Cameroun: Usurpation - Un «avocat clandestin» défie le bâtonnier et son équipe à Douala

Malgré plusieurs rejets de son dossier d'admission dans l'ordre des avocats du Cameroun notamment pour défaut de parchemins requis, il exerce impunément cette profession libérale depuis 17 ans. Les autorités judiciaires saisies. Mais le concerné dit exercer en toute légalité.

Sohaing Mein Sylvestre Brazza est un homme téméraire. En 1999, il avait tenté d'obtenir son inscription directe au grand tableau de l'Ordre des avocats du Cameroun. Ce fut un échec cinglant. Le dossier de l'intéressé avait été rejeté par arrêté du conseil de l'ordre en date du 27 novembre de cette année-là. Prétendant bénéficier déjà d'une inscription au barreau du Niger au moment de solliciter son admission au barreau du Cameroun, il n'avait pas pu présenter les documents authentiques justifiant les parchemins revendiqués par lui. L'homme ne se décourageait pas. Revenu à la charge quelques années plus tard, il allait connaître la même sanction. Par un autre arrêté du conseil de l'ordre pris le 25 juin 2005, Me Sohaing Mein était de nouveau recalé aux portes de l'ordre des avocats du Cameroun. Il a donc décidé de s'installer et d'exercer à Douala sans remplir les formalités légales. Depuis quand précisément ? Personne ne le sait. Mais il vient d'être débusqué.

C'est en tout cas ce qui ressort d'un communiqué de presse signé le 14 juin 2023 par le bâtonnier de l'ordre des avocats, Me Mbah Eric Mbah en personne. «En violation flagrante de la loi régissant la profession d'avocat au Cameroun, peut-on y lire, [M.] Sohaing Sylvestre Brazza exerce comme avocat dans l'illégalité totale et est installé dans la ville de Douala». «M. le bâtonnier de l'ordre rappelle que l'accès à la profession d'avocat au Cameroun est strictement encadré par les lois de la République et que le barreau a déposé une plainte pour « exercice illégal de la profession d'avocat, usurpation de fonction et usurpation de titre et aux fins de fermeture d'un office ouvert par [M.] Sohaing Meim Sylvestre Brazza »», poursuit le communiqué, qui met le public en garde contre les agissements que le concerné aurait ou pourrait poser «en utilisant le titre d'avocat qu'il a usurpé».

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Procédure judiciaire

En fait, le bâtonnier en exercice s'est lui-même rendu au «cabinet d'avocat Sohaing Mein», le 6 juin dernier, à la tête d'une délégation qu'il conduisait, pour constater de visu la témérité de celui qui passe pour un intrus dans le corps des avocats. Au 2e étage du célèbre immeuble Kassap à Akwa - Douala, porte 4, Me Mbah Eric Mbah s'est retrouvé nez à nez avec M. Sohaing Mein, qui n'a pas hésité à se présenter comme «avocat au barreau du Cameroun». Le bâtonnier et son équipe, qui souhaitaient prendre connaissance des justificatifs de cette présentation audacieuse de son prétendu confrère, aurait été bruyamment prié de quitter les lieux. Les faits ont été constatés par exploit d'huissier de justice et, aussitôt, le procureur général près la Cour d'appel du Littoral et le procureur de la République près le Tribunal de première instance de Douala - Bonanjo ont été saisis pour la fermeture du cabinet d'avocat insolite et pour l'ouverture d'une procédure judiciaire contre son propriétaire.

Jusqu'à lundi dernier, lorsque Kalara allait sous presse, la plainte du bâtonnier ne semblait pas avoir encore produit les effets escomptés. Les autorités judiciaires sollicitées n'y avaient pas encore donné suite. En revanche, le personnage dénoncé n'a pas hésité à se signaler le 19 juin 2023 par un communiqué, présenté sous le titre d'un «droit de réponse», dans lequel il contredit le bâtonnier. Il déclare en substance être inscrit sur le grand tableau officiel de l'ordre des avocats «sous le numéro 1334», cela depuis 17 ans. Il précise que son inscription est actée dans un «arrêté» pris par le conseil de l'ordre en sa session du 13 mai 2006. Une décision, déclare-t-il, qui aurait été validée par le ministre de la Justice.

Tableau officiel...

Il va plus loin, semant le doute sur le tableau de l'ordre tenu par le secrétaire du conseil, qu'il qualifie d'annuaire téléphonique des avocats. «Le grand tableau officiel de l'ordre des avocats au barreau du Cameroun [...] doit absolument être validé par notre ministre de tutelle, pour éviter toutes manipulations frauduleuses», suggère-t-il, laissant croire qu'il exerce avec l'onction du ministère de la Justice. Le «droit de réponse» de M. Sohaing Mein, à la limite de l'outrance, promet au bâtonnier une déculottée devant les tribunaux, preuve de la témérité renouvelée de celui qui serait un ancien du barreau de Niamey. C'est une sortie qui ne change rien pour les membres du conseil de l'ordre. Tous ceux qui ont été contacté par Kalara continuent de réaffirmer que M. Sohaing n'est pas membre de leur confrérie. Les documents du rejet de son dossier d'inscription sont présentés comme éléments de preuve.

Ce n'est pas la première fois que le barreau se plaint d'être infiltré par des intrus. En octobre 2022, l'ordre des avocats avait réussi à faire condamner M. Siméon Watchou, «expert technique», à six mois de prison ferme pour «exercice illégal de la profession» et «usurpation d'uniforme». Un an plus tôt, c'est une prétendue association dénommée «Cameroon's business & corporation lawers Bar association», qui faisait l'objet d'une plainte du barreau. Un message fax adressé du ministre de l'Administration territoriale adressé à tous les gouverneurs des régions leur demandait de sensibiliser leurs collaborateurs pour éviter de faire délivrer un récépissé de déclaration à ladite association. Il reste maintenant à savoir si M. Sohaing Mein échappera au châtiment judiciaire que le barreau lui souhaite. Affaire à suivre.

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