Ile Maurice: Obituaire I Roger Charoux - Quand ses couleurs faisaient du bruit

On oubliait bien vite l'âge de Roger Charoux. Quatre-vingt-treize ans, baignés de soleil, de plein air et de couleurs. Le pull bleu noué autour des épaules, le bob un peu en arrière, il vous accueillait dans son atelier à Rose-Hill.

Le vendredi 23 juin, Roger Charoux a posé ses crayons. Tout ce qui lui tombait sous la main et qu'il couvrait de croquis. Peintre prolifique, qui travaillait tous les jours, sa production s'est arrêtée cette semaine. Les funérailles de Roger Charoux ont eu lieu hier après-midi.

Dans son atelier, où il aimait s'asseoir près de la porte, subsistaient des traces de son travail d'avant. Celui des paysages tirés au carré. Fruits des sorties du groupe du samedi, où avec Serge Constantin, Yves David, Jocelyn Thomasse et tant d'autres, ils descendaient en ville. Prenant possession du port. Se laissant posséder par des motifs inlassablement remis sur le métier : des bateaux pour voguer vers l'ailleurs - Roger Charoux a eu l'occasion de montrer ses oeuvres à l'étranger. Des ruelles étroites pour marcher vers l'inconnu. Des petits marchés, des maisons créoles en voie de disparition, pour aller à la rencontre des autres.

Le flegme un peu british de Roger Charoux, qui subsiste de ses années de formation à la Central School of Art & Design à Londres, n'était pas une barrière. Car il avait l'humour qui va avec. Et une curiosité renouvelée pour les jeunes artistes. Que Roger Charoux invitait à le tutoyer.

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Pas plus tard que le mois dernier, à 93 ans, il participait à sa dernière exposition collective. La galeriste Charlie d'Hotman, de la galerie d'art contemporain Imaaya, expliquait que c'était Roger Charoux himself qui avait choisi les deux jeunes talents avec qui il s'était associé pour l'expo, c'est-à-dire Evan Sohun et Gaël Froget. Pourquoi c'est deux-là ? Roger Charoux disait simplement : «sur le plan des idées, ils se rapprochent beaucoup de moi». Quel titre avait été choisi pour cette exposition collection ? «Audace». Sans doute parce que Roger Charoux avait eu l'audace d'inviter deux jeunes talents à accrocher leurs oeuvres dans son atelier. Initiative à laquelle peu de créateurs se risquent. Craignant sans doute que cela ne leur fasse de l'ombre sur leur propre terrain.

Appuyé sur sa canne - et au bras de son fils Bernard - Roger Charoux fréquentait les vernissages. A l'heure où beaucoup de grands-pères sont au lit avec une tisane. Le mois dernier, cet artiste disait encore qu'il avait «horreur» du mot retraite. «C'est le retrait. Quand on n'a pas besoin de vous, vous devenez un meuble», expliquait-il. Ce qui le faisait courir ? «J'ai envie de savoir ce que font les jeunes». Et cela l'amusait que les jeunes artistes soient un peu intimidés par ses marques d'intérêt.

Dire que Roger Charoux appartient à «l'école des anciens» c'est sans doute lui faire injure. Ne dire qu'une partie de la vérité. C'est vrai que sa première expo collective remontait à 1947 à la mairie de Curepipe. C'est vrai qu'il avait reçu le Prix du peintre en 1951. Il avait côtoyé Malcolm de Chazal. Un peu comme lui, c'est la simplicité du trait d'un dessin d'enfant qu'il faisait tout pour retrouver. Les dessins d'enfants, Roger les collectionnait presque. Comme des trésors de l'imagination, des merveilles de la création. Un rappel qu'en art, on n'est jamais arrivé à destination. Que l'artiste passe une éternité à chercher, à se chercher. Et qu'il ne tient qu'à lui pour que le voyage soit beau. Partagé par un public.

Roger Charoux situait le début de la création chez lui, vers ses sept ans. Au moment d'une enfance «très heureuse» à la rue Shand à Beau-Bassin. Entre une mère qui avait eu l'intuition qu'il serait peintre. Et un «père qui était contre. Il voulait que je travaille à la banque comme lui». Roger Charoux est devenu architecte d'intérieur. Sans doute une clé pour comprendre la récurrence du motif de la chaise dans son oeuvre. Celle de son grand virage vers l'abstraction.

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