Cameroun: Hesitations - Quand le président du Tpi de Yaoundé veut favoriser l'hon. Kouinche

1 Juillet 2023

Saisi en tant que juge des requêtes pour autoriser la délivrance du duplicata N°2 du titre foncier d'un lopin de terre que le patron d'Express Union est accusé d'occuper frauduleusement depuis 20 ans au quartier Bastos à Yaoundé, le président de la juridiction freine des quatre fers en dépit des documents qui accompagnent la demande du requérant et des réquisitions du ministère public. Le juge manoeuvre au-delà de ce qui est prévu par la loi pour sauver les investissements de l'homme d'affaires.

La rencontre que le président du Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif (CA) envisageait d'organiser le 23 juin dernier dans son cabinet n'a pas eu lieu. Saisi en sa qualité de «juge des requêtes» depuis le 17 mai 2023 par M. Tasha Loweh Lawrence, ancien patron de la défunte Amity Bank, qui souhaite obtenir de lui, par ordonnance gracieuse, l'autorisation de se faire délivrer un duplicatum de son titre foncier (N°22781/Mfoundi) égaré, le président Georges Théophile Timba a décidé, avant de se prononcer, d'organiser vendredi dernier, une discussion contradictoire impliquant un certain M. Chedjou Jean-Marie et le responsable de la société SCI Nofic. C'est une démarche que M. Tasha Loweh trouve curieuse : la procédure engagée par le justiciable ne nécessite aucun débat selon la loi. Le projet du président Timba a donc été rejeté.

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Tasha n'est pas loin de croire que le président du TPI de Yaoundé CA roule pour des personnes qui occupent sans droit ni titre son important domaine foncier au quartier Bastos à Yaoundé, au rang desquels l'homme d'affaires Kouinche Albert, à travers sa société immobilière (SCI Nofic). Le temps écoulé depuis le dépôt de sa requête, plus d'un mois aujourd'hui, et la tentative de dénaturation de sa procédure par l'implication d'acteurs étrangers à celle-ci en sont une parfaite illustration pour lui. Il a confié à Kalara attendre simplement que le président réponde à sa requête «dans un sens comme dans l'autre» pour décider de la conduite à tenir. C'est une attitude que son avocat a déjà signalée au président du tribunal.

Dans une correspondance adressée à M. le président du TPI de Yaoundé CA le 13 juin 2023, Me Claude Assira se veut clair : «Il est curieux que des tiers qui ne font l'objet d'aucune réclamation ni d'aucune procédure civile ou pénale interviennent dans le cadre d'une procédure gracieuse relevant de la compétence exclusive du juge des requêtes. La requête de M. Tasha ainsi que sa réitération sous ma plume ne se heurtent à aucune difficulté [...]. Par conséquent, M. Tasha Loweh préfère s'en tenir aux termes de sa requête, les preuves versées à l'appui de sa demande de délivrance de duplicatum étant claires et suffisantes». L'avocat ne comprend d'ailleurs pas que le juge des requête, «qui est l'initiateur de la déviation en procédure contradictoire» de la demande de son client, ait désigné M. Tasha pour transmettre ses convocations à leurs destinataires, sans être lui-même formellement convoqué. Cette correspondance serait revêtue de la mention «classé».

Semaine prochaine...

C'est le 6 février 2023 que M. Tasha avait saisi le juge des requêtes pour la première fois sans recevoir de suite. Me Assira a relancé le dossier le 17 mai 2023, se servant comme prétexte d'un arrêté du ministre des Domaines du 3 mai réaffirmant M. Tasha comme propriétaire du terrain dont le titre foncier est porté disparu. A la suite de la décision prise par M. Eyebe Ayissi, le Conservateur foncier du Mfoundi A avait délivré à M. Tasha cinq jours plus tard un certificat de propriété confirmant la même chose. Ces pièces, ainsi que la copie du duplicatum N°1 de ce titre foncier et de la déclaration de perte, font partie des documents soumis à l'appréciation des juges. Des éléments que le procureur de la République trouve suffisants pour «faire droit à la demande du requérant». C'est en tout cas ce qui ressort des réquisitions du ministère public signées le 29 mai 2023 et adressées au juge des requêtes.

Qu'est-ce qui empêche dès lors, en dépit de tous ces éléments tangibles, que le président Timba solutionne la requête qui lui a été soumise depuis plus d'un mois ? Rendu au cabinet du concerné vendredi dernier pour étancher sa curiosité, l'auteur de ces lignes a été informé que la réponse écrite du juge à la requête interviendra «la semaine prochaine» (en fait, cette semaine). Le président Timba est convaincu, a-t-on appris, que le duplicatum du titre foncier N°22781/Mfoundi n'est pas égaré. Pour lui, ce titre foncier a été remis par M. Tasha lui-même à M. Chedjou Jean-Marie au cours d'une vente régulière de son terrain, lequel aurait alors cédé à son tour l'espace en question à M. Albert Kouinche, patron de la SCI Nofic. D'où les convocations signées par le président du TPI.

Par ailleurs, le juge s'étonnerait de l'Arrêté N°1173 Y.7 du Mindcaf datée du 3 mai 2023, d'autant qu'il prend le contre-pied de nombreuses décisions rendues par les juridictions en défaveur de M. Tasha dans le bras de fer qui l'oppose depuis 1999 aux occupants de son terrain au quartier Bastos. Il est peu probable, apprend-on au cabinet du président Timba, que M. Tasha bénéficie d'une ordonnance autorisant la délivrance en sa faveur d'un titre foncier qui serait régulièrement détenu par la SCI Nofic. Cette probabilité est d'autant nulle que M. Kouinche Albert a déjà érigé sur le site un imposant bâtiment estimé à au moins 3 milliards de francs, selon les déclarations de l'avocat de cet homme d'affaires. Le juge des requêtes hésiterait de faire en sorte que l'ordonnance autorisant la délivrance du duplicatum du titre foncier se transforme en une ordonnance attribuant à M. Tasha l'immeuble d'autrui.

Il faut sans doute attendre la solution que le juge des requêtes donnera à la demande de M. Tasha pour être fixé. Mais, d'ores et déjà, quantités de documents et de faits attestent de façon concordante l'impossibilité totale pour M. Chedjou Jean Claude d'avoir acquis régulièrement le terrain de M. Tasha et d'avoir reçu à l'occasion le duplicatum N°1 du titre foncier y afférent (lire encadré). «Le juge des requêtes n'a pas à aller fouiner en dehors de son dossier pour répondre à une requête qui lui est soumise, dès lors qu'une ordonnance signée par lui est susceptible de recours devant lui-même, agissant cette fois-là comme juge de référé, donc dans le cadre d'une procédure contradictoire. En général, l'ordonnance sur requête contient la mention selon laquelle, en cas de difficulté, les parties doivent revenir vers lui», commente un avocat qui ne comprend pas les atermoiements du président Timba.

Offres ridicules

Le combat qui oppose M. Tasha au patron de Express Union et à certains de ses comparses, auraient peut-être pu prendre fin si le banquier avait accepté des offres d'arrangement que l'avocat de M. Kouinche, Me Pienjo Désolice, a déjà faite. Ce dernier a proposé que son client verse des sommes d'argent à son antagoniste, au titre de ce qu'il appelle joliment «nouvel achat» de l'immeuble disputé. La première offre était de 30 millions de francs, suivie d'une seconde de 100 millions de francs, puis une troisième de 150 millions de francs, il y a quelques mois, somme arrêtée, selon des sources dignes de foi, de commun accord avec certain juge... Dans l'édition N°370 de Kalara, il avait été rapporté les déclarations tenues par l'un des avocats de M. Tasha à une audience du TPI de Yaoundé CA tenue le 21 décembre 2021.

L'avocate signalait alors que son client subit des pressions pour accepter des offres financières ridicules qui lui sont faites pour abandonner son patrimoine foncier au centre du procès. Elle précisait qu'un magistrat du parquet général de la Cour d'Appel (dont Kalara masque toujours le nom) avait même suggéré à M. Tasha de recevoir 100 millions de francs du patron de Express Union, faute de quoi cet argent serait utilisé pour corrompre les juges chargés du procès et organiser un dilatoire sans fin. «On lui disait même cela à l'époque, Mme le président, qu'on ne va rien lui donner, qu'on va donner 100 millions de francs au juge...» confiait à l'occasion l'avocate.

Rappelons que M. Tasha Loweh Lawrence bataille pour entrer en jouissance de son terrain à Bastos, acquis en deux opérations séparées, le 3 mai 1987 auprès de la communauté Mvog Mballa Atangana et le 26 mai 1994 de l'ex-banque Biao Cameroun. Pour ce dernier terrain d'ailleurs, pour lequel la demande d'autorisation de délivrance d'un duplicatum attend d'être solutionnée par le président du TPI de Yaoundé CA, M. Tasha avait découvert en 2000 que, par fraude, M. Chedjou avait fait muter ses titres fonciers en son nom avant de céder les terrains correspondants à M. Kouinche Albert. Les parties s'affrontent sur plusieurs fronts judiciaires, notamment devant le Tribunal de grande instance du Mfounfi où les mis en cause répondent de l'infraction de «faux et usage de faux en écritures publiques et authentiques et recel de faux». Et cette procédure interminable revient le 30 juin 2023.

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