Obtenir une «carer's allowance» de Rs 3 500 en cas d'assistance aux personnes handicapées n'est pas gagné d'avance. Au contraire, une telle demande peut s'avérer ardue pour les proches face au critère d'évaluation de 60 % d'invalidité des patients.
Sur quelle base se fondent les médecins ? Sont-ils les seuls à pouvoir déterminer l'état et la réalité de ces Mauriciens vulnérables ? Plusieurs organismes s'alignent sur la nécessité d'intégrer des thérapeutes sur le «Medical Board».
«Je n'en reviens pas. Je ne faisais qu'accompagner ma soeur de 23 ans, qui devait passer devant le tribunal médical à la suite du rejet de notre demande de carer's allowance. Elle souffre de déficience intellectuelle et n'est pas autonome que ce soit pour manger ou même prendre son bain. De plus, elle est très souvent malade et requiert une assistance permanente. Mais les médecins m'ont tout bonnement éjecté de la salle. Et ma soeur n'a pas la faculté de comprendre leurs propos», confie Saoud, 45 ans.
Orphelin de père et ayant récemment perdu sa mère, il se démène comme un beau diable pour s'occuper de sa soeur mais c'est très difficile, d'autant plus qu'il travaille de nuit plusieurs fois par semaine. Aussi, il a dû trouver une soignante à temps partiel qui lui coûte Rs 15 000 alors que son salaire n'est que de Rs 25 000. D'où le besoin de cette carer's allowance de Rs 3 500.
Mais voilà, après l'appel de la décision auprès du tribunal médical, Saoud a, de nouveau, essuyé un refus. Pourtant, la loi autorise l'accompagnement d'un proche lors de l'audition. Que s'est-il passé ? Et pourquoi ? Ces questions restent sans réponse. Il s'insurge du fait que toutes ces personnes, se présentant comme des professionnels de la médecine, ne comprennent pas les impératifs des conditions de vie des handicapés.
Isabelle, 52 ans, dont la soeur souffre d'un handicap mental et physique, est tout aussi en colère. «Si elle était alitée, c'est sûr qu'on lui aurait accordé la carer's allowance. C'est comme si lorsqu'un un patient arrive à marcher, il n'a besoin d'aucune assistance. Ces évaluateurs savent-ils que ma soeur se réveille en pleine nuit et est prise de malaise et vomissements continus ? Ou encore que souvent, il faut lâcher son travail ou toute autre responsabilité et courir à l'hôpital ? Ils sont loin de comprendre la réalité d'un handicapé», affirme-t-elle.
Un point renchérit par Ali Jookhun, président de l'association U-Link et de la Down Syndrome Association. «Seuls les évaluateurs médicaux savent comment ils déterminent le degré de handicap d'un patient. Je ne suis pas d'accord avec un tel système. À mon sens, un médecin et un juriste ne peuvent décider de l'éligibilité d'une pension d'invalidité ou d'une carer's allowance.
Depuis plus de 20 ans, je le dis : il faut revoir ce panel médical.» Il évoque également une autre allocation d'invalidité - de Rs 2 500 cette fois-ci - dont les critères d'évaluation de handicap du patient se situent entre 40 % et 59 %. «C'est comme si on évalue la personne en lui étiquetant un prix. Cela ne fait pas de sens. Que cette dernière soit alitée ou dispose d'une mobilité, il faut voir ce qu'elle peut faire ou pas dans la vie quotidienne. Si elle a besoin d'assistance pour la cuisson des repas, le bain, l'hygiène etc., elle mérite une carer's allowance.»
D'après lui, la présence d'occupational therapists est nécessaire sur le comité médical chargé de l'évaluation. Ils seront plus à même de comprendre la profondeur des besoins des patients invalides. Des physiothérapeutes et psychologues doivent être inclus. «Il y a un monde de différence entre une maladie et un handicap. Bien souvent, l'invalidité ne peut être traitée par des médicaments. C'est pour cela qu'il faut réviser la composition du Medical Board.»
S'interrogeant justement sur l'évaluation du handicap des patients, Pooja Gopee, chef de projet d'Inclusion Maurice, soutient que celui-ci se base sur un «modèle médical». Mais il faut comprendre qu'il y a divers types de handicaps, le côté fonctionnel et le degré de difficultés rencontrées par la personne invalide. «Il faut identifier les limites. Ce n'est pas uniquement la partie médicale qui importe pour les patients. Se fonder uniquement sur le modèle médical ne sera pas une évaluation complète puisque l'approche fonctionnelle ainsi que d'autres évaluations sont exclues.»
Pour elle, le coût supplémentaire pour s'acheter les outils pour faciliter l'accès aux services doit être considéré. Elle cite notamment des chaises motorisées pour les handicapés voulant conduire, des tablettes pour des personnes aveugles voulant suivre des cours universitaires entre autres. En cas de déficience intellectuelle, il n'y a pas vraiment d'instruments pédagogiques pour les aider. «S'il y a une support person qui reçoit une carer's allowance pour guider et faciliter la compréhension des personnes qui en souffrent, cela aidera définitivement.»
D'après Pooja Gopee, un médecin peut évaluer l'état médical. Au niveau de la mobilité, entre autres aspects, c'est un physiothérapeute ou un ergothérapeute qui est plus indiqué pour l'évaluation. À Maurice, on se focalise trop sur l'aspect financier des allocations additionnelles. Inversement, il faut prioriser des mesures de protection sociale. «Celles-ci ne sont pas suffisamment fortes», constate-t-elle.
Il faut bien voir la définition et la détermination du handicap pour stabiliser le volet évaluation. En cernant l'invalidité et les limites de la personne, on pourra offrir un service taillé sur mesure et adapté à ces patients vulnérables. «Si, à la base, on ne corrige pas ces lacunes, des inégalités surviendront», ajoute-t-elle.
En chiffres
8 091
C'est le nombre de bénéficiaires de la carer's allowance à août 2022 selon le président de la SSMPU.
Dr Youven Naiken Gopalla Président de la Social Security Medical Practitioners Union: «L'allocation de soignant n'est pas une assistance automatique»
Comment le panel médical de la Sécurité sociale évalue les personnes handicapées pour déterminer leur éligibilité à une «carer's allowance» ?
Cette allocation est destinée à ceux ne pouvant accomplir leurs activités quotidiennes et requièrent l'assistance d'autrui dans les besoins de base. L'évaluation se fait par deux médecins de la sécurité sociale formés. Le pourcentage d'invalidité est calculé selon les critères de la Medical Unit du ministère de la Sécurité sociale et le National Pensions Sixth Schedule (à l'article 8) de la National Pensions Act de 1976. Ceux qui la réclament doivent soumettre un certificat médical précisant leur nécessité d'obtenir cette assistance financière. Et si ces derniers ne peuvent se présenter devant le Medical Board, une provision permet l'évaluation à domicile par des médecins.
Quels handicaps sont concernés ?
La carer's allowance peut être attribuée face à une perte totale de la vue, la perte anatomique ou fonctionnelle des deux mains, une invalidité à 100 % nécessitant l'alitement ou le confinement dans sa chambre ainsi que d'autres conditions médicales. Par exemple, une acuité visuelle réduite à un degré où la personne ne peut se déplacer seule ; le fait que la personne ne puisse prendre son bain, s'habiller, s'asseoir ou bouger sans assistance ; la perte anatomique ou fonctionnelle des deux membres inférieurs ; la perte anatomique ou fonctionnelle totale du membre supérieur passif ou actif et d'un membre inférieur ; l'hémiplégie du côté dominant avec 100 % d'invalidité ainsi que la paraplégie avec incontinence, escarres ou fistules.
Un adulte handicapé est-il autorisé à être accompagné par un proche lors de cette évaluation ainsi que devant le Medical Tribunal en cas d'appel de la décision de rejeter une demande de «carer's allowance» ?
Pour le Medical Board de la Sécurité sociale, la plupart des claimants, indépendamment de leur âge, sont accompagnés d'un proche durant l'évaluation. C'est également le cas pour le tribunal médical. Cette instance est composée d'un Chairman, nommé par l'Attorney General, et deux spécialistes, qui entendent les appels des demandeurs non satisfaits de la décision du Medical Board. L'appel doit être logé dans un délai d'un mois de la date de la réclamation refusée par le National Pensions Officer. Au tribunal médical, les patients doivent apporter leurs certificats médicaux, prescriptions et autres documents d'appui. Ils peuvent aussi être accompagnés par leur médecin traitant.
Dans certains cas, cette assistance leur a été refusée. Pourquoi ?
Il faut savoir que la carer's allowance n'est pas une assistance automatique. Elle est allouée dans des cas où le handicap équivaut ou est supérieur à 60 % et que la personne ne peut accomplir ses activités quotidiennes, nécessitant donc une assistance pour le bain, les toilettes etc. Les médecins pratiquent une due diligence en s'assurant que l'assistance est offerte seulement à ceux qui en ont vraiment besoin.
Très souvent, quand les proches des personnes handicapées demandent un certificat médical à l'hôpital attestant des 60 % de handicap, cela leur est refusé. Pourquoi ?
Ce n'est pas une pratique appropriée pour les médecins du ministère de la Santé. Ils peuvent seulement rapporter les conditions et maladies dont souffrent ces personnes handicapées ainsi que les traitements prodigués. Certains individus essaient de leurrer le système en réclamant 60 % pour obtenir des pensions. C'est le seul moyen par lequel nous pouvons nous assurer que les pensions sont véritablement allouées à ceux qui le méritent.
Plusieurs personnes ayant fait une demande d'aide soutiennent que seuls les handicapés alités obtiennent ces allocations. Qu'en est-il au juste ?
Ce n'est pas vrai. Les demandeurs qui ne peuvent prendre leur bain, s'habiller, s'asseoir ou se déplacer sans assistance etc., sont éligibles à cette allocation. Ceci inclut les personnes alitées ainsi que celles C qui ne sont pas autonomes.