Tout droit venue de Côte d'Ivoire, Mami Watta enflamme depuis 2019 les scènes françaises avec ses performances de drag-queens et ses looks glamours. Elle est l'une des compétitrices de la très attendue saison 2 de l'émission Drag Race France et s'est entourée d'une communauté LGBT+ « racisée » qui la comprend et la soutient pour enfin trouver, après des années contrainte à enfouir son identité gay, sa place.
Du haut de son mètre 90, le dos droit, la tête haute et avec ses griffes roses de plusieurs centimètres, Mami Watta en impose. Quand elle arrive, avec sa fière allure de mannequin à qui la rue appartient, elle précise tout de suite qu'elle souhaite être genrée au féminin. Elle ne livre pas son nom de garçon. Car ici, c'est Mami Watta qui donne l'interview.
À seulement 24 ans, cette jeune artiste est en passe d'accomplir son rêve : faire pleinement carrière en tant que drag-queen. À partir du 30 juin, les téléspectateurs pourront admirer l'étendue de ses talents de performeuse sur France 2, à l'occasion de la saison 2 de Drag Race France, émission dans laquelle onze drag-queens s'affrontent dans des défis mêlant danse, chant, comédie et mannequinat, pour tenter de décrocher la couronne lors de la finale.
Et, si aujourd'hui, Mami Watta expose ouvertement son art, le chemin pour arriver à exprimer pleinement son identité queer et noire a été long.
Être queer en Côte d'Ivoire
Mami grandit au sein d'une famille très catholique, dans un quartier de la capitale ivoirienne, à Abidjan. À l'école, son entourage pointe du doigt son caractère efféminé, maniéré. « À cause de ça, je me suis fait un peu harceler toute mon enfance », confie-t-elle. Elle découvre le drag grâce à l'émission américaine RuPaul's Drag Race, dont s'inspire le programme français du même nom. « Cet art fusionne tout ce que j'aime faire : chant, danse, théâtre, mannequinat », assure-t-elle.
Au départ, Mami Watta est persuadée d'être hétérosexuelle, s'affiche dans la rue avec sa copine de l'époque, mais se pose de plus en plus de questions. Puis Mami réalise : elle est gay. Le déclic ? Sa rencontre avec la communauté queer d'Abidjan, terme qui regroupe l'ensemble des minorités sexuelles et de genre sortant des modèles dominants. « Quand j'ai commencé à traîner avec ces personnes, j'ai réalisé que c'était ma place. Ça a tout de suite eu du sens dans ma tête. Intérieurement, ça m'a libéré, mais je savais qu'étant en Côte d'Ivoire, ça voulait aussi dire que je devais désormais cacher cette partie de moi-même. »
Alors en première année de licence de droit, en 2018, Mami commence à se maquiller un peu, à sortir avec ses amis ivoiriens LGBT+. « Je courrais pour que personne ne me voie à la maison, ou je mettais des lunettes. J'ai eu droit à beaucoup de remarques de professeurs de la fac ou des étudiants. Mais, malgré les risques, j'avais vraiment besoin d'exprimer ma "queerness" [le fait de dévier des normes de genre, NDLR]. Je me considérais comme un martyr, c'était iconique », plaisante-t-elle. Par chance, ses amis de longue date, même son ancienne copine, la soutiennent et passent de « potes à alliés ».
C'est tout cela, Mami Watta : des pincées d'humour piquant, des jambes interminables, et une confiance en elle arrachée avec les dents. « Pour certains amis queers ivoiriens, c'est fou que je m'expose autant. On n'a vraiment pas l'habitude de dire qu'on est gay, trans, etc. On a peur des répercussions. Tu peux te faire frapper dans la rue pour être queer en Côte d'Ivoire. C'est un truc intériorisé en nous, et s'en défaire, c'est vraiment un chemin », souffle-t-elle. Ce chemin, Mami espère en voir bientôt le bout.
House of LaDurée, ballrooms et drag shows parisiens
En août 2019, Mami Watta débarque en France, à Bordeaux. L'excuse officielle : continuer ses études de droit et obtenir un diplôme français, plus prestigieux. Mais la raison officieuse ? « Un besoin de liberté, d'arrêter de réprimer qui je suis », lâche-t-elle avec force. Sauf que la jeune drag-queen se retrouve seule, sans connaître personne, et décide de poser ses valises à Saint-Denis, en banlieue parisienne.
Très vite, elle remplace son Code civil par une tornade de paillettes, de perruques, de minijupes et de looks sensuels. Guidée par le besoin de retrouver une communauté queer « racisée », elle rejoint la première maison de ballroom français, l'iconique House of LaDurée. Nés dans les années 1920 à New York, les ballrooms sont, à l'origine, des sanctuaires pour les communautés doublement discriminées, les queers afro-américains et latino-américains. À partir des années 1960, ces rassemblements, à l'abri du regard des autres, prennent le contour de concours de danse et de beauté où chaque candidat d'une house défile ou chante en play-back, dans des célébrations de strass, de soie, de froufrous et de couleurs néons.
L'Ivoirienne débute donc sur la scène parisienne, enchaîne les shows en drag-queens et parade fièrement pour sa house lors de compétitions. « Les houses sont organisées comme des familles traditionnelles, pour que toutes les personnes exclues de chez elles en raison de leur orientation sexuelle trouvent un refuge... Et c'est exactement ce que ça m'a apporté : une famille », témoigne-t-elle.
Lors de ces shows, sa « famille » la soutient, l'aide à se préparer, l'acclame quand elle « performe ». C'est avec elle que Mami trouve son esthétique, se construit son style et se façonne sa personnalité. « Dans la ballroom, on peut montrer fièrement qui l'on est. Le but est d'exprimer ce que la société ne te laisse exprimer. C'est là que je me sens la plus forte. La plus accompagnée. La plus puissante. La plus queer. »
Mami Watta, une divinité ivoirienne
Son style de drag ? « Pas très habillé, très africain et très influencé par les plus grands super modèles noires : Naomi Campbell, Grace Jones et, bien sûr, Beyoncé », assène-t-elle. Dès ses débuts, la jeune artiste met un point d'honneur à infuser sa culture ivoirienne dans ses spectacles. À commencer par son nom :
Dans l'Afrique de l'Ouest et en Côte d'Ivoire, Mami Watta est une sirène, une divinité aquatique qui est associée à tout ce qui est péjoratif. Quand un homme est efféminé, quand une fille est trop libérée sexuellement, on dit qu'ils ont l'esprit de Mami Watta, dont il faut se libérer. Toute ma jeunesse, on m'a dit que j'avais cet esprit. Donc, quand j'ai commencé le drag, j'ai voulu assumer, arrêter de m'excuser pour qui j'étais, et me réapproprier ma culture.
Récemment, la drag-queen raconte lors d'un cabaret l'histoire d'Abla Pokou, une reine emblématique du folklore ivoirien. « C'est vital de fusionner mon identité africaine à mon identité queer, parce que ce n'est pas quelque chose qu'on a l'habitude de voir, d'où je viens. » Ce devoir de représentation couplé à l'amour pour le drag, c'est ce qui pousse Mami à tenter sa chance à l'émission Drag Race France. « J'avais envie que des gens qui me ressemblent voient une personne comme eux à la télévision et se disent qu'eux aussi sont capables de le faire. Surtout la communauté queer en Côte d'Ivoire. Si le fait de prendre de la visibilité peut les inspirer, c'est tout ce qui compte pour moi. »
Cet été, comme à son habitude, Mami Watta prévoit de rendre visite à sa famille à Abidjan, dont une partie ignore encore son activité drag et son identité gay. « Plus pour très longtemps ! », sourit-elle. Un « retour à la case départ » où l'Ivoirienne devra dissimuler cette partie d'elle-même, se refaire une garde-robe et mettre au placard crop-tops, perruques et maquillage. « Chaque année, je reviens toujours un peu plus queer, donc je crois qu'ils commencent à s'y faire, ironise-t-elle. Mais, je ne peux pas y aller avec des ongles manucurés, parce que les taxis ne pourront pas me prendre, je ne pourrai pas marcher dans la rue... »
Prochaine étape pour cette reine qui affole les soirées parisiennes : réussir à vivre de ses shows en tant que drag-queen, et l'exporter le plus possible en Côte d'Ivoire. Toujours avec cette volonté d'affirmer qu'il est possible d'être « drag, queer, Noire et fière ».