Afrique Centrale: Travaux publics - Le Cameroun malade de ses marchés

Les marchés publics au Cameroun sont devenus une véritable nébuleuse dans laquelle les parties se rejettent les responsabilités des abandons et des mauvaises exécutions. L'existence d'un code des marchés ne résout pas le problème, qui serait inhérent à l'être humain, à savoir la corruption.

Le ministre délégué auprès du ministre du Plan, de l'économie et de l'aménagement du territoire Paul Tassong, a été interpellé à l'Assemblée nationale le 23 juin 2023 par le député des Bamboutos David Manfouo sur les mauvaises pratiques observées dans la réalisation des projets au Cameroun. Il dénonçait les travaux mal exécutés ou abandonnés et les lenteurs dans les paiements.

Une fois de plus, avec les moyens en sa possession, le député enfonçait là une porte grandement ouverte, le Cameroun étant simplement malade de ses marchés publics. Le 25 juillet 2022, le ministre délégué à la présidence de la République chargé des Marchés publics Ibrahim Talba Malla publiait pour une énième fois, une liste d'une centaine d'entreprises, accusées d'abandon des travaux et sommées de les reprendre dans les 21 jours au risque de voir les contrats résiliés à leurs dépens.

Un an auparavant, 334 entreprises et prestataires des services avaient été suspendues des marchés publics pour une durée de deux ans, pour diverses raisons dont la fin est la non livraison. Concrètement, dans toutes les villes du Cameroun sans exclusive, il y a un marché abandonné, ou livré mais qui s'est dégradé le mois qui suivait. Et chaque année le phénomène est décrié par un ministère ou un autre, mais plus il est décrié plus il prend de l'ampleur. Maladie incurable ou mal diagnostiquée, les avis divergent. Et les acteurs se rejettent les responsabilités.

Les entreprises accusent le donneur d'ordre public d'être incapable de payer, ce dernier rétorque souvent que les avances de démarrage sont payées mais le marché ne démarre jamais. D'années en années c'est le même Ping Pong, au grand dam des populations dont les conditions de vie sont dégradées parfois à cause d'une route creusée en principe pour la rénovation, mais abandonnée par la suite. Les riverains doivent alors subir la poussière en saison sèche ou patiner dans la boue lors des pluies, alors que les usagers de la route suffoquent dans l'embouteillage qui n'existait pas avant le début-fin des travaux.

En juillet 2019, l'Agence de régulation des marchés publics (ARMP), confiant au journal économique en ligne investir au Cameroun que l'abandon des chantiers peut s'expliquer par le phénomène de corruption et l'attribution biaisée des marchés. «Il a été démontré que le secteur des marchés publics, partout dans le monde et au Cameroun en particulier, est un domaine très exposé à la corruption. Cette activité faisant courir beaucoup de personnes qui à tort ou à raison pensent venir y faire fortune, c'est ainsi qu'on y retrouve beaucoup d'aventuriers n'ayant aucune expérience en la matière entraînant par ce fait la mauvaise exécution ayant pour conséquence les chantiers abandonnés.»

Chaque hiérarchie use donc de son pouvoir discrétionnaire, détermine à son niveau le degré de moralité de son agent en fonction de sa propre moralité, et évalue en même temps le niveau de maîtrise des textes des marchés publics par un de ses agents avant de le nommer dans la commission. Laquelle peut finalement se retrouver composée des membres qui ont des objectifs différents, des visions différentes en fonction de leurs ministères d'origine, des compétences différentes, des niveaux de compréhension variables, des rapports avec l'argent déterminés par les besoins et la hauteur d'esprit. La graine qui fait pourrir le fruit ne se trouverait-elle pas à ce niveau ?

Acteurs complices

L'ARMP parlent ici d'aventuriers qui se retrouvent dans le marché public, et c'est là tout le problème : comment font-ils pour se retrouver là ? Le décret 2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des marchés publics a pourtant tout prévu pour que cela n'arrive pas, en instaurant à tous les niveaux des barrières infranchissables par toute entreprise qui hésite encore.

L'ouverture des appels d'offres, le choix de l'entreprise adjudicataire, le contrôle de l'exécution du marché, la réception, toutes ces étapes sont conduites par des commissions composées de représentants de plusieurs ministères, y compris l'Agence de régulation des marchés publics qui intervient à tout moment. Si un aventurier se retrouve au bout de la chaine en train de gagner le marché pour ne pas l'exécuter ou l'abandonner, cela veut dire que toutes ces commissions ne seraient composées que d'autres aventuriers, tous parleraient le même langage et se comprendraient , celui de la corruption et des retro commissions.

Une piste de compréhension peut se trouver à ce niveau : comment devient-on membre d'une commission ? Le décret indique que chaque représentant est désigné pas sa hiérarchie, sans indiquer les critères qui doivent guider le choix. Tout au plus il précise à l'article 15 que le président et les membres de la commission de passation des marchés sont choisis parmi « les personnalités jouissant d'une bonne moralité et maîtrisant la réglementation des marchés publics ».

Chaque hiérarchie use donc de son pouvoir discrétionnaire, détermine à son niveau le degré de moralité de son agent en fonction de sa propre moralité, et évalue en même temps le niveau de maîtrise des textes des marchés publics par un de ses agents avant de le nommer dans la commission. Laquelle peut finalement se retrouver composée des membres qui ont des objectifs différents, des visions différentes en fonction de leurs ministères d'origine, des compétences différentes, des niveaux de compréhension variables, des rapports avec l'argent déterminés par les besoins et la hauteur d'esprit. La graine qui fait pourrir le fruit ne se trouverait-elle pas à ce niveau ? La question mérite d'être creusée, surtout que les mesures de suspension des entreprises indélicates prises depuis des années n'ont pas permis de résoudre le problème des chantiers abandonnés et des marchés mal exécutés.

L'article 60 du code des marchés publics dispose également à son alinéa 2 : « le maître d'ouvrage ou le maître d'ouvrage délégué est tenu de s'assurer de la disponibilité du financement avant le lancement de la consultation. Il s'agit d'attester selon le cas de l'inscription budgétaire, de l'effectivité de l'autorisation de dépense, de l'entrée en vigueur de l'accord de financement. » D'où vient-il aussi que l'on se retrouve dans des situations décriées par le député Manfouo David à l'Assemblée nationale, à savoir le retard de paiement des travaux, alors que l'argent du financement est supposé être en sécurité avant le lancement de l'appel d'offres ?

Devant les députés, le ministre Paul Tasong n'a pas manqué d'explications, sans rien de nouveau, mais n'est-il pas temps que l'on arrête d'expliquer les choses, étant entendu que dans un système de management axé sur l'atteinte des résultats, aucune explication n'est admise ? Plus les années passent, plus on explique, plus les chantiers sont abandonnés ou mal exécutés, et plus le pays devient malade...de ses travaux publics.

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