Les autorités devraient exiger le respect des droits humains lors d'opérations anti-insurrection et garantir l'obligation de rendre des comptes pour tout abus
- Les forces armées du Burkina Faso ont exécuté sommairement au moins 9 hommes et en ont fait disparaître de force et probablement tué 18 autres, lors de trois incidents survenus depuis février 2023 dans la province de Séno.
- Ces exécutions et disparitions provoquées par l'armée du Burkina Faso constituent des crimes de guerre et alimentent, parmi les populations ciblées, un ressentiment qui favorise le recrutement de certains membres par des groupes armés.
- Le Burkina Faso devrait s'assurer que des prévôts des forces armées, qui sont responsables de la discipline et de la protection des droits des détenus, soient présents lors de toutes les opérations militaires.
(Nairobi) - Les forces armées du Burkina Faso ont exécuté sommairement au moins 9 hommes et en ont fait disparaître de force et probablement tué 18 autres, lors de trois incidents survenus depuis février 2023 dans la province de Séno, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Lors d'un de ces incidents, les militaires ont sévèrement battu huit enfants âgés de 6 à 16 ans.
L'armée aurait commis ces abus lors d'opérations anti-insurrectionnelles menées contre des groupes armés islamistes liés à Al-Qaïda et à l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), qui ont pénétré dans le pays en provenance du Mali voisin en 2016. Ce conflit armé a causé la mort de près de 7 900 personnes depuis 2021 et contraint plus de 2 millions de personnes à fuir leurs domiciles. En avril, les autorités militaires de transition du Burkina Faso ont annoncé une « mobilisation générale » dans le cadre d'un plan de reconquête des territoires saisis par les groupes armés, qui contrôlent probablement jusqu'à 40 % du territoire du pays. Ce décret vise à donner un « un cadre juridique, légal à l'ensemble des actions à mettre en oeuvre pour faire face à la situation que vit le Burkina Faso ».
« Non seulement les exécutions et disparitions forcées commises par l'armée du Burkina Faso constituent des crimes de guerre, mais elles alimentent, parmi les populations ciblées, un ressentiment qui favorise le recrutement de certains de leurs membres par les groupes armés », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les autorités du Burkina Faso devraient enraciner dans leur stratégie anti-insurrectionnelle la protection des civils, le respect des droits humains et l'établissement des responsabilités pour les abus commis ».
De février à mai, Human Rights Watch s'est entretenu en personne et par téléphone avec 30 personnes ayant eu connaissance de quatre incidents. Il s'agissait de 8 témoins d'abus, 11 membres des familles de victimes, 6 membres d'organisations de la société civile burkinabè et 5 représentants d'organisations internationales. Le 14 juin, Human Rights Watch a envoyé des lettres aux ministres burkinabè de la Justice et de la Défense, leur communiquant ses conclusions au sujet des abus présumés et demandant des réponses à des questions précises, mais n'a pas reçu de réponse.
Le 20 avril, les militaires sont réputés avoir exécuté sommairement au moins 156 civils, dont 28 femmes et 45 enfants, dans le village de Karma, dans la province de Yatenga, dans l'un des pires massacres commis au Burkina Faso depuis 2015.
Le 3 avril près du village de Gangaol, dans la province de Séno, des militaires ont arrêté 10 hommes de l'ethnie peule et les ont fait monter dans des véhicules militaires. Ils ont été emmenés à plusieurs kilomètres de là et sortis des véhicules, ont affirmé des témoins à Human Rights Watch. « Ils nous ont poussés hors de leurs véhicules militaires et ont commencé à tirer sur nous », a déclaré un homme d'ethnie peule âgé de 40 ans. Il est persuadé que les militaires ont fait cela « parce qu'ils pensent que tous les Peuls sont complices des combattants islamistes ».
Toutes les personnes prétendument arrêtées, torturées et tuées par l'armée burkinabè lors des incidents documentés par Human Rights Watch étaient des hommes appartenant à la communauté ethnique pastorale peule. Les groupes armés islamistes au Burkina Faso ont axé leurs efforts de recrutement sur les communautés peul en exploitant les doléances locales relatives à la pauvreté et à la corruption dans le secteur public.
En octobre 2022, les autorités militaires de transition du Burkina Faso ont ouvert une campagne pour recruter 50 000 Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Ces VDP sont des supplétifs civils renforçant les forces de sécurité dans leurs opérations anti-insurrectionnelles. Le 30 mai, le Premier ministre, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla, a annoncé que ce niveau initial avait été atteint et que le nombre des volontaires « est appelé à croître, [afin] d'assurer la sécurité même dans les coins les plus reculés du pays ».
Un décret de mars 2020 stipule que les membres de ces groupes supplétifs peuvent porter des armes et doivent suivre une période de formation de 14 jours portant principalement « sur les règles d'engagement, la discipline et le respect des droits humains ».
Le 15 février, des militaires accompagnés de certains de ces miliciens sont entrés dans le village d'Ékéou dans la province de Séno et ont arrêté au moins neuf hommes. « Les militaires sont venus avec de nombreux VDP du village de Falagountou », a déclaré un homme âgé de 70 ans dont le fils, adulte et atteint d'un handicap visuel, était parmi les personnes arrêtées. « Je suis allé à la base des VDP [à Falagountou] pour chercher des informations au sujet de mon fils et les VDP ont répondu en me menaçant de mort ». Le cadavre de son fils a été retrouvé le 26 mai, avec ceux d'au moins huit des autres hommes qui avaient été arrêtés à Ékéou.
Human Rights Watch a précédemment documenté de graves abus commis par les forces de sécurité burkinabè et les milices pro-gouvernementales, notamment des meurtres et des disparitions forcées lors d'opérations anti-insurrectionnelles.
Les groupes islamistes armés ont également commis de graves abus, notamment des exécutions sommaires, des enlèvements, des viols et d'autres violences sexuelles, des actes de pillage et des attaques contre le secteur de l'éducation.
S'adressant le 7 mars à la 52ème session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, Volker Türk, le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, a exprimé son inquiétude au sujet du fait que les opérations militaires au Burkina Faso « font de plus en plus de victimes parmi les civils ». Il a « exhorté les autorités à écouter les revendications de la population relatives à toute forme d'impunité » et à enquêter sur les allégations de violations des droits humains.
Les combats entre le gouvernement du Burkina Faso et les groupes islamistes armés se rangent dans la catégorie des conflits armés non internationaux au regard des lois de la guerre. Le droit international applicable inclut l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et les lois ordinaires de la guerre, qui s'appliquent aussi bien à des groupes armés non étatiques qu'à des forces armées nationales. L'Article 3 commun interdit en toutes circonstances des actes comme le meurtre, les traitements cruels, humiliants et dégradants, ainsi que la torture, de quiconque est prisonnier. Les violations graves des lois de la guerre commises par des individus avec une intention criminelle constituent des crimes de guerre.
Le Burkina Faso est un État partie au Statut de Rome fondateur de la Cour pénale internationale (CPI), qui donne à cette Cour compétence pour juger les personnes accusées des crimes internationaux les plus graves.
Le 16 février, le parlement de transition du Burkina Faso a adopté une loi visant à renforcer le rôle des prévôts, qui sont responsables de la discipline au sein des forces armées. Cette nouvelle loi, si elle est pleinement appliquée, protègera mieux les droits des prisonniers lors des opérations militaires et dans les camps de prisonniers, a déclaré Human Rights Watch.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, qui a une présence au Burkina Faso depuis décembre 2019, devrait remplir son mandat consistant à surveiller et signaler les violations des droits humains, et apporter un soutien technique et consultatif au gouvernement burkinabè.
« Les autorités de transition du Burkina Faso devraient solliciter l'assistance du Haut-commissariat de l'ONU aux droits de l'homme pour s'assurer que les personnels des forces de sécurité et les miliciens responsables de graves abus soient amenés à rendre des comptes, et que les victimes et leurs familles reçoivent justice et soient indemnisées », a affirmé Carine Kaneza Nantulya. « Les autorités devraient également faire en sorte que des prévôts, qui ont pour mandat de protéger les droits des prisonniers, soient toujours inclus dans les opérations anti-insurrectionnelles ».
Récits détaillés des abus et autres informations détaillées
Les noms des personnes interrogées ont été omis pour leur protection.
Gangaol, province de Séno, 3 avril
Le 3 avril, un convoi de ravitaillement se dirigeant vers la ville de Dori, escorté par un grand nombre de véhicules militaires comprenant des motos et des engins blindés, s'est arrêté dans le village de Gangaol et a déposé des soldats aux environs du marché. Les militaires ont interrogé des gens, demandant de voir leurs cartes d'identité, puis ont fait irruption dans une maison d'où ils ont fait sortir 10 hommes. Ils les ont passés à tabac et, plus tard, ont sommairement exécuté six d'entre eux. Human Rights Watch s'est entretenu avec quatre personnes, dont une femme qui a été témoin des passages à tabac, un homme qui a survécu à l'attaque et deux proches de victimes.
Gangaol est situé dans une région où il est avéré que le groupe islamiste Jama'at Nasr al-Islam wal Muslimin (Groupe de soutien de l'Islam et des musulmans, JNIM), affilié à Al-Qaïda, et l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) recrutent des jeunes, effectuent des incursions et érigent des postes de contrôle.
Une femme de 58 ans, qui vend de l'eau et du yaourt au marché de Gangaol, a déclaré que les groupes islamistes armés « passent régulièrement par Gangaol, où ils font des achats au marché ». Quelques jours avant l'incident, « ils sont venus en masse à Gangaol » pour enlever un jeune homme appartenant à une faction rivale. Cependant, a ajouté cette femme, le 3 avril, « il n'y avait pas d'hommes armés [de combattants islamistes] aux alentours » et « il n'y a pas eu de confrontation entre les militaires et les hommes armés ».
Cette femme a ainsi décrit les événements du 3 avril :
Il était environ 15 h 30, j'étais dans la cour où je me préparais pour la prière quand j'ai vu arriver un groupe de militaires. Ils portaient des uniformes de couleur sable de l'armée burkinabè et des casques, et étaient lourdement armés. Ils sont entrés de force dans une maison et ont fait sortir 10 hommes qu'ils ont commencé à frapper. Un militaire, qui maniait son arme frénétiquement, m'a demandé si je connaissais ces hommes. J'ai répondu « oui » et j'ai même indiqué les villages d'où ils étaient originaires et leurs professions. Mais le soldat a répondu : 'Tu mens.' Puis, ils [les militaires] les ont emmenés à bord de leurs véhicules.
Un survivant de cette attaque, un marchand de bétail âgé de 40 ans, a déclaré :
J'étais avec neuf amis dans cette maison où nous avions l'habitude de nous reposer et de prier. Nous venions de finir nos prières quand, soudain, un militaire est entré de force et nous a ordonné de sortir.... Dans la cour, nous avons vu de nombreux militaires burkinabè. Ils pointaient leurs armes sur nous. Certains ont ramassé des morceaux de bois dans la cour et ont commencé à nous frapper avec. J'ai été frappé si fort que ma main droite était enflée.
Cet homme a ajouté que les militaires l'ont arrêté, en compagnie des neuf autres hommes, et les ont fait monter dans deux « véhicules pickups gris » qui ont pris la route de Dori. « Nous avons roulé pendant sept à huit kilomètres. J'étais au fond du pickup avec deux soldats qui me parlaient en mooré [une langue répandue au Burkina Faso], mais je ne comprenais pas ce qu'ils disaient ».
Quand les véhicules se sont arrêtés, a ajouté ce survivant, les militaires ont poussé les 10 hommes hors des véhicules, ont tiré sur l'un d'eux presque à bout portant, puis sur les autres, qui se sont mis à courir, en tuant encore cinq. Quatre hommes ont survécu, dont deux ont été gravement blessés. Ce survivant a déclaré :
Les militaires ont ouvert le feu et je me suis enfui. J'ai vu les autres tomber au sol, mais j'ai continué de courir vite jusqu'à ce que j'atteigne un bosquet. ... J'ai escaladé une colline et là, j'ai retrouvé un de mes amis qui avait été blessé dans le dos. Je lui ai dit de se cacher près d'une ravine et d'attendre. ... Puis, je suis allé à pied jusqu'à mon village.
Le frère d'une des victimes, qui a vu les corps des six hommes tués et a aidé à les enterrer, a déclaré :
L'un d'eux, son ventre avait explosé. Un autre avait reçu une balle qui lui avait transpercé la poitrine de part en part. Il y en avait un autre qui avait reçu des balles dans le dos. Et puis deux autres qui avaient été touchés à la tête et au cou. Nous les avons enterrés dans trois tombes, deux par deux, avec l'aide de gens du village voisin du lieu où l'incident s'est produit.
Le survivant et les deux personnes proches de victimes ont fourni des détails permettant d'identifier les six hommes tués, qui étaient tous d'ethnie peule, et âgés de 22 à 56 ans. Ils ont indiqué qu'ils n'avaient pas porté plainte auprès de la police ou de la gendarmerie, par crainte de représailles.
Ouro Hesso, province de Séno, 29 mars
Le 29 mars, des militaires ont tué un homme de 47 ans et deux enfants, âgés de 13 et 14 ans, à Ouro Hesso, un secteur du village de Gangaol. Human Rights Watch s'est entretenu avec trois membres des familles des victimes qui ont vu les corps et les ont enterrés le même jour. Ils ont affirmé que les militaires responsables de ces meurtres faisaient partie d'un grand convoi militaire qui se dirigeait vers Kaya. « Il y avait des véhicules pickup, des engins blindés, des chars et des motos », a indiqué la soeur de l'homme tué, « les soldats qui étaient à moto ont quitté la route principale, sont descendus vers les champs [où se trouvaient les victimes] et les ont tués ».
Aucun des trois membres des familles des victimes n'a été témoin des meurtres, mais ils sont convaincus que les militaires les ont tuées. L'oncle de l'homme tué a déclaré :
J'étais en train de discuter avec [cet homme] en attendant un véhicule pour m'emmener à Dori. Vers 8h00 du matin, le véhicule est arrivé et j'ai quitté [l'homme] qui m'a dit qu'il allait aux champs pour traire ses vaches. Moins de 10 minutes plus tard, j'ai croisé le convoi militaire. Quand je suis arrivé à Dori, des villageois m'ont appelé pour m'informer de ce qu'il s'était passé, je suis retourné à Ouro Hesso et j'ai vu les trois corps. [L'homme] avait été abattu dans le dos, son dos était criblé de balles. [Les garçons] avaient reçu des balles partout sauf dans la tête.
Les membres des familles des victimes ont enterré les cadavres le même jour « dans trois tombes différentes, dans le champ [de l'homme] ». Ils ont dit qu'ils ne trouvaient aucune raison pour expliquer ces meurtres. « La seule raison, c'est la haine », a dit le père d'un des garçons.
L'oncle de l'homme tué a déclaré que le 30 mars, il s'est rendu au poste de gendarmerie à Dori pour signaler l'incident. « Les gendarmes ont pris note de ma déclaration et ont dit qu'ils allaient suivre cette affaire », a-t-il dit. Mais, début juin, il n'avait toujours pas reçu la moindre information.
Ékéou, province de Séno, 15 février
Le 15 février, de nombreux militaires burkinabè, accompagnés des VDP lors d'une opération anti-insurrection, ont arrêté 16 hommes dans le village d'Ékéou, puis se sont dirigés vers Goulgountou, un autre village proche, où ils ont arrêté 2 autres hommes. Les dépouilles d'au moins 9 des hommes arrêtés ont été retrouvées le 26 mai près de la base des VDP à Falagountou.
Les militaires ont aussi sévèrement passé à tabac les hommes arrêtés à Ékéou, en même temps que huit enfants âgés de 6 à 16 ans dans le même village.
Ékéou est situé dans une zone où les combattants de l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) sont réputés opérer et mener des attaques.
Human Rights Watch s'est entretenu avec six personnes, dont trois qui ont été témoins des passages à tabac et des arrestations à Ékéou, une qui a assisté aux arrestations à Goulgountou et deux membres des familles de deux des personnes arrêtées à Ékéou.
Les témoins ont affirmé que les militaires et les miliciens, qui faisaient partie d'un gros convoi composé de motos, de véhicules pickup et de véhicules blindés, sont arrivés à Ékéou vers 9h00 du matin. « Il y avait beaucoup de VDP avec eux », a déclaré un habitant d'Ékéou. « Ils étaient presque tous de Falagountou, mais il y en avait au moins un qui était de notre village, car je l'ai reconnu ».
Un homme de 70 ans, dont le fils de 34 ans presque aveugle a été arrêté, a déclaré :
Ils [les militaires] portaient d'uniformes de couleur sable de l'armée burkinabè et portaient des masques et des casques. Ils interpellaient les gens dans les rues, les fouillaient et demandaient à voir leurs cartes d'identité. ... Quand ils m'ont stoppé, ils m'ont ordonné de lever les mains en l'air, m'ont fouillé, puis m'ont dit de courir. J'ai dit que je ne pouvais pas courir à cause de mon âge, alors l'un d'eux m'a emmené sur sa moto au forage [un puits étroit]. Là, j'ai vu huit enfants allongés sur le sol qui avaient l'air d'être morts. Ils avaient été battus par les soldats. Puis les militaires ont passé à tabac quatre hommes, dont mon fils, leur ont bandé les yeux et les ont emmenés dans leurs véhicules. ... Mon fils est pratiquement aveugle, il avait subi une opération à l'oeil gauche 49 jours avant cet incident et ce jour-là, il devait être opéré de l'autre oeil.
Un berger de 64 ans, qui a été témoin des passages à tabac des enfants à Ékéou, a déclaré :
J'étais au forage, pour faire boire mes animaux. Il y avait d'autres hommes et huit enfants qui m'aidaient à actionner la pompe à eau car je ne vois pas bien. Les militaires sont arrivés avec de nombreux véhicules et des motos. Ils se sont arrêtés et nous ont séparés en trois groupes : ceux qui avaient leur carte d'identité, ceux qui ne l'avaient pas, et les enfants. Ils ont ordonné aux enfants de lever les mains et ont commencé à les battre violemment avec des morceaux de bois, ils les ont frappés si fort que certains bâtons se sont brisés. Un des enfants s'est enfui et est venu vers moi. Un soldat l'a poursuivi et l'a frappé plusieurs fois à coups de bâton sur la tête, si bien que l'enfant a commencé à saigner abondamment de la tempe. Puis les militaires ont battu quatre hommes, leur ont couvert les yeux avec leurs vêtements et les ont arrêtés.
Un autre homme a déclaré que les militaires l'avaient menacé et avaient brutalisé un homme malade :
Quand les soldats et les VDP sont arrivés, j'étais dans ma cour. Ils ont pointé leurs fusils sur moi et m'ont ordonné de m'asseoir dans un coin. Puis ils m'ont demandé s'il y avait des hommes armés à Ékéou. J'ai répondu « non » et ils ont dit que je ne devrais pas mentir car, autrement, ils m'arrêteraient. ... Puis ils sont entrés de force dans la maison voisine et ont fait sortir un homme qui a un handicap physique. Cet homme était atteint d'une hémiplégie depuis près de deux ans et il est mort deux jours après l'opération militaire. Les soldats l'ont tiré de son lit, ainsi que son fils qui l'aidait. Ils ont bandé les yeux du fils et laissé l'homme handicapé dans la cour. Puis ils ont emmené le fils dans un de leurs véhicules et m'ont ordonné de ne pas bouger.
Des proches et d'autres habitants d'Ékéou ont fourni des détails permettant d'identifier les 18 hommes arrêtés : tous, sauf un, étaient d'ethnie peule et l'exception était un Touareg, et tous ces hommes avaient entre 30 et 65 ans. Les personnes interrogées ont également indiqué que deux jours après l'opération militaire, quatre hommes plus âgés du village d'Ékéou se sont rendus à Falagountou, où se trouve un camp de VDP, pour avoir des nouvelles de leurs proches et des autres hommes arrêtés, mais les VDP les ont menacés. L'un de ces quatre hommes a dit :
Lorsque nous approchions de Falagountou, nous avons été interceptés par les VDP, qui nous ont menacés de mort et nous ont emmenés au camp pour voir leur chef. Ils nous ont questionnés sur nos intentions et nous avons expliqué que nous voulions avoir des nouvelles de nos fils et de nos frères qui avaient été arrêtés deux jours plus tôt. Ils ne nous ont donné aucune information. Puis l'un d'eux a tiré en l'air et nous avons tous eu peur. ... Nous sommes repartis sans avoir accompli quoi que ce soit.
Des proches des victimes ont déclaré que lors des semaines suivant les arrestations, ils ont également cherché à obtenir des informations auprès de la gendarmerie de Dori, du procureur du Tribunal de Dori, du bureau régional des droits de l'homme à Dori et du gouverneur de la région du Sahel, mais qu'ils n'avaient obtenu aucune information de ces autorités.
Le 26 mai, un berger d'Ékéou a découvert les restes de 17 personnes près de la base des VDP à Falagountou. Il a informé les proches des personnes arrêtées à Ékéou le 15 février. Des proches ont identifié 9 cadavres comme étant ceux de membres du groupe de 18 hommes arrêtés à Ékéou et à Goulgountou. Les autres corps étaient dans un état de décomposition avancée et n'ont pas pu être identifiés, ont indiqué des proches. Cependant, ils pensent qu'il s'agit bien des corps des autres personnes arrêtées à Ékéou le 15 février.
Des membres des familles ont déclaré que du 29 au 31 mai, ils ont signalé la découverte des corps au procureur du Tribunal de Dori, ainsi qu'à la gendarmerie de Dori et qu'ils ont « reçu l'autorisation » de les enterrer le 5 juin.
Province de Zoundwéogo, janvier
Human Rights Watch s'est entretenu avec deux membres des familles de deux frères d'ethnie peule qui ont été arrêtés fin janvier dans la province de Zoundwéogo. L'un d'eux serait mort en détention, tandis que l'autre semble avoir été torturé mais demeure détenu. D'importants détails de cette affaire ont été omis, en raison de préoccupations concernant la sécurité du frère survivant.
Les membres des familles ont déclaré que deux membres des forces de sécurité et deux membres de la milice avaient arrêté les deux frères le 30 janvier, et les avaient gardés à vue jusqu'au lendemain au poste de gendarmerie local. L'un de leurs proches a indiqué que lorsque la famille a essayé de porter plainte, une source judiciaire leur a dit que les deux hommes avaient été emmenés dans un camp militaire de la région, où l'un des deux frères était décédé le 2 février. Cette personne a ajouté que la famille a par la suite été autorisée à voir le frère survivant, qui avait été renvoyé au poste de gendarmerie local, en présence de gendarmes, après que les gendarmes l'eurent ramené de l'hôpital :
Il était dans un état critique, compte tenu du traumatisme subi .... Il ne pouvait plus parler, il était bouleversé. ... Il n'était plus lui-même. Moi-même, je ne le reconnaissais plus .... Son visage était tuméfié et ses mains enflées. ... Ses mains avaient [précédemment] été attachées et il ne pouvait plus les bouger. Il ne pouvait pas marcher - il boîtait .... Nous lui avons demandé : « Et ton frère? » Il a répondu qu'il ne savait pas où était son frère. Nous lui avons demandé ce qu'il s'était passé, il a dit qu'il ne savait pas.
Depuis lors, l'un de leurs proches a déclaré que le frère survivant, qui est toujours en détention, a quelque peu récupéré physiquement mais reste « traumatisé ». Quant au frère décédé : « Nous n'avons pas pu voir sa tombe », a dit ce proche.
En conséquence de ces événements, a déclaré l'un des membres de la famille, « Tout le monde... [dans] la famille... a peur. Dans le village, presque tous [les proches] sont partis. Nous avons déménagé après l'événement ».