'autres personnes et garder votre calme à tout moment.»

Avoir un sens d'identité demande également beaucoup d'efforts, témoigne-t-il. «De nombreuses personnes avec lesquelles nous travaillons ne connaissent même pas l'île Maurice et sa géographie, étant donné que nous sommes un très petit pays. Au début, tout le monde a son groupe, et vous non, parce que vous êtes nouveau et que votre culture est différente...» En même temps, Dubaï est un endroit qui dépend fortement des importations, en raison des températures très élevées par temps chaud, d'où l'absence de production alimentaire locale, ce qui pose de nombreuses contraintes dans le domaine de la pâtisserie et dans le secteur de l'hôtellerie. «Il faut beaucoup de patience et de sacrifices pour travailler parfois 12 à 14 heures par jour, dans des conditions strictes et selon des normes internationales.» Le mode de vie, avoue Ishfaaq Carrim, peut également être un «coup de théâtre» pour le simple commun des mortels. «C'est un endroit où tout est très luxueux, tel que nous sommes témoins de tout et que nous en déduisons que rien n'est impossible», confie-t-il.

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