Afrique: Avis consultatif de la Cour demandant l'abrogation des lois sur le vagabondage

communiqué de presse

La majorité des pays africains¹ dispose, d'une manière ou d'une autre, de « lois sur le vagabondage », c'est-à-dire de lois au titre desquelles les personnes pauvres, sans abri ou sans emploi, ou perçues comme telles, sont considérées comme des criminelles. Il s'agit par exemple de lois contre les « clochards » ou les « vagabonds », définis comme des personnes sans domicile fixe ou moyen de subsistance, de lois contre tout « suspect ou voleur réputé ne disposant pas de moyens de subsistance visibles et ne pouvant justifier de sa situation », ou encore de lois interdisant d'être « oisif et désordonné ».

En 2018, l'Union Panafricaine des Avocats (UPA), une association rassemblant des avocat·e·s de tout le continent, a décidé de saisir la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples pour lui demander son avis concernant la conformité de ces lois avec le droit africain relatif aux droits humains. Le 4 décembre 2020, la Cour a rendu un avis consultatif complet, qui démontre que ces lois, par leur nature et la façon dont elles sont appliquées, violent un grand nombre de droits des personnes qu'elles sanctionnent.

Les juges ont statué que les lois sur le vagabondage érigent en infraction le statut perçu d'un individu et que, parce qu'elles ciblent « les pauvres et les personnes défavorisées, y compris, mais sans s'y limiter, les sans-abri, les handicapés, les personnes ayant des identités sexuelles inhabituelles, les travailleurs du sexe, les vendeurs ambulants », elles renforcent la discrimination à l'égard de personnes déjà vulnérables et marginalisées. Ces lois appliquent aussi aux personnes qu'elles ciblent des termes péjoratifs qui, ainsi que l'ont déclaré les juges, « reflètent une perception dépassée et largement coloniale des individus sans aucun droit » et déshumanisent ces personnes. Rien que pour toutes ces raisons, ces lois sont discriminatoires, violent le droit à la dignité de ces personnes et les privent de leur droit à l'égalité devant la loi².

Les juges ont en outre statué que, dans le cadre de l'application de ces lois, la police peut procéder à des arrestations sans avoir à prouver que les personnes ont commis la moindre infraction. Elles peuvent donc être arrêtées et détenues arbitrairement, ou déplacées de force, uniquement en raison de leur apparence ou de l'endroit où elles se trouvaient. Ceci constitue une violation des droits à la liberté et à la sécurité ainsi que du droit de circuler librement et de la présomption d'innocence³ des personnes qu'elles sanctionnent.

Les juges ont aussi rappelé que, parfois, ces lois entraînent même l'arrestation de mineur·e·s ou leur transfert de force hors de leur zone de résidence, ce qui viole également le droit à une vie de famille et les droits des enfants de ne pas faire l'objet de discrimination et de voir leur intérêt supérieur protégé. Pour conclure, la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples est d'avis que tous les États africains, qui sont tous signataires de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples à l'exception du Maroc, ont obligation de modifier ou d'abroger leurs lois sur le vagabondage. Cet avis pourrait donc avoir d'importantes répercussions sur le continent. En effet, si ces recommandations sont suivies, elles entraîneront une amélioration considérable de la protection des personnes les plus vulnérables dans les rues.

[1] Algérie, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Gambie, Guinée, Madagascar, Malawi, Mali, Maroc, Maurice, Mauritanie, Namibie, Niger, Nigeria, Ouganda, République arabe sahraouie démocratique, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Tchad, Togo, Zambie.

[2]Violation des articles 5, 2 et 3 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, respectivement.

[3]Violation des articles 6, 12 et 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, respectivement.

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