Le Conseil des droits de l'homme des Nations unies doit de toute urgence remédier à la détérioration de la situation des droits humains en Tunisie, ont déclaré quatre organisations de défense des droits humains le 27 juin 2023, alors que le Conseil poursuit sa 53e session.
Dans une lettre adressée aux représentants des États membres de l'ONU le 5 juin, les organisations signataires mettent en garde contre la rapide dégradation de la situation en Tunisie et engagent les États à saisir l'occasion de la session en cours du Conseil pour y faire face. Elles invitent le Conseil et les États membres à faire pression sur les autorités tunisiennes pour qu'elles respectent les obligations qui leur incombent aux termes du droit international relatif aux droits humains, notamment celles qui garantissent le droit à un procès équitable, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et d'association, et le droit à la non-discrimination.
Le Conseil des droits de l'homme doit demander à la Tunisie de mettre un terme à la répression qui s'abat sur la dissidence pacifique et la liberté d'expression, et d'abandonner les accusations contre toutes les personnes détenues et poursuivies uniquement en raison de leurs activités politiques pacifiques et de l'exercice de leurs droits, et de les libérer. Il doit également inciter la Tunisie à mener dans les meilleurs délais une enquête approfondie, indépendante, impartiale et transparente sur la vague de violences anti-Noirs - agressions et expulsions sommaires notamment - visant les étrangers d'Afrique subsaharienne, notamment les personnes migrantes, demandeuses d'asile et réfugiées, à traduire en justice toutes les personnes raisonnablement soupçonnées d'en être responsables et à permettre aux victimes d'accéder à la justice et à des recours utiles.
Depuis deux ans, la Tunisie connaît un net retour en arrière concernant les droits humains. Les garanties en matière d'indépendance de la justice ont été démantelées et des juges et des procureurs ont été la cible de révocations arbitraires, de poursuites pénales à caractère politique et d'une ingérence accrue de l'exécutif. Des avocat·e·s sont poursuivis pour avoir exercé leurs tâches professionnelles et leur droit à la liberté d'expression.
« L'ingérence des autorités tunisiennes dans le système judiciaire et les attaques ciblant les avocat·e·s ont fortement sapé le droit à un procès équitable et la confiance de la population dans l'intégrité du système. Les autorités doivent veiller à ne pas instrumentaliser les tribunaux dans le but d'écraser la dissidence et la libre expression », a déclaré Saïd Benarbia, directeur Afrique du Nord et Moyen-Orient de la Commission internationale de juristes (CIJ).
Sous prétexte de « lutter contre les infractions se rapportant aux systèmes d'information et de communication », passibles de peines allant jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et de lourdes amendes en vertu du Décret-loi n° 54, au moins 13 personnes, dont des journalistes, opposant·e·s politiques, avocat·e·s, défenseur·e·s des droits humains et militant·e·s, ont été soumises à des enquêtes policières ou judiciaires et encourent des poursuites.
« La Tunisie étant plongée dans une crise économique et un grand flou politique, il est primordial que les Tunisiennes et les Tunisiens puissent débattre de l'avenir de leur pays sans craindre de représailles. Les autorités doivent s'efforcer de permettre la pleine réalisation du droit à la liberté d'expression de tous - alors qu'au contraire, elles l'attaquent », a déclaré Rawya Rageh, directrice adjointe par intérim pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International.
La semaine dernière, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme a demandé aux autorités tunisiennes de cesser de restreindre la liberté de la presse et de criminaliser le journalisme indépendant. En effet, dans une déclaration publiée le 23 juin, Volker Türk a fait part de sa vive préoccupation quant aux restrictions croissantes imposées au droit à la liberté d'expression et à la liberté de la presse en Tunisie, notant que la législation, vague, est utilisée pour criminaliser le journalisme indépendant et museler les critiques visant les autorités. « Il est troublant de voir la Tunisie, un pays autrefois porteur de tant d'espoir, régresser et perdre les acquis de la dernière décennie en matière de droits de l'homme », a déclaré le Haut-Commissaire.
Depuis février 2023, une vague d'arrestations cible les opposant·e·s politiques et les personnes perçues comme critiques à l'égard du président Kaïs Saïed. En l'absence de preuves crédibles d'une quelconque infraction, les juges enquêtent sur au moins 48 personnes, dont des dissident·e·s, des figures de l'opposition, et des avocat·e·s, qui auraient comploté contre l'État ou menacé la sécurité de l'État, entre autres accusations. Au moins 17 d'entre elles font l'objet d'investigations en vertu de la loi antiterroriste tunisienne de 2015.
« En incarcérant des leaders politiques et en interdisant des rassemblements de l'opposition, les autorités piétinent dangereusement les droits fondamentaux qui sont le socle d'une démocratie dynamique. Le recul démocratique et les violations des droits humains, sans précédent depuis la révolution de 2011, requièrent l'attention urgente du Conseil des droits de l'homme et de ses États membres », a déclaré Salsabil Chellali, directrice du bureau de Human Rights Watch en Tunisie.
Signataires :
- Commission internationale de juristes (CIJ)
- Service international pour les droits de l'homme (ISHR)
- Amnesty International
- Human Rights Watch (HRW)