Chacun y va de son commentaire sur le mouvement d'humeur du groupe paramilitaire russe Wagner de vendredi dernier. Révolte, rébellion, coup de bluff ou jeu de marionnettes entre Poutine et Prigojine ?
L'un pour tester la fiabilité et la fidélité de son dispositif de sécurité intérieure ou de sûreté d'Etat ? L'autre pour se décharger d'une nébuleuse, le groupe Wagner, dont les excroissances tentaculaires ont fini par en faire une armée dans l'armée russe, pour ne pas dire un Etat dans l'Etat ? Toutes les hypothèses sont permises.
En tout cas depuis plusieurs mois, la tension entre Prigojine et le commandement de l'armée russe était perceptible à travers des diatribes du premier contre le second pour les difficultés des troupes à engranger des victoires décisives dans la guerre en Ukraine. Mais le commandant en chef du groupe Wagner s'était gardé jusque-là de s'en prendre au maître du Kremlin. Pourtant, c'est ce qu'il a fait vendredi matin en ayant le courage, inattendu, de dénoncer les insuffisances du président Poutine qui compromettent une victoire en Ukraine, et cela pendant que s'accumulent les pertes au front.
Pour Prigojine, c'est à la limite si "l'opération spéciale", nom officiel que donne le gouvernement russe à son intervention militaire en Ukraine, n'avait pas viré au fiasco et qu'il fallait que Poutine paie son échec par une révolution de palais au Kremlin. Il s'est alors résolu à marcher sur Moscou à la tête de 25 mille hommes. Trahison et volonté de déstabilisation des institutions républicaines, lui a répliqué le Tsar rouge, tout en ordonnant des mesures spéciales de sécurité dans la capitale et dans les localités avoisinantes.
Pitrerie théâtrale ou véritable révolte qui a fini en feu de paille par manque de combustible pour alimenter le feu en vraie rébellion ? En tout cas ce mouvement, vite circonscrit, officiellement grâce aux bons offices du président biélorusse, Loukachenko, suscite moult interrogations. Prigojine a-t-il voulu réellement franchir le Rubicon... pardon, la Moskova, et précipiter Poutine sur la roche tarpéienne, ou plutôt l'asphalte de la place Rouge, pour "général incapable" qu'il est ? Y a-t-il un grand malaise dans la grosse machine politico-militaire russe dont la saute d'humeur du commandant du groupe Wagner ne serait que la partie visible ? Pourquoi Prigojine a-t-il si rapidement baissé pavillon ? Attendait-il des relais ou des appuis à sa marche sur Moscou qui ne sont pas venus ? Que va devenir le groupe Wagner, maintenant que son créateur et commandant en chef a été forcé de s'exiler en Biélorussie après les évènements de vendredi dernier ?
En Afrique, du Soudan à Madagascar, en passant par le Mali et la Centrafrique particulièrement, on se doute que bien des oreilles étaient tendues vers Moscou pour suivre les démêlés entre Poutine et Prigojine. Si le monstre a montré des crocs menaçants à Frankenstein, hésitera-t-il à mordre les quidams qui louent ses services ? Du reste, n'a-t-on pas entendu dans un passé récent que des combattants de Wagner ont fait grève au Mali pour non-versement de salaires ? Au demeurant, les résultats de leur présence dans ce pays ne sont pas aussi décisifs qu'on l'espérait. Pire, au Soudan, leur présence a accentué les rivalités entre l'armée régulière et ses supplétifs au point d'avoir conduit à des affrontements très sanglants dont le pays n'est pas encore sorti. Quid de la Centrafrique ? Quid de Madagascar ?
En tout cas, cette « rébellion manquée » est un avertissement sans frais à ceux des pays, institutions ou entreprises, notamment en Afrique, qui ont fait appel, ou songeraient à faire appel à ce groupe de mercenaires, plus près de leurs bourses, que ce soit sous forme de contrats miniers juteux ou d'espèces sonnantes et trébuchantes payées rubis sur ongles, que de l'engagement soutenus dans la guerre contre les groupes armés terroristes.
A bon entendeur...