D'une consommation frileuse hier à cause des interdits religieux, l'alcool gagne de plus en plus du terrain au Cameroun. D'aucuns pensent que c'est désormais la terre de prédilection de Bacchus . Qu'elle soit fabriquée traditionnellement ou industriellement, la bière est au coeur de la vie sociale. Voyage coeur de la capitale économique du Cameroun...dans un verre...
Nous voici dans un pays où même après une coupure d'eau pendant des semaines, les populations ne se plaignent pas. Mais, essayez d'interdire la vente de la bière, juste pour un seul jour, c'est sûr que le peuple descendra dans la rue.
A Douala, les débits de boissons sont aussi nombreux que les églises de réveil. L'adage pas un pas sans un débit de boisson est à la mode.
A toute heure de la journée comme de nuit, ces débits de boissons fonctionnent comme une centrale thermique, c'est-à-dire sans arrêt.
La nuit tombée, les sièges et tables des bars reçoivent sans arrêt des visiteurs jusqu'au petit matin. Pourtant, ils ont l'obligation de fermer à 22 heures. La police passe régulièrement. Au lieu de fermer ces débits de boissons, s'arrêtent au coin de le rue pour "s'abreuver elle-aussi" dit-on là bas.
Rincer les yeux
L'expression se rincer les yeux est familier au Cameroun. Ne dites jamais pourquoi. La réponse se trouve dans cette anecdote ci-dessous.
J'ai été surpris un lundi matin au quartier Bonabéri lorsqu'à 5h30, j'ai vu un homme assis sur un tabouret devant un bistrot qui avait l'air d'être fermé avec des éclats de rires à l'intérieure, un homme fatigué, avec une bouteille de 33 export à la main. A ma question de savoir si je pouvais lui venir en aide, il m'a simplement répondu que c'est sa manière à lui de "Rincer" ses yeux avant le début de ses envolées éthyliques à l'ouverture du bistrot.
Autre lieux, autre histoire
"Taxi, université de Douala". La voix du client, la vingtaine alerte, est nasillante. Il est ni assis, ni debout sur une poutre abandonnée à côté du cimetière de Deido à Douala, et éprouve de sérieuses difficultés pour monter à bord de la voiture jaune. Les autres passagers compatissent à sa peine avant de se rendre compte de l'évidence. Le jeune homme pue l'alcool à 08 h du matin. Il s'efforce à parler avec une voix dormante et réussit tout de même à préciser sa destination: "Université de Douala ". Les yeux sont rouges, ses poches remplies des capsules de bière gagnantes. Du coup, il devient une curiosité dans le taxi. .
Plus loin au niveau de Camtel, c'est une jeune étudiante qui à son tour, regard fatigué interpelle le taximan en lui proposant de la déposer au campus dit Poulailler à Ndog Mbong de l'université de Douala.
Les trois autres passagers tentent de la dévisager. Elle a pour tout vêtement, moins que ce qu'il faut pour couvrir la nudité: Un démembré collant et transparent, qui laisse entrevoir des mamelles flasques et sans soutien-gorge. Son pantalon "50 cents" est à la mode, un pantalon, tout aussi collant avec un trou au niveau de l'entre jambe.
Un accoutrement jeune, qui laisse supposer que la dame est à la conquête d'une jeunesse qu'elle n'estime pas perdue. Il est à peu près 8h 15 ce jour.
Le reste du parcours est silencieux dans le taxi. Personne n'ose dire le moindre mot. L'air y est pollué. L'embouteillage et cette mauvaise atmosphère rendent les destinations plus longues et éprouvantes. La lenteur de la circulation endort le jeune homme et la jeune fille.
A l'arrivée au lit dit université de Douala, le chauffeur du taxi est obligé de recourir aux étudiants assis dans un débit de boisson (Chez Thierry) pour déposer forcément les deux occupants devenus gênants avec leur parfum . Thierry le tenancier du débit de boisson lance dans un ton moqueur: "C'est la même scène tous les jours". Mort de rires, pour celui comme moi, ne connaît pas les habitudes du coin.
Le taxi reprend le voyage qui s'anime soudain. A travers le rétroviseur, on aperçoit le jeune homme, abandonné par la jeune fille avec qui , il se trouvait dans le taxi, en train de vomir. Dans le langage des initiés, on dit là bas qu'il est en train de vomir son cerveau.
Alors que l'eau et l'électricité sont devenus rares dans certains quartiers de nos grandes cités, l'alcool est à portée de main de tous. Coïncidence ou hasard ? On ne sait pas trop. Il n'est pas rare d'apercevoir dans nos villes des panneaux publicitaires placés dans les meilleurs endroits et qui vous montrent 'les bienfaits de la bière' et le "charme des fêtent organisées autour de la bière".
Que dire des capsules gagnantes? Boire une bière et gagner...
Nous sommes toujours à Douala...Dans un petit bistrot de Bonassama, des clients découvrent avec joie qu'un concours est depuis peu lancé sur la consommation de leur bière préférée. Il suffit, pour gagner un des nombreux lots, de découvrir le dessin caché sous la capsule. Il n'en faut pas plus pour attiser la soif de la bande de joyeux lurons.
A peine quelques minutes plus tard, une équipe motorisée de jeunes filles fait irruption dans un grand carrefour de Bonassama. Ce sont des agents commerciaux d'une des principales sociétés brassicoles du pays. Le sourire très large, elles proposent un nouveau produit en promotion depuis quelques mois. Sur les murs avoisinantes tapissés d'affiches, on peut lire des messages incitatifs ou admirer l'image d'un récent gagnant....Dans toutes les grandes villes du Cameroun et même au fin fond des villages les plus reculés, tout le monde est invité à cette pratique. Boire une bière et gagner...
Les brasseurs prennent le soin d'inscrire sur des capsules de bière non gagnantes des messages vous invitants à reprendre avec l'exercice : « Essayez encore ». Et quand vous gagnez la capsule vous arrache le sourire.
Chaque année, des millions de bouteilles de bière sont ainsi gagné par les consommateurs nous affirment E Ebongué, journaliste à Bafoussam.. "Presque tous les consommateurs de bière au Cameroun ont une chance de gagner », ajoute-t-il. On peut sortir prendre une bière et rentrer avec quatre ou six bouteilles gratuites."
Du coup, les capsules gagnantes servent désormais de monnaie d'échange. Beaucoup règlent ainsi leur repas ou leurs courses en taxi. "Nous prenons quelques fois des capsules gagnantes", commente Eugène Fando, conducteur de moto taxi à Douala. "La bière coûte 650 voire 700 francs CFA ou plus, plus cher qu'une course à 200 ou 300 francs CFA." Ce dernier affirme par la suite d'avoir parfois échappé aux tracasseries de la police en lâchant une voire deux capsules de bière gagnante.
Lorsque vous visitez Douala et ses quartiers populaires, en cas de soif, vous avez le choix entre "lever le coude" c'est à -dire boire de la bière pour les connaisseurs ou boire du "Obouh Fegue",de l'eau du robinet comme ça s'appelle là bas.
En octobre 2018, une source proche à nous résident à Douala nous avait fait comprendre que tout au long de ce mois au Cameroun, les capsules gagnantes des bières étaient devenues rares à cause de l'élection présidentielle.
Cette rareté s'expliquant probablement par le fait qu'un candidat en lice pour cette consultation électorale n'avait pour seule arme efficace en dehors du pain et de la sardine que de regrouper les populations autour des bouteilles de bières. Les brasseurs étant au courant de cette pratique, avaient pris le soin de ne plus inclure les potentiels gains dans les capsules.
Pourquoi tant d'envie de plusieurs Camerounais autour de la bière?
"Si l'on boit pour panser ses souffrances comme dans un cercle vicieux, c'est aussi pour combler sa solitude, devant un système politique prédateur qui laisse des vies à la merci de la misère", a laissé entendre un jeune fidèle à bouteille...
Certains Camerounais boivent, parce que perdus. Ils sont dans les conditions économiques intenables qui ne cessent de s'empirer par la faute d'une classe politique rapace et implacable. Ils trouvent en l'alcool un moyen de se procurer un peu de plaisir, ce qui leur est facilité par des hommes et femmes d'affaires qui trafiquent des boissons-poisons sans se soucier de leurs effets. Tout cela en plus des intentions inconnues des firmes brassicoles étrangères qui produisent des boissons de la mort pour les déverser sur les populations camerounaises à côté des guerres d'hégémonie qu'ils imposent au pays.
Au Cameroun, ne vous étonnez pas qu'on réponde à vos questions par des questions. Je commence moi aussi à m'habituer à cette phrase qui circule dans plusieurs conversations comme des torrents de bière. « si on t'explique le Cameroun et que tu le comprends c'est sûrement qu'on te l'a mal expliqué. » Mais moi, je comprends Douala et le Cameroun à ma façon. Pas vrai ?