Ile Maurice: Émeutes en France - Le quotidien chamboulé d'un ado mauricien et de ses frères

Les nuits de violences se succèdent en France - La Réunion n'est pas épargnée - depuis la mort de Nahel, un ado de 17 ans tué par un policier. Les multiples dégradations et pillages se poursuivent dans la capitale, en banlieue parisienne et en province. Prises pour cibles, les forces de l'ordre ont procédé à plusieurs centaines d'interpellations. La droite et l'extrême droite appellent le gouvernement à instaurer l'état d'urgence. Comment des Mauriciens établis là-bas vivent-ils la situation ?

Voitures en feu, commerces vandalisés policiers pris à partie... Des scènes de violence qui se déroulent un peu partout en France depuis mardi dernier, quand Nahel, un ado de 17 ans, a été tué à bout portant par un policier à Nanterre. Depuis, les nuits d'émeutes s'enchaînent, les forces de l'ordre sont dépassées. Les émeutes se sont transformées en saccages. Des magasins de luxe aux supermarchés de quartiers, rien n'est épargné. Quant aux Mauriciens sur place, ils doivent faire face à ce nouveau quotidien sans savoir quand les violences vont cesser.

Ridwan Oozeer a 18 ans. Il est né de parents mauriciens en France mais a passé la majeure partie de sa vie aux Pays-Bas avant de retourner en France l'année dernière. Le jeune homme, qui vient de finir son bac, est l'aîné d'une fratrie de quatre. Le benjamin de la famille vient d'avoir cinq ans et ne comprend pas tout ce qui se passe. Les trois autres suivent les événements en direct. «Depuis mardi, nous avons l'impression d'être dans un pays en guerre».

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Ridwan confie avoir déjà vu des émeutes, mais cette fois-ci, il parle d'une situation exceptionnelle. «J'entends des explosions. De la fenêtre, je vois ce qui se passe car tout le quartier est en feu.» Une fenêtre qu'il ne peut plus ouvrir à cause du gaz lacrymogène lancé sur les manifestants et les casseurs par la police, et d'où il voit constamment, depuis quelques jours, d'épaisses fumées noires de voitures et de poubelles qui brûlent. Les bruits proviennent de feux d'artifice, mais aussi de fusils à pompe et de grenades. «C'est tout à fait irréel. Je le réalise en parlant car lorsque nous traversons cela de l'intérieur, nous ne savons pas trop quoi penser.» La police tente certes de repousser les manifestants, mais ils sont dépassés.

Homicide volontaire

Les émeutes ont débuté dans la soirée du 27 juin lorsque la nouvelle de la mort de Nahel a commencé à se répandre. Au début, le policier impliqué avait affirmé dans sa version des faits qu'il avait tiré car il était en danger. En compagnie de son collègue, il était engagé dans une course-poursuite avec la voiture que conduisait l'ado, qui ne s'était pas arrêté pour un contrôle et à un moment donné, le véhicule a foncé sur lui.

Cependant, une vidéo postée sur les réseaux sociaux a remis en question cette version. Suite à cela, le procureur de Nanterre a tenu une conférence de presse en affirmant que les conditions pour l'utilisation de l'arme par la police n'étaient pas réunies et que par conséquent, le policier avait été arrêté pour homicide volontaire. Depuis, c'est le chaos chaque soir dans diverses régions de France.

Au milieu de toute cette violence, un témoin de la scène, qui était dans la voiture avec Nahel, a donné sa version des faits vendredi dernier et a affirmé que son ami avait été frappé à trois reprises avec la crosse de l'arme du policier. Selon ce témoin, c'est le troisième coup de crosse qui a fait lâcher le frein à l'ado et la voiture s'est mise à rouler, et c'est à ce moment que Nahel a été abattu. «Le premier policier, qui était au niveau de la fenêtre, a braqué une arme sur sa tempe et lui a dit 'bouge pas ou je te mets une balle dans la tête'. Le second policier lui aurait dit 'shoote-le'», a déclaré ce témoin, selon la presse française.

Ridwan Oozeer n'est pas surpris. Cette réalité, dit-il, est celle de plusieurs jeunes en France. «Il est malheureux de constater qu'ici, dès qu'on est différent, on est considéré comme un voyou par la police.» Il en a fait les frais lui-même. Le jeune homme se remémore la fois où il vapotait sur le quai de la gare, en compagnie de plusieurs autres personnes. Quatre policiers se sont approchés de lui et lui ont dit qu'il n'en avait pas le droit. Il a rangé son vapoteur en acquiesçant d'un hochement de tête. «L'un d'eux m'a dit 'tu ne sais pas ouvrir ta gueule' et a commencé à m'insulter alors que j'ai obtempéré...»

Ce n'était pas la première fois. Quelques mois après son retour en France l'année dernière, il a été contrôlé par la police pour ses papiers d'identité. Croyant que c'était la même manière de procéder pédagogique que la police hollandaise, il a posé des questions relatives aux contrôles aux policiers en leur remettant ses papiers. Avant de comprendre ce qui se passait, les policiers l'ont plaqué au sol et brutalisé. C'est la raison pour laquelle il affirme que la situation est certes alarmante, mais loin d'être surprenante...

Couvre-feu

Depuis le début des violences à Vigneuxsur-Seine, la ville est méconnaissable. Le supermarché du quartier a été totalement vandalisé. D'autres commerces, comme le réparateur de téléphones ou encore quelques restaurants, ont aussi été saccagés. «Les autorités ont tenté de mettre en place un couvre-feu à 18 heures, mais cela ne fonctionne absolument pas. Les gens sortent quand même, et ailleurs, les émeutes ont lieu même en journée», lâche Ridwan. Chez lui, depuis quelques jours, sa mère se couche très tard pour s'assurer que ses fils ne sortent pas, et ce, même s'ils ont affirmé qu'ils n'ont aucune intention de participer aux désordres.

L'atmosphère angoissante commence à peser sur le moral. Cependant, même s'il comprend la démarche et la colère qui animent les jeunes surtout, il est aussi conscient que ce n'est pas la bonne méthode pour se faire entendre. «Par exemple, le supermarché et les commerces vandalisés sont un handicap majeur pour les habitants ici. À la fin, c'est nous qui devrons subir les conséquences.» Il est rejoint dans ses propos par ses deux frères, Hamza, 14 ans, et Mikhail, neuf ans. Ce dernier ne cesse de demander pourquoi les gens saccagent le quartier et ce que cela va changer dans la situation.

Hamza raconte que la situation a évolué depuis mardi. Au début, c'était une vraie manifestation de colère. «Mais depuis, il y a des casseurs qui ont pris le dessus. Le groupe qui manifeste pour se faire entendre est minime. Je comprends aussi la colère, mais il y a des moyens de manifester pour faire entendre sa voix sans mettre en péril les personnes qui n'ont rien fait.» Il cite l'exemple de ces personnes qui participent aux émeutes et qui partagent leurs «faits de guerre» sur les réseaux sociaux, ou encore ceux qui montrent fièrement leurs butins issus des magasins vandalisés. «Cela n'aide personne», renchérit Mikhail.

Comme tout le monde en France, les trois jeunes n'ont qu'un souhait : que la situation retourne à la normale et que la police cesse les excès de zèle envers les jeunes. Entretemps, Ridwan, Hamza et Mikhail ont la boule au ventre...

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