Ile Maurice: Frédéric Maillot - «La statue de Mahé de La Bourdonnais, j'aurais été content qu'on l'abatte»

interview

Sans faire de discours, c'est tout en symbole que Frédéric Maillot a représenté la Région Réunion. C'était le samedi 17 juin, lors des commémorations des 50 ans de la déportation des Chagossiens, au centre Charlesia Alexis, à Baie-du-Tombeau. Une délégation réunionnaise de plus de 25 personnes était là. Également député de La Réunion à l'Assemblée nationale française, Frédéric Maillot porte une voix «péi» de la décolonisation forte, souvent virulente.

Vous aimez les phrases-chocs, dont «sek i batay sek i viv».

Les Chagos, c'est la preuve vivante que ceux qui luttent c'est ceux qui vivent.

Pourquoi est-ce important pour vous d'être aux côtés des Chagossiens ?

D'abord, il faut dire comment cette histoire arrive jusqu'à une génération née dans les années 80. 1986, pour moi. C'est par des artistes qui sont les haut-parleurs de l'histoire des opprimés. Pour les Chagos, cela a été Désiré François et le groupe Cassiya, avec la chanson Diego, qu'on écoutait sans écouter.

Écouter sans écouter ?

On l'écoutait parce que ça passait à la radio et des gens dansaient dessus. Désiré François comme Kaya et Danyèl Waro sont des artistes qui jouent un rôle important dans l'éveil des consciences des générations. De la mienne en particulier.

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Quand vous étiez dans le quartier du Chaudron ?

J'y suis toujours. Ce quartier populaire, qui est un peu un village gaulois, a été théâtre de révolte populaire. La lutte contre l'injustice c'est quelque chose qui émane de mon quartier.

C'est dans votre ADN ?

Cela l'est devenu. Quand on connaît l'histoire, on sait que l'on a toujours eu à se battre pour exister, pour dire nou lè domounn dan sa pei-la. C'est une société coloniale qui a classifié domounn enn kote, zanimo et meubles de l'autre.

C'est par la chanson consciente que l'histoire de Diego Garcia arrive à mes oreilles. J'ai appris ce qui est arrivé aux frères Adekalom, aux enfants de la Creuse par Danyèl Waro. L'histoire du pays, je ne l'ai pas apprise à l'école. L'éducation nationale n'a pas vocation à enseigner cela.

C'est une faillite ?

Pour faillir, il faut avoir essayé. Quand on nous apprend l'esclavage, c'est Mahé de La Bourdonnais et Sarda-Garriga (NdlR : Joseph Napoléon Sarda Garriga proclame officiellement l'abolition de l'esclavage à La Réunion le 20 décembre 1848).

Vous êtes content qu'on déplace la statue de Mahé de La Bourdonnais à Saint-Denis ?

Je ne suis pas content qu'on la déplace, j'aurais été content qu'on l'abatte. Mal nommer les choses c'est rajouter du malheur au monde. Déplacer ce n'est pas déboulonner. Moi, je veux un déboulonnage populaire, pas d'un déplacement avec des fonds Feder (NdlR : Fonds européen de développement régional).

En 2011, on était 40 à mettre un drap noir sur Mahé de La Bourdonnais. J'étais le leader de ces 40, avec l'association Reyoné Soubat Kont Profitèr. Si on avait été 400, on l'aurait fait tomber. La violence est accoucheuse d'histoire. Cette violence systémique contre les peuples colonisés est omniprésente quand nos bourreaux sont traités comme des héros. À La Réunion comme à Maurice, où Mahé de La Bourdonnais a joué le même rôle.

Pour revenir aux Chagos, c'est important d'être là parce que ce n'est pas que l'histoire des Chagossiens, c'est l'histoire de l'indianocéanie. Si la Lémurie est un mythe, elle doit devenir un projet politique, culturel. Je vais pousser le bouchon un peu loin, on doit se considérer comme un État fédéral.

C'est votre projet ?

C'est un rêve. Tout grand projet politique commence par un rêve. Penser l'indianocéanie comme un continent en respectant l'excellence de chacun. Le basculement du monde va se jouer dans l'océan Indien.

Dans l'histoire de l'humanité, il n'y a pas de petite ou de grande déportation. Même quand il ne restera qu'un seul esclave, c'est l'humanité qui sera mise à mal. Être présent aux côtés des Chagossiens, du gouvernement mauricien, c'est briser le silence. Les bourreaux tuent deux fois. La seconde fois par le silence et l'oubli.

L'expulsion des Chagossiens n'est pas sans lien avec l'arrivée des migrants sri-lankais sur les côtes réunionnaises. Vous pointez du doigt les Anglais qui ravitaillent ces bateaux qui accostent d'abord à Diego Garcia.

Le droit de la mer dit qu'ils doivent être pris en charge là où ils arrivent en premier. En ravitaillant les bateaux, les Anglais disent : si vous n'avez pas péri durant la traversée du Sri Lanka jusqu'à Diego, je vous aide à repartir vers La Réunion. C'est rajouter du danger au danger.

On a un rapport historique et culturel avec les Sri-Lankais. Gilbert Pounia a écrit une chanson sur Kaya, Alkatraz. Il y dit : «Noir, noir ne sont pas de la même qualité.» Les Noirs à la Réunion - je parle d'une classe sociale - et les Sri-Lankais, ne se considèrent pas comme les mêmes. Je prône un traitement humain, ensuite à chacun de prendre ses responsabilités. Les Chagos ne doivent pas rester l'archipel de l'injustice.

Une loi sur l'immigration est annoncée en France. C'est une nouvelle bataille pour vous ?

Avec un gouvernement comme celui-là - quel que soit le gouvernement - la lutte pour l'égalité sociale est de tout temps. Il y a deux manières de faire bouger les gens : l'intérêt personnel et la peur...

Qu'est-ce qui vous fait bouger ?

(Temps de réflexion) L'émancipation. L'autodétermination.

Vous ne dites pas indépendantiste ?

On met trop de choses dans ce mot. Mon peuple et moi, ne sommes pas prêts. Je n'ai pas été élu pour ça.

Quand on est du parti Pour La Réunion, ce n'est pas le mandat ?

Je préfère parler d'autonomie alimentaire. Quand on ne plante pas ce que l'on mange, on ne peut pas être libre.

A l'Assemblée nationale française, lors de débats sur la vie chère, vous avez martelé qu'à La Réunion, «on crève la bouche ouverte».

Je suis plus un militant qu'un politique.

Même quand on siège au conseil régional et à l'Assemblée nationale française ?

J'espère que le député reste un militant.

On vous qualifie de «militant identitaire».

Identitaire c'est quand on crie qu'on est réunionnais, dans la France.

Vos interventions à l'Assemblée nationale française sont souvent virulentes. C'est nécessaire de crier plus fort que les autres ?

Le rapport dominant-dominé existe toujours. Les postes de responsabilité sont de moins en moins entre les mains des Réunionnais. On n'a que notre parole pour nous battre, pour que notre histoire, notre langue soient reconnues et pas que quelques lignes perdues dans les manuels scolaires. On ne doit plus nous gouverner par décret. Souvent les lois tombent et ensuite, il y a un décret pour les outre-mer. On veut être pensés à l'origine même des lois.

Vous travaillez sur un projet de loi pour que la langue créole à La Réunion ne soit plus seulement une option dans le système scolaire. Maurice a à apprendre de vous ?

Mais vous avez réussi quelque chose. Au-delà des lois, ce sont les gens qui font vivre la langue. J'entends le Premier ministre mauricien s'exprimer en créole. Quand le politique considérera la langue non pas comme une signature au bas d'une charte bilingue mais qu'il pratiquera la langue, que la langue créole deviendra une langue économique, on inversera le pouvoir dominant-dominé. La francophonie est le sourire de la colonisation.

La loi ne se fait pas sans les hommes. Si demain la langue est obligatoire, mais que les parents grognent, la loi va reculer. Les parents ont encore dans leur tête : je ne peux pas inscrire mon enfant à l'école pour faire du créole, parce que ça ne s'apprend pas. Si cela ne s'apprend pas, on est en train de dire que le créole n'est pas une langue, que notre culture n'est pas une culture.

Il y a 400 profs qui ont l'habilitation, mais on ne reconnaît pas les professeurs de créole comme des profs à part entière. Si la langue créole était une langue officielle chez nous, combien de métropolitains n'auraient pas trouvé un poste à La Réunion ? Le créole doit devenir une langue économique, pas qu'une langue culturelle qu'on pratique pour faire rire les gens à la radio ou à la télé.

Je veux que la Région Réunion que je représente mette la main à la poche. Quand on veut sauver la biodiversité ou les entreprises, on met de l'argent. Quand on veut sauver la langue, il faut mettre de l'argent et pas seulement une signature au bas d'une page.

Sur les 577 députés à l'Assemblée nationale française, vous occupez la 577e place. Cela vous gêne ?

Les derniers seront les premiers. Je ne cherche pas à exister à l'Assemblée. Le combat doit d'abord être chez moi, à La Réunion.

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