Afrique: Rébellion avortée de Wagner - Quelles suites pour le groupe paramilitaire russe en Afrique?

Dans sa dernière livraison publiée le 31 aout 2021, La Chronique d'Amnesty International cite un journal russe basé à Londres, The Bell, selon lequel l'idée de créer Wagner aurait germé en 2012 dans l'esprit de hauts responsables de l'armée et du renseignement russes. Objectif, mettre sur pieds une armée privée « utilisable pour régler des problèmes par la force ».

Quelles conséquences potentielles suite à la rébellion menée le 24 juin 2023 par Evgueni Prigojine et ses hommes de Wagner contre le Kremlin ? Va-t-on vers une modification de la présence russe en Afrique ? Les événements et l'avenir du leader du groupe paramilitaire auront en tout cas des effets sur le continent où Wagner sert de prolongement aux intérêts de l'État russe. Décryptage.

De Bangui à Bamako en passant par le désert libyen, les mercenaires déployés par Wagner en Afrique doivent être les premiers à s'interroger sur l'avenir de leur patron.

Jusque-là, aucun mouvement particulier n'a été signalé. Les employés du groupe, habitués à travailler en autonomie, poursuivent leurs activités : la sécurité, l'exploitation et l'exfiltration des ressources naturelles, et les manoeuvres informationnelles.

« L'influence russe en Afrique ne va pas baisser pour autant »

Tout dépendra du dénouement de la lutte de pouvoir en Russie et du sort du fondateur de Wagner. Ce que confirme Kelian Sanz-Pascual, analyste en géopolitique au sein du cabinet Cassini conseil, et chargé de recherche au centre Géode, interrogé par François Mazet.

« Il y aura un avant et un après, y compris en Afrique, ne serait-ce que suivant la question de savoir si Evgueni Prigogine va conserver la tête de Wagner ou non, estime celui qui a travaillé sur les actions du groupe paramilitaire sur le continent africain. Et s'il ne conserve pas la tête de Wagner, est-ce que Wagner va continuer à exister en tant que tel ou est-ce que ses personnels seront répartis entre différentes autres structures ? Il n'est pas exclu que les forces de Wagner se retrouvent tôt ou tard au même titre que les autres personnels de sociétés militaires privées sous le giron du ministère de la Défense ».

Kelian Sanz-Pascual poursuit, au sujet de l'actuel ministre : « Je ne doute pas que Sergueï Choïgou et son entourage - ou sans que ce soit lui directement, en tout cas des personnes qui sont alignées plutôt avec les intérêts du ministère de la Défense - souhaiteraient récupérer la direction de Wagner. Mais le ministère de la Défense n'est pas le seul acteur à pouvoir essayer de récupérer ces parts de marché, loin de là. En revanche, il est certain que l'influence russe en Afrique ne va pas baisser pour autant. Elle pourrait simplement prendre une forme différente de ce qu'on a connu jusqu'à présent. »

Le chercheur Thierry Vircoulon, lui, voit quatre scenarios possibles : la reprise totale des activités du groupe par le gouvernement russe ; son remplacement par d'autres compagnies privées proches du ministère de la Défense ; la division des opérations avec la possibilité pour Evgueni Prigojine de garder ses affaires en Afrique, s'il abandonne ses troupes déployées en Ukraine ; enfin, le maintien de la situation en l'état. Cette dernière option est la moins plausible, selon le chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l'Institut français de relations internationales.

Wagner ne peut pas se passer du soutien logistique de l'armée russe dans ses opérations africaines. Mais, en cas de démantèlement, la Russie ne laissera pas le terrain inoccupé : les gains politiques, économiques et diplomatique obtenus cette dernière décennie sont importants pour Moscou.

« Des dirigeants attendent de voir lorsque la poussière sera retombée »

Les pays où le groupe opère sont également dans l'attente. Mais les analystes s'accordent sur le fait que l'image de force et de fiabilité, vendue par Wagner et la Russie, est abimée.

Les dirigeants africains, qui ont recours au groupe, doivent eux aussi s'interroger sur le rapport de force actuel en Russie. Surtout, si le conflit venait à durer, ils pourraient se retrouver face à un conflit de loyauté, souligne Kelian Sanz-Pascual.

« Je pense qu'ils attendent aussi, eux-mêmes, de voir ce qui se passera lorsque la poussière sera retombée, glisse-t-il. Si le gouvernement russe reprend Wagner en main, la question ne se posera plus. Ils pourront continuer à traiter avec cette société sans craindre d'avoir des conflits d'allégeance avec la Russie. En revanche, si Evgueni Prigogine reste à la tête de Wagner, il y aura effectivement une question à se poser entre continuer la collaboration avec cette société-là - tout en sachant que Evgueni Prigogine a défié publiquement Vladimir Poutine - ou bien conserver des liens avec la Russie. Mais, de fait, les personnels russes qui sont déployés en Afrique sont pour un grand nombre d'entre eux, des personnels de Wagner ».

Et l'analyste de conclure : « Donc, cela nécessiterait de revoir complètement le dispositif ou bien d'entrer dans une sorte de zone grise. Il y aurait toujours une collaboration avec les personnels déployés tout en essayant de ne pas offusquer le pouvoir. Donc je doute qu'ils sachent actuellement exactement eux-mêmes ce qu'ils vont pouvoir faire à l'avenir. »

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