Ile Maurice: Géraldine et Ricardo Ambrose - Quand les grands-parents endossent le rôle des parents par amour

Les parents ayant élevé leurs enfants jusqu'à l'âge adulte aspirent généralement à profiter de leur retraite, tout en choyant régulièrement leurs petits-enfants. Mais il arrive aussi que les circonstances les incitent à endosser le rôle des parents. C'est ce qui arrivé à Géraldine et Ricardo Ambrose. Dès qu'ils ont appris, l'an dernier, que leur fils avait une enfant illégitime vivant dans un shelter de l'État, ils ont tout fait pour la retrouver et obtenir sa garde. C'est chose faite depuis novembre dernier. Voici leur histoire.

On pourrait croire, en voyant la complicité entre Géraldine et Ricardo Ambrose, qu'ils sont mariés depuis très longtemps. Or, ils se connaissent depuis 2010, se sont mariés civilement quatre ans plus tard et religieusement en 2021. En fait, les deux étaient dans des unions précédentes, qui n'ont pas résisté à l'épreuve du temps. Géraldine, 56 ans, ancienne éducatrice au Centre d'Education et de Développement de l'Enfant Mauricien, qui a dû prendre une retraite anticipée en raison du déclenchement d'une épilepsie tardive, était déjà mère de trois enfants, deux garçons et une fille aujourd'hui adultes et en couple. Ricardo, 65 ans, musicien à la retraite, était père d'une fille de 25 ans, qui a été emportée par la maladie. Étant divorcés tous deux et leur ancien partenaire respectif étant décédés, ils ont été mis en contact par une amie commune.

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Géraldine et Ricardo Ambrose ont conversé au téléphone pendant trois jours avant de se rencontrer le quatrième jour. «Entre nous, cela a été un coup de foudre. Le quatrième jour, Géraldine est venue chez moi et elle n'en est jamais repartie», raconte Ricardo Ambrose, qui couve son épouse d'un regard tendre. N'ayant plus d'enfant à aimer, Ricardo Ambrose a traité ceux de son épouse comme les siens, de même que les neuf petits-enfants de cette dernière. «Il voulait même que l'enfant de notre fille, qu'il a baptisé, vienne vivre chez nous pendant quelques années mais ses parents ont refusé. Nos petits enfants viennent régulièrement passer le week-end à la maison mais lorsqu'ils repartent, le vide qu'ils laissent derrière est terrible», explique Géraldine Ambrose.

Les Ambrose jouissaient d'une retraite paisible jusqu'au 31 août 2022. Ce jour-là, Géraldine Ambrose reçoit un coup de fil de sa fille. Celle-ci, bouleversée et en larmes, lui apprend qu'un de ses frères a une fille illégitime de cinq ans, retirée à l'âge de deux ans de la garde de sa mère biologique par la Child Development Unit (CDU) et placée dans un shelter de l'État. Sa fille, qui se promenait avec son frère, le tient de la bouche de la mère biologique qu'ils ont croisée en ville. Cette dernière aurait reproché au père de l'enfant de ne pas s'intéresser à sa gamine.

À ces mots, Géraldine Ambrose tombe des nues. «Je savais qu'avant son mariage, mon fils sortait avec, non pas une mais trois filles à la fois mais il ne m'avait jamais dit qu'il avait fait un enfant à l'une de ses petites amies.» Géraldine Ambrose questionne alors son fils qui lui dit qu'il n'a vécu que quelques mois avec la fille en question et qu'à l'époque où il avait entendu parler de sa grossesse, il s'était enquis pour savoir s'il était le père biologique. Un homme l'avait alors approché pour le détromper et les choses en étaient restées là.

Droit de visite

Géraldine et Ricardo Ambrose prennent aussitôt contact avec la maman biologique pour obtenir un droit de visite de l'enfant nommée Aurora Kiara. La mère biologique exige de rencontrer Géraldine Ambrose seule et le rendez-vous est fixé pour le 16 septembre dernier au Jardin de la Compagnie. Faisant fi de la consigne, Géraldine Ambrose se fait accompagner de son mari. La mère biologique se présente avec trois hommes et lorsque ces derniers voient Ricardo Ambrose, ils s'en vont. «Je pense qu'elle allait essayer de monnayer les visites à sa fille car dans la conversation, elle a laissé échapper que son compagnon actuel lui a demandé : 'Eski to pou donn zot sa zenfant-là, samem tout ?'»

Tous trois se rendent alors au ministère de l'Égalité des Genres pour voir Aurora Kiara. Les Ambrose sont choqués de découvrir une gamine chétive et apeurée, qui les regarde du coin de l'oeil et qui ne parle pas. On leur dit d'ailleurs que l'enfant «pa konn koze». Leur coeur de grands-parents fond. Bien qu'Aurora Kiara présente une légère infirmité au pied, elle n'a pas de fauteuil roulant et il faut constamment la porter. À bientôt cinq ans, elle n'a jamais été à l'école maternelle et porte encore des couches-culottes. Au fur et à mesure que les Ambrose posent des questions, ils apprennent qu'elle n'a été déclarée à l'État civil que l'année précédente, soit à l'âge de quatre ans, ce qui est contraire à la politique du ministère. Pendant les deux heures de visite, ils essaient de l'apprivoiser.

Et lorsque la fonctionnaire de la CDU vient les rencontrer, sans même que l'idée de faire la gamine se prêter à un test de paternité ne les ait effleurés, ils demandent quelles sont les procédures à suivre pour la revoir et obtenir sa garde. «Autant notre fils n'était pas sûr qu'il s'agissait bien de son enfant, autant quand nous l'avons vue, nous n'avons pas mis en doute la parole de sa mère biologique. Et puis, l'idée de lui faire passer un test ADN nous était insupportable. On se disait qu'elle avait déjà suffisamment souffert et nous ne voulions ni l'effaroucher ni la perdre.» Ils enclenchent alors une procédure pour obtenir sa garde. Ils la revoient à deux autres occasions où elle porte toujours la même robe et au cours de l'une de ces visites dans le shelter de Floréal, c'est le jour de l'anniversaire d'Aurora Kiara. Ils lui apportent un gâteau, des bougies, des cadeaux et font une petite fête pour elle. «Elle était sans réaction. Elle ne savait même pas qu'il fallait souffler ses bougies ni couper son gâteau. C'était clair que c'était la première fois qu'on célébrait son anniversaire...» Lors de leur troisième visite, un psychologue délégué par le ministère est présent et lorsque le praticien demande à la gamine si elle veut aller vivre chez papy et mamie, Aurora Kiara hôche la tête.

Ricardo Ambrose transforme son studio de musique en chambre d'enfant et après une visite de leur maison par un fonctionnaire de la CDU, les Ambrose sont convoqués en cour relativement à leur demande de garde d'Aurora Kiara. Et le 18 novembre dernier, ils l'obtiennent. S'ils n'ont pas demandé à leur fils, qui vit non loin de chez eux, de demander la garde de sa fille, c'est parce qu'il s'est marié il y a deux ans et ils estiment que ce serait injuste d'imposer la garde d'une enfant, qui n'est pas la sienne à son épouse. Le jour où Aurora Kiara arrive chez eux, ils ont réuni la famille pour la présenter à tout le monde et lui souhaiter la bienvenue.

L'adaptation de l'enfant chez eux ne se fait pas immédiatement car Aurora Kiara n'a côtoyé que des femmes au shelter. Elle se montre donc méfiante vis-à-vis de Ricardo Ambrose qui, chagriné, encaisse le coup. «Elle me suivait partout comme son ombre», raconte Géraldine Ambrose «et lorsque je devais m'absenter pour une course et la laisser avec Ricardo, c'était un drame». Aurora Kiara finit par s'habituer à la présence de Ricardo Ambrose et même à s'attacher à lui. «Aujourd'hui, elle est plus attachée à lui qu'à moi. Pour tout, c'est papy par-ci, papy par-là.» L'enfant se montre même très possessive parfois, voulant toujours se mettre en eux. «C'est clair qu'elle a besoin d'énormément d'affection.»

Les Ambrose commencent par l'apprentissage à l'utilisation du pot afin qu'elle n'ait plus à porter de couches-culottes et la gamine apprend vite à utiliser les toilettes. Ils lui témoignent aussi leur affection de mille et une manières. À leur contact, elle qui ne connaissait pas l'alphabet, se met à apprendre des mots et à parler. Ils l'ont emmenée à l'hôpital pour faire examiner son pied et ont appris avec stupéfaction qu'il n'y avait qu'un seul dossier à son nom dans le département orthopédique. «Aucun autre bilan de santé ne lui a été fait et au fur et à mesure, nous avons découvert qu'elle avait des problèmes respiratoires et l'épilepsie. Elle est médicalement suivie depuis.»

C'est en allant essayer d'obtenir un fauteuil roulant auprès de l'APRIM qu'ils apprennent de la directrice, Josiane Ah Siong, que cette institution est une école pour enfants à besoins spéciaux et ils l'y inscrivent. Josiane Ah Siong, qui a reçu des fauteuils roulants de Marie Maunick, en offre deux à Aurora Kiara, une pour l'école et l'autre pour le domicile des Ambrose. Ces derniers ont aussi pu lui obtenir un fauteuil roulant classique afin que la gamine puisse se déplacer en autobus.

Progrès prometteurs

Depuis qu'elle est scolarisée en intervention précoce, la gamine s'est développée à la vitesse grand V. «C'est clair qu'au shelter, grand-chose n'avait été fait pour qu'Aurora Kiara fasse des efforts et se développe convenablement», déclare Géraldine Ambrose, qui précise que la gamine aime l'école. «Li pa kapav sans passe so lékol. Si li ti rest shelter, li pa ti pou koze zame», ajoute-t-elle. Josiane Ah Siong est, quant à elle, ravie des progrès d'Aurora Kiara. «En sus de s'être immédiatement intégrée à l'école, elle est très débrouillarde en classe. Elle connaît les couleurs et apprend vite. Nous avions une fonction avec la State Bank of Mauritius et elle a insisté pour participer à une course en fauteuil qu'elle a d'ailleurs remportée. Je sens qu'elle ira loin.»

Aurora Kiara est aussi épanouie à la maison. Chaque matin, elle entre dans la chambre de ses grands-parents et vient les réveiller en faisant du bruit ou en secouant le pied de son grand-père pour qu'il se lève et aille lui préparer son petit déjeuner tandis que sa grand-mère la douche et l'apprête pour l'école. Elle fait montre non seulement de bonnes manières, disant bonjour à toutes les personnes qu'elle croise mais retenant aussi leurs prénoms. Et quand on lui demande comment elle se nomme, elle réplique «Aurora Kiara Ambrose» alors que son patronyme est celui de sa mère biologique. Géraldine Ambrose a éclaté de rire récemment quand en prenant l'autobus avec Aurora Kiara, le receveur a averti les passagers à haute voix que le prochain arrêt serait à Ambrose. «Aurora Kiara a alors crié 'Mo lamem !'»

Où que les Ambrose aillent, ils la présentent comme leur fille. «Pour nous, c'est notre fille. Ricardo et moi nous nous sommes connus et mariés sur le tard et n'avons pas eu d'enfant en commun, à notre grand regret. De plus, Ricardo a perdu sa fille unique et quant à moi, de mes trois enfants, seul le père de Kiara ne m'avait pas encore donné de petits-enfants alors que j'en rêvais. En nous donnant Aurora Kiara, Dieu nous a comblés d'une autre façon», estime Géraldine Ambrose. Elle, Ricardo et Aurora Kiara prient ensemble et préparent d'ailleurs la petite pour qu'elle prenne le baptême en septembre.

Pour Pâques, les Ambrose ont emmené Aurora Kiara à la mer tant elle en parlait. Or, à la vue de l'eau, l'enfant est restée interdite. «On l'a interrogée et elle a avoué n'avoir jamais été à la mer. Elle en parlait car elle avait vu la mer à la télévision au shelter. Elle a été aux anges quand son papy l'a prise dans ses bras et l'a emmenée dans l'eau.» La gamine a eu la même réaction lorsqu'ils l'ont emmenée au jardin d'enfants, signe d'après eux, qu'elle n'y avait jamais mis les pieds auparavant. «C'est maintenant qu'elle commence à raconter ce qu'elle vivait au shelter. Elle a expliqué qu'on ne lui donnait pas de 'grand bebem' mais qu'on la nettoyait avec des lingettes et qu'au shelter, ça criait beaucoup. Kouma dir shelter là enn garaz, nek pran zenfan ek parque zot la.»

Aurora Kiara a parfois des absences que, de par son expérience d'éducatrice, Géraldine Ambrose attribue à une épilepsie légère. Un médecin que Géraldine et Ricardo Ambrose consultent en raison de leur diabète et qui est brut de décoffrage, les a récemment ramenés à une réalité qu'ils avaient totalement occultée. «Zot mem zot dan bez ek zot al pran enn zenfan lor là», leur a-t-il dit sans détour. «Letan linn dir nou sa ki sa finn komans travay nou». Ils réalisent à ce moment-là qu'ils n'ont fait qu'écouter leur coeur alors qu'ils sont loin d'être de première jeunesse, que le temps passe et surtout que leur santé est précaire. Ils se demandent alors ce qu'il adviendra de la petite Aurora Kiara s'il leur arrive malheur. Géraldine Ambrose, qui fait parfois une crise d'épilepsie grave au point de s'évanouir, déclare : «Dieu merci, nous ne sommes pas malades ensemble. » Aurora Kiara, qui a compris que son papy et sa mamie ne jouissent pas d'une bonne santé, demande, tous les matins, à son papy s'il a bien fait son injection d'insuline et à sa mamie si elle a bien pris ses médicaments pour faire baisser son diabète.

Après mûres réflexions, Géraldine et Ricardo Ambrose ont demandé à Josiane Ah Siong et à son époux d'être la marraine et le parrain d'Aurora Kiara et d'être là pour la gamine s'il leur arrivait quelque chose. La directrice de l'APRIM et son époux ont accepté, au grand soulagement des Ambrose. Les yeux d'Aurora Kiara, qui nous a rejoints entretemps, s'illuminent dès qu'elle voit ses grands-parents. Son regard se tourne ensuite vers nous et son visage indique qu'elle est curieuse de connaître notre identité. Elle enregistre l'information. Mais dès qu'elle entend prononcer le mot shelter, elle se rembrunit et se tasse dans son fauteuil roulant. Nous devons alors la rassurer pour lui dire qu'elle n'y retournera pas. Et lorsque nous prenons congé, elle n'hésite pas à nous retourner nos bisous volants. Malgré les inquiétudes des Ambrose quant à leurs moyens limités de retraités et à l'avenir d'Aurora Kiara, Géraldine et Ricardo Ambrose ne retourneraient en arrière pour rien au monde. «Chaque jour, nous découvrons un progrès chez Aurora Kiara. Elle est notre joie de vivre et éclaire notre maison. Si c'était à refaire, nous l'aurions refait de la même manière... »

Silence radio du côté du ministère de l'Égalité des Genres

Dans l'optique d'avoir la version du ministère de l'Égalité des Genres, nous avons téléphoné à l'attaché de presse pour lui parler du cas d'Aurora Kiara et lui préciser notre deadline. Celui-ci nous a donné son adresse mél et nous lui avons envoyé les questions. Celles-ci sont les suivantes :

· Pourquoi Aurora Kiara n'a jamais été envoyée à l'école ?

· A-t-elle été soumise à un bilan de santé global depuis sa prise en charge par le ministère ?

· Pourquoi elle portait encore des couches-culottes à l'âge de cinq ans lorsque ses grands-parents l'ont récupérée ?

· Pourquoi elle a été déclarée à quatre ans alors que le ministère fait la promotion pour éviter la Tardy Declaration of children ?

· Pourquoi, alors que selon les règlements, la CDU est censée rendre des visites bimestrielles à toute famille d'accueil, les grands-parents de la petite n'ont jamais reçu la visite des fonctionnaires de la CDU jusqu'ici ?

Nos questions sont restées sans réponse. Après publication de notre article, le ministère se fendra sans doute d'un communiqué ou la ministre d'une déclaration au Parlement.

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