Paris — L'État français a été condamné par le tribunal administratif de Nice pour "atteinte à la liberté d'expression", après avoir fait masquer la vitrine d'une librairie niçoise et les slogans féministes qui y étaient exposés lors d'une visite du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, en décembre 2022, rapportent mardi les médias de l'hexagone.
En décembre dernier, alors que le ministre venait visiter le futur hôtel de police de Nice, des policiers avaient recouvert d'un drap noir la vitrine d'une librairie locale pour dissimuler des slogans tels que "Victimes on vous croit. Violeurs on vous voit" ou "Qui sème l'impunité récolte la colère".
Une affiche sur la vitrine indiquait également "Sophie on te croit", en référence à Sophie Patterson-Spatz, qui accuse de viol depuis 2017 Gérald Darmanin et va se pourvoir en cassation après la confirmation en appel du non-lieu du ministre en janvier, ajoutent les médias.
Dans une décision rendue lundi et relayée par la presse, le juge des référés a estimé qu'en "l'absence de toute menace à l'ordre public", la décision de procéder à l'occultation de la vitrine constituait "une décision illégale d'atteinte à la liberté d'expression de nature à engager la responsabilité de l'État".
Il a ainsi condamné l'État à verser aux requérantes une provision de 1000 euros pour leur préjudice moral et commercial, "somme qui n'est qu'une provision en attendant le jugement sur le fond", a souligné Me Lorraine Questiaux, avocate des plaignantes, citée par la presse.
Le même juge a, dans un jugement distinct, accordé une provision de 1000 euros à l'autrice Hélène Devynck, dont plusieurs éditions de l'ouvrage "Impunité" se trouvaient dans la vitrine.
Il ressort que "le livre de Mme Devynck était particulièrement mis en avant dans la vitrine, que les affiches collées reprenaient le titre ou les thèmes développés dans son ouvrage, +Impunité+, dans lequel elle traite de violences sexistes restées impunies" et qu'elle est fondée à considérer qu'il a été "porté atteinte à sa liberté d'expression", a estimé le juge des référés.
La France fait l'objet, ces derniers mois, de vives critiques, notamment par les organisations de défenses des droits de l'homme pour des restrictions aux libertés et aux droits fondamentaux.
Début mai dernier, la Ligue française des droits de l'homme (LDH) a dénoncé un "tournant autoritaire" en France et un "mépris" de la démocratie parlementaire et sociale, qui s'étend désormais aux droits fondamentaux.
La défense des libertés est devenue le "sujet le plus brûlant de la période" en France, alors que la liberté de manifester est mise en cause par le durcissement des instructions données aux forces de police et de gendarmerie, y compris à l'égard de citoyennes et citoyens non violents, ce qui se traduit par des blessures graves, des mutilations et par une instrumentalisation toxique des forces de police, écrivaient Patrick Baudouin, président de la LDH et ses présidents et présidente d'honneur, dans une tribune collective publiée dans le quotidien Le Monde.
Quelques jours auparavant, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU avait rappelé la France à l'ordre concernant la situation des droits de l'homme dans le pays, pointant notamment des attaques contre les migrants, le profilage racial, des violences policières et un usage excessif de la force par les autorités lors des manifestations.