La normalisation des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda, qui a bien progressé depuis deux ans, pourrait bientôt être mise à l'épreuve. Un nouveau rapport du groupe d'experts des Nations unies sur la République démocratique du Congo (RDC) accuse plusieurs officiers rwandais de haut rang d'apporter un soutien au groupe armé M23, qui a commis de nombreuses atrocités dans l'est du Congo.
Dans ce contexte, les gestes du président Emmanuel Macron pour reconnaître le passé trouble de la France au Rwanda et apaiser la relation entre les deux pays pourraient bien mettre Paris en porte-à-faux vis-à-vis de sa responsabilité, notamment en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, de lutter contre les graves atteintes aux droits humains perpétrés dans l'est du Congo.
Le M23, un groupe armé créé en 2012 dans l'est du Congo et redevenu un acteur de premier plan une dizaine d'années plus tard, a attaqué et occupé de vastes zones de la province du Nord-Kivu. Au cours de l'année écoulée, Human Rights Watch s'est entretenu avec plus de 200 personnes, y compris des victimes et des témoins des crimes atroces commis par le groupe rebelle. Ces habitants nous ont rapporté que le M23 commettait des massacres et des viols collectifs lorsqu'il s'emparait de villes et de villages. Ses membres ont également eu recours au travail forcé, ont incendié et détruit des maisons ainsi que des infrastructures civiles.
Dans le village de Kishishe, les combattants du M23 ont tué des dizaines de personnes dont les corps ont été enterrés dans au moins quatorze fosses communes. La reprise des combats entre le M23, les forces armées congolaises et d'autres groupes armés a déplacé plus d'un million de personnes et a engendré une situation humanitaire catastrophique, aggravant la plus grave crise de déplacement du continent.
Trente ans de relations tendues
Après la publication du rapport des Nations unies, la France a condamné, comme il se doit, le soutien apporté par le Rwanda au M23. Mais les mots seuls ne suffiront pas. La France devrait soutenir l'application de sanctions internationales contre les officiers rwandais responsables du soutien au groupe armé. Toute assistance sécuritaire au Rwanda devrait également être suspendue jusqu'à ce que Kigali cesse de soutenir les rebelles responsables d'abus.
La France et le Rwanda ont connu trente ans de relations tendues depuis le génocide rwandais de 1994. Il a été orchestré par des extrémistes politiques et militaires issus de l'ethnie hutu qui visaient principalement les membres de l'ethnie tutsi. Cette tragédie a coûté la vie à plus d'un demi-million de personnes en quelques mois. La France avait soutenu le gouvernement rwandais de l'époque, mais aussi aidé et entraîné son armée ainsi que certaines des forces qui ont ensuite perpétré le génocide. La visite historique du président Macron à Kigali en mai 2021 a marqué le début d'un renouveau du partenariat entre les deux pays, notamment dans le domaine des affaires et de la sécurité.
La France s'appuie désormais sur l'armée rwandaise dans le cadre d'opérations militaires au nord du Mozambique et en République centrafricaine. Depuis juillet 2021, le Rwanda a déployé des milliers de soldats pour combattre une insurrection liée au groupe Etat islamique (EI) dans la province de Cabo Delgado, dans le nord du Mozambique. Le conflit a causé d'immenses souffrances parmi les civils et forcé TotalEnergies à suspendre temporairement ses activités lucratives de production de gaz naturel liquéfié.
Le déploiement de l'armée rwandaise a été salué comme ayant restauré une certaine stabilité dans la région, permettant à des milliers de personnes de rentrer chez elles. TotalEnergies a par ailleurs repris ses activités dans le Cabo Delgado. Cependant, pour les dissidents rwandais vivant au Mozambique, ce déploiement a coïncidé avec une recrudescence des menaces et des agressions.
En République centrafricaine, la France a retiré ses dernières troupes en décembre 2022, faisant du Rwanda le principal contributeur de troupes, aussi bien via la mission de maintien de la paix de l'ONU que via un accord bilatéral.
Des lignes rouges à ne pas franchir
De nombreux gouvernements voudraient distinguer la contribution rwandaise au maintien de la paix de sa complicité manifeste dans les atrocités commises dans l'est du Congo. Mais les deux sont intrinsèquement liées. Pour preuve, le général major Alex Kagame, nouveau commandant de la force opérationnelle conjointe des Forces rwandaises de défense (Rwanda Defence Force, RDF) au Mozambique, était auparavant chargé d'une division qui, selon le groupe d'experts de l'ONU, porterait la responsabilité d'une attaque des forces rwandaises contre une position de l'armée congolaise. Dans leur dernier rapport, les enquêteurs de l'ONU ont dénoncé le rôle d'au moins deux commandants rwandais qui, selon les médias, auraient été accueillis par le chef d'état-major de l'armée française en 2022 à Paris.
La question est maintenant de savoir si le gouverement français sera à la hauteur de ses responsabilités. Retisser des liens avec le Rwanda ne devrait pas se faire aux dépens des victimes des atrocités en cours en RDC. Lors de sa visite à Kigali en 2021, reconnaissant le rôle de la France dans le génocide, Emmanuel Macron a demandé pardon et promis « une alliance respectueuse, lucide, solidaire et mutuellement exigeante ». Le président rwandais, Paul Kagame, a accueilli son discours en affirmant : « La vérité guérit. »
La vérité, aujourd'hui, c'est que le soutien du Rwanda au M23 ne fait plus aucun doute. Kigali a rapidement nié toute implication, comme il l'a déjà fait il y a dix ans, et ce malgré les éléments de preuve qui ne cessaient de s'accumuler. Malgré tout, le rapport des Nations unies provoquera des débats au sein de l'Union européenne et du Conseil de sécurité de l'ONU afin de décider si des sanctions devraient être mises en place à l'encontre des commandants rwandais, ainsi que ceux du M23 et d'autres groupes rebelles responsables d'exactions. La position de la France pourrait être décisive.
Sur le Rwanda, Paris devrait adopter une stratégie cohérente et fondée sur les principes - une stratégie qui refuse de faire de l'impunité pour le soutien du Rwanda au M23 le prix à payer pour une assistance sécuritaire ou un pardon pour les fautes du passé, aussi graves soient-elles. Le président Macron devrait faire savoir qu'indépendamment des responsabilités historiques de la France, il y a des lignes rouges que ses partenaires ne devraient pas franchir, et soutenir des crimes de masse en fait partie.
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